« Pieds nus dans l’herbe ? Ça va pas la tête ! C’est dégoûtant. Il y a des bêtes… ». Cette exclamation, Caroline Guy l’entend de la bouche d’enfants de 11 ans, alors qu’elle anime le centre de vacances de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Dans le groupe, seule une fillette accepte de se déchausser. L’éducatrice ne s’attendait pas être aussi bouleversée à la suite de cet atelier de relaxation dans la nature.
Elle décide quelques temps après d’ouvrir dans le sud de la France une école dans la forêt. Son modèle d’inspiration : les skovbornehaven du Danemark, ces classes maternelles où les enfants sont dehors presque toute la journée.
Crystèle Ferjou, elle, fut frappée en découvrant le jardin d’enfants en forêt, mis en place par Sarah Wauquiez en Suisse. Dans son ouvrage Les Enfants des bois, cette dernière explique l’importance de sortir dans la nature avec les enfants, et les moyens d’y parvenir dans un cadre scolaire. L’enseignante en maternelle de Pompaire (Nouvelle-Aquitaine) réfléchit alors à une manière d’adapter ce concept en France.

L’intuition des deux femmes, que l’école doit permettre le contact des enfants avec la nature, est loin d’être infondée. En 2015, un rapport publié par l’Institut de veille sanitaire (INVS) révèle que quatre enfants sur dix (de 3 à 10 ans) ne jouent jamais dehors pendant la semaine. Un emploi du temps surchargé, une profusion d’écrans ou encore la peur de l’insécurité… tout contribue à les retenir à l’intérieur, alors que jouer dans la nature est essentiel au développement humain.
Classe dehors
L’expérience de Crystèle Ferjou dans une école publique prouve qu’emmener les enfants dehors durant la journée de classe est non seulement souhaitable, mais réalisable.
Après avoir fait accepter son projet par l’école, l’enseignante parvient à convaincre les parents de ce choix pédagogique. À ceux qui s’inquiètent de laisser leur enfant dehors par tous les temps, elle présente les études citées dans le livre de Sarah Wauquiez : les enfants passant plus de temps dehors ont une santé plus robuste.

Pas de jardin public à Pompaire ? Ils utiliserons un terrain communal. Reste à donner le goût aux parents et aux grands-parents de se joindre à la classe ponctuellement, afin de respecter le taux d’encadrement d’un adulte pour huit enfants.
Les accompagnateurs sont ceux pour lesquels l’apprentissage est le plus long :
« Difficile pour eux de laisser les enfants jouer avec la terre, ne pas interdire, ne pas confisquer un bâton » raconte Crystèle Ferjou. Mais peu à peu, ils apprennent à « donner la liberté aux enfants de se faire confiance. »
En réalité, le risque est plutôt limité, puisqu’« un terrain naturel, avec de l’herbe et de la terre, est moins dangereux qu’un cour de récré goudronnée. » Mais surtout, ils s’aperçoivent que les enfants sont d’une autonomie exceptionnelle. En jardinant avec de vrais outils, ils mobilisent tout leur corps et améliorent leur motricité.
« Ils développaient leur capacité d’équilibre, de coordination, de coopération. » raconte l’enseignante.
Pour surmonter le défi de déplacer une brouette sur le terrain, il faut s’associer avec les camarades… Être dehors leur permet de « vivre des explorations sensorielles, au contact direct avec les éléments naturels pour qu’ils se construisent un rapport vrai à leur corps, à leurs sens, à leur intelligence, à la vie et aux autres. ».

« Tous les enfants ont besoin de lien avec la nature »
Les adultes ont été nombreux à remarquer que les enfants avaient progressivement développé « une conscience environnementale et une curiosité du vivant autour d’eux. » Du côté des parents comme des enseignants, l’intérêt a cru. Dans les Deux-Sèvres, une soixantaine d’enseignants sur les 450 que comptent les sept circonscriptions ont mis en place une classe dehors.
Une tendance qui devrait se propager, puisqu’en plus d’être bénéfique pour les enfants, elle les sensibilise à leur environnement.
« C’est seulement si un enfant prend du plaisir dehors, qu’il aura envie d’en savoir plus, et de protéger la nature. » soutient Crystèle Ferjou.
Et si la prochaine source d’inspiration était le Bhoutan, seul pays au monde au bilan carbone négatif ? Une partie de la journée à l’école y est consacrée à « l’éducation environnementale ».