La promesse paraît presque trop belle pour être vraie : selon une équipe de chercheurs basée à Paris, il serait possible de fabriquer du carburant à partir du CO2, et ce à grande échelle et à moindre coût. Une nouvelle qui pourrait révolutionner les transports et la lutte contre le réchauffement climatique, puisqu’elle permettrait de réinjecter le CO2 émis par les moteurs… directement dans ceux-ci.
Euréka !
L’équipe du laboratoire d’électrochimie moléculaire de l’Université Paris-Diderot est prudente dans ses conclusions, mais résolument optimiste ; avec une série de publications scientifiques, dont un article dans la revue Nature, les cinq chercheurs (Heng Rao, Luciana C. Schmidt, Julien Bonin et Marc Robert) ont mis en évidence une réaction chimique prometteuse : sans autre apport énergétique que la lumière du soleil, la molécule de CO2 se transforme, à pression et température ambiante, en molécule de méthane (CH4), grâce à un catalyseur (un composant chimique qui accélère les réactions) à base fer.

« Il s’agit de recherche fondamentale, mais ce que nous avons mis en évidence est prometteur », commentent, prudents, les chercheurs Julien Bonin et Marc Robert. Pour aboutir à ce résultat, l’équipe confie avoir eu recours au biomimétisme (un procédé d’innovation consistant à s’inspirer du vivant), en étudiant le rôle essentiel du fer dans le sang pour le transport de l’oxygène par les globules rouges.
Explications
Mais dis-moi Jamy, comment ça marche, au juste ? Le procédé n’est pas facile à comprendre sans être chimiste. Pour mieux entrevoir les tenants et les aboutissants de la découverte, retournons une étape en arrière, au moment de la création du CO2 : ce gaz carbonique est un composant résultant de la combustion de matières carbonées (contenant du carbone) ; or, en chimie, la combustion est une réaction chimique comme une autre, qui peut potentiellement être inversée. Avec le bon catalyseur et dans les bonnes conditions, il est donc théoriquement possible de fabriquer du carburant (une matière combustible contenant du carbone) à partir du CO2.
La même réaction, mais en différent
La théorie l’indiquant de manière claire, l’idée n’est pas nouvelle dans la tête des chercheurs, et plusieurs équipes ont déjà développé des procédés pour créer du méthane (le principal composant du gaz naturel) à partir de CO2. C’est notamment le cas de l’Agence nationale de la recherche, qui avait lancé en 2012 un programme nommé « vitesse2 » pour trouver un procédé rentable. Cependant, la découverte des chercheurs de Paris-Diderot se distingue des procédés précédents puisqu’elle n’utilise que la lumière du soleil comme source d’énergie et un catalyseur bon marché (un dérivé du fer), là où le procédé de l’Agence de la recherche nécessite de l’électricité (ce qui revient à faire de l’énergie avec de l’énergie), ou encore là où une équipe canadienne utilise un catalyseur coûteux à base de bore.

La découverte marque donc une nouvelle étape dans la création de débouchés pour le CO2 dont nous ne savons que faire et qui cause le réchauffement climatique. Aujourd’hui, les applications industrielles de ce gaz sont encore balbutiantes, malgré les efforts de la recherche dans ce sens : il est utilisé, dans des volumes encore insignifiants par rapport aux émissions (0,5 %), pour favoriser l’extraction des hydrocarbures (et donc encourager leur utilisation), pour rendre les boissons pétillantes ou encore pour créer certains plastiques.
Avec de meilleures filières de recyclage (la fabrication de carburant est une piste), des experts cités par Le Monde indiquent que jusqu’à 10 % des émissions pourraient être revalorisées.
Mais, me direz-vous, le méthane (CH4) résultant du procédé décrit plus haut n’est-il pas lui-même polluant ? La question est légitime, car ce gaz n’est pas un bon élève sur le banc de l’écologie : son potentiel de réchauffement global est 23 fois plus élevé que celui du CO2, en faisant un gaz à effet de serre bien plus puissant, même s’il ne reste dans l’atmosphère qu’un douzaine d’années, contre 200 ans pour le CO2.

En le brûlant dans un moteur (sous forme de méthanol), l’effet de serre est évité ; et si la combustion produit effectivement du CO2, elle en produit beaucoup moins que celle de l’hydrocarbure initial, car le méthanol contient moins de carbone et plus d’hydrogène (dont la combustion produit uniquement de l’eau). Précisons cependant que la magie n’existe pas : si elle produit moins de CO2, cette combustion est aussi moins efficace, et il faut plus de carburant pour le même résultat… mais si ce carburant est issu de CO2 déjà dans l’atmosphère, où est le mal ?
Cercle vicieux
Les jours du réchauffement climatique sont-ils comptés ? Quelques doutes subsistent malheureusement. Tout d’abord, la réaction n’est pas encore totalement maîtrisée : « les chercheurs ont pu décrire la première étape du processus, celle où le CO2 perd un atome d’oxygène pour former du monoxyde de carbone (CO) », décrit la revue Sciences & Avenir. Ensuite, la recherche sur la réaction n’a fait ici que ses premiers pas dans environnement contrôlé : le passage à grande échelle réserve probablement des surprises (notamment sur le coût, en grandes quantités, du catalyseur à base de fer).
Enfin, il est légitime d’interroger le principe même de la réaction : en créant du carburant émetteur de CO2 à partir du CO2, on encourage finalement l’utilisation des énergies carbonées, en leur donnant un cache-misère écologique. Plutôt que de s’enfermer dans un tel cercle vicieux, mieux vaut investir toute l’énergie de la recherche dans les énergies (éolien, hydraulique, solaire) et carburants (voitures électriques, moteurs à hydrogène) renouvelables ne produisant pas de carbone – ou même simplement réduire notre consommation d’énergie : selon l’Agence internationale de l’énergie, la sobriété et l’efficacité énergétiques pourrait éviter 38 % des rejets de CO2 à l’horizon 2050.