Pour répondre au manque de moyens humains et de financement, devrait-on faire payer l’entrée des onze parcs nationaux français ? À l’heure du greenwashing intensif et des demi-mesures libérales, c’est ce que suggèrent certaines voix du monde de l’environnement. Mais une telle mesure de tiède politique rencontre encore de nombreux opposants, parmi lesquels figurent en tête la majeure partie des professionnels de la protection de la nature.
La France, havre de onze parc nationaux
Depuis la création de la Vanoise (Savoie) en 1963, la France s’est lentement dotée de onze parcs nationaux. Ces zones naturelles classées et protégées pour leur biodiversité, leurs paysages et leurs richesses patrimoniales couvrent aujourd’hui 60 728 km², environ 9,5 % du territoire français.
Au nombre de huit en métropole et de trois en outre-mer, les parcs nationaux sont divisés en « zones cœurs » et en « aires d’adhésion », les premières étant des espaces strictement inviolables et les secondes faisant office de « tampons » entre les territoires normaux et les territoires protégés.
Durant la dernière décennie, deux nouveaux parcs de ce type ont été créés : le parc national des Calanques dans les Bouches-du-Rhône en 2012, à la fois maritime et terrestre, et le parc national de forêts entre la Bourgogne et la Champagne en 2019, constitué de grandes forêts et de plaines.
Ces joyaux du vivant, certainement en avance sur leur temps, accueillent chaque année 8 à 9 millions de visiteurs, qui peuvent randonner et profiter gratuitement des paysages tout au long des saisons.

Des parcs en faillite
Cependant, voilà bien longtemps que le ministère de l’Écologie récemment renommé fait les frais des politiques de coupes budgétaires et d’austérité, ainsi que des suppressions d’effectifs (4 961 postes en moins d’ici à 2022), malgré une hausse minime de son budget ces dernières années, il faut bien le souligner.
Comme tout ce qui dépend de la tutelle du ministère, les parcs nationaux sont unanimement affectés par cette gestion toute centraliste des chiffres et des hommes. Pour preuve : si le budget semble constant pour l’ensemble des parcs nationaux, environ 80 millions d’euros par an, la création des deux nouveaux parcs, en 2012 et 2019, a été réalisée sans aucune augmentation des financements, c’est-à-dire par simple redistribution du budget total de tous les parcs.
Dans le volet humain, les parcs nationaux ont également perdu, en dix ans, 15 à 20 % de leurs effectifs, et sont désormais forcés de composer la même symphonie avec bien moins de moyens. Un désastre humain et un danger pour les espaces protégés.
C’est pourquoi, depuis plusieurs années, la recherche de nouveaux moyens de financement des parcs nationaux a régulièrement été mise sur la table avec, au centre d’une polémique au long cours, la proposition de faire payer l’entrée aux visiteurs.
Le débat autour de l’accès payant des aires protégées a repris lorsqu’en 2018, le Commissariat général au développement durable (CGDD) a publié un rapport sur les « pistes additionnelles de financement » des parcs nationaux, dans lequel la tarification des droits d’accès tenait une place discrète mais non négligeable. Reprise quelque temps plus tard par Nicolas Hulot, le ministre de l’époque, dans son plan biodiversité (sous le titre « participation du public »), cette proposition a ainsi suscité de nombreuses réactions dans le petit monde de la protection de la nature.

Faire payer l’accès aux parcs
Ses avantages ? Pour leurs défenseurs, les droits d’accès permettraient à la fois de combattre « l’effet ciseau » que subissent les parcs nationaux (extension territoriale et réduction budgétaire) et de limiter la fréquentation croissante des sites naturels, ce phénomène pouvant nuire en définitive à l’environnement.
D’ailleurs, de nombreux pays pratiquent déjà cette tarification, comme les États-Unis, le Chili, la Corée du Sud ou le Mexique, où les droits d’entrée sont immédiatement réinvestis dans la gestion et l’aménagement des parcs nationaux. Selon Simon Jolivet, maître de conférences en droit public à l’université de Poitiers :
« il n’est pas anormal de payer son entrée dans un “musée” naturel comme on paye son entrée dans un musée d’art comme le Louvre. Pour le patrimoine culturel, a-t-il déclaré au journal Le Monde, les droits d’entrée sont actés depuis cent ans. Cela avait fait du bruit à l’époque, mais on n’en parle plus vraiment aujourd’hui. »
En revanche, pour ses détracteurs — syndicats des travailleurs du secteur de l’environnement et écologistes en tête —, une telle mesure, en plus de s’opposer par essence au service public à la française, ne ferait qu’instaurer des inégalités dans l’accès et le partage de la nature et nuirait considérablement à l’intérêt du grand public pour la cause environnementale.
De zones naturelles protégées, au cœur des préoccupations de notre temps, les parcs nationaux pourraient ainsi devenir des parcs d’attraction banals, sur un mode consumériste qui ouvrirait la voie, en outre, à une privatisation future du secteur, qui serait le sommet de l’hypocrisie libérale.
En réponse à l’article du Monde cité précédemment, l’eurodéputée et activiste écologiste Marie Toussaint s’est exprimée jeudi 13 février depuis son compte Twitter :
« Faire payer l’entrée dans les parcs naturels… Un cauchemar. Rendre la nature inaccessible plutôt que de garantir la justice environnementale. Accentuer les inégalités plutôt que de garantir le droit à un environnement sain. Ségréguer plutôt qu’unir… Détruire la chose publique, plutôt que de construire une République écologique garantissant à chacune et chacun un environnement sain et le droit à jouir du vivant. Quelle triste idée ! Des inquiétudes aussi : les efforts de préservation des espaces naturels seront vains si nous n’agissons pas dans la justice, car ce n’est que pour et à partir de la justice que nous parviendrons à protéger le vivant et l’égale dignité ! »
Une telle réaction remet certainement à l’endroit les éléments du débat. En effet, la mise en place de droits d’accès serait surtout synonyme d’un désengagement de l’État pour les enjeux écologiques, qui confierait au marché la gestion des territoires les plus importants et qui continuerait de se dédouaner comme il le fait aujourd’hui de toutes les grandes épreuves environnementales que nous affrontons.
Monétiser l’environnement, est-ce la solution ? Doit-on répondre à toutes les problématiques communes par l’économie et l’argent ? Peut-on réellement considérer que la nature nous appartient comme des œuvres d’art et muséifier par conséquent le vivant, avec pour argument que celui-ci ferait partie de « notre » patrimoine ?
Déjà hyperfréquentés et menacés d’asphyxie, les espaces naturels protégés ne risquent-ils pas de devenir demain des annexes touristiques de l’ancien monde, alors qu’ils devraient d’ores et déjà incarner le nouveau ?