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Face à la crise, la grève des loyers se propage

Selon les organisateurs, « la grève généralisée des loyers serait sans nul doute la forme de solidarité la plus aboutie que nous pourrions observer lors de ce confinement pour les personnes qui sont confinées chez elles toute la journée et qui ne travaillent pas ou plus. Et en ces temps si troublés, tout le monde s’accorde à dire que la solidarité est essentielle et est peut-être même la seule chose qu’il nous reste. »

L’ampleur de la crise actuelle et la perte considérable de revenus pour des centaines de millions de personnes ont fait ressurgir le phénomène des grèves de loyers, qui avait disparu de la vie publique depuis les années 1980. Dans les pays les plus touchés par l’épidémie, de nombreux collectifs et syndicats s’organisent pour lutter contre une précarité locative qui paraît inévitable. Ils appellent leurs gouvernements à la suspension sans report des loyers pour les plus pauvres et à des mesures inédites de solidarité.

La pauvreté créée par le confinement

Depuis le début du confinement il y a trois semaines, cinq millions de salariés ont eu recours au chômage partiel, ce qui représente environ un quart des emplois du secteur privé français. Le dispositif mis en place par l’État est censé éviter une vague massive de licenciement comme aux États-Unis, où 10 millions de personnes ont perdu leur travail en l’espace de deux semaines.

En France, les chômeurs ne seront indemnisés qu’à hauteur de 70 % de leur salaire brut, ou 84 % de leur salaire net, un manque à gagner estimé par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) à 216 euros mensuels par salarié, soit 1,2 milliard d’euros si l’on additionne l’ensemble des ménages concernés.

Mais l’impact du confinement sur le travail ne s’arrête pas là. Selon l’OFCE, presque un million et demi de travailleurs connaissent une baisse d’activité importante à cause des restrictions de liberté et ne peuvent cependant prétendre qu’à une aide forfaitaire plafonnée à 1 500 euros.

Enfin, 150 000 personnes employées en contrat court (CDD, fins de mission d’intérim, fins de période d’essai, stages, etc.) ou au black ne pourront recevoir aucune indemnité d’État et figureront parmi les plus durement touchées par la crise.

Tous les domaines économiques accusent en ce moment le choc du confinement, à commencer par ceux du tourisme, de la restauration et du commerce de détail. Si de nombreuses personnes parviennent à joindre les deux bouts (pour combien de temps ?), d’autres, souvent les plus précaires, ne peuvent supporter une baisse supplémentaire de leurs revenus, qui s’ajoute à des salaires minimums déjà faibles et bien en-deçà du coût réel de la vie.

L’impact de la pandémie varie considérablement de pays en pays, en fonction des aides économiques mises en place plus ou moins tôt, plus ou moins libéralement par les pouvoirs publics. Cependant, une chose est sûre : partout dans le monde, c’était inévitable, les mesures drastiques des gouvernements font augmenter la précarité, en particulier chez ceux où elle avait auparavant pris du terrain.

Chômage, retards de paiement, absence de compensation, cessation temporaire d’activité, la conséquence principale de cette « hibernation » est une baisse généralisée des rentrées d’argent, et pour de très nombreuses personnes, une impossibilité de payer le loyer et les factures énergétiques, qui atteignent d’ailleurs des sommets après une décennie d’inflation.

Face au risque inéluctable de défauts de paiement et d’expulsions, qui seront l’un des effets collatéraux les plus violents de la crise, dans le monde entier, des collectifs, organisations et syndicats ont appelé les États à geler les loyers en cours des parcs publics et les locataires les plus modestes à participer à une grève des loyers de grande envergure.

Old Town, Calp, Spain – Crédit : Sam Williams

Grève des loyers : une idée venue d’Espagne

En Espagne, pays très durement touché par l’épidémie et confiné depuis le 14 mars, les syndicats de locataires ont engagé les familles et les travailleurs vulnérables à prendre part à une grève des loyers à partir du 1er avril.

Le 15 mars, un plan d’urgence avait pourtant été déclenché par le gouvernement. Il prévoyait notamment des crédits à taux zéro, des aides ponctuelles de l’État et la suspension des expulsions pendant six mois. Mais ces mesures ont été jugées insuffisantes par les syndicats, qui estiment que les loyers, qui ont connu une augmentation indécente ces dernières années (en moyenne de 40 % depuis 2013), devraient être adaptés au ralentissement général de l’économie.

Dans la perspective d’une avalanche inédite de défauts de paiement pour les logements et les locaux en location, ces initiatives de grève des loyers, qui pourraient se généraliser dans le pays, ont pour but de faire pression sur le gouvernement. Mais le phénomène, à la frontière de l’illégalité, est totalement nouveau et on ne sait pas encore dans quelle mesure il aboutira.

À Lisbonne, la municipalité a choisi de suspendre les échéances des logements sociaux, au nombre de 24 000 dans la capitale, jusqu’au mois de juin. Après cette date, les locataires auront dix-huit mois pour s’acquitter, sans aucun intérêt ni pénalité. Une petite avancée.

Au Canada, et plus particulièrement au Québec, un mouvement identique s’organise. Le symbole de la grève des loyers y est figuré par un drap blanc que les locataires accrochent à leur balcon. Dans le même temps, une équipe de bénévoles a élaboré une plate-forme numérique permettant à ceux qui désirent rejoindre l’initiative de s’inscrire et de s’engager à ne plus payer leur loyer.

Les organisateurs prévoient qu’au Canada, « plus d’un million de personnes seront contraintes à ne pas payer leur loyer ou à s’endetter pour le faire », un endettement intenable, quand on sait qu’un grand nombre de locataires dépensent déjà la majeure partie de leur salaire pour payer des loyers qui ne cessent d’augmenter.

Les grévistes réclament du gouvernement l’annulation sans report du paiement des loyers et la suspension des hypothèques et des saisies, durant toute la période de la pandémie. À contexte exceptionnel, décisions exceptionnelles ? Le gouvernement canadien semble malheureusement contraire à ces mesures et devrait opter pour des solutions en demi-teinte comme en Espagne. Le bras de fer est lancé.

Le mouvement de grève des loyers va-t-il gagner notre pays ? En France, l’étincelle est partie de Toulouse, à la fin du mois dernier. Le collectif « On ne paie plus 31 » a été mis sur pied et exhorte désormais ceux qui ont été privés de l’intégralité ou d’une partie de leur salaire à ne plus honorer leurs échéances locatives ou énergétiques, du moins tout le temps que durera le confinement.

« Si d’habitude on galère déjà à payer nos loyers, le confinement actuel fait que pour beaucoup d’entre nous cela devient carrément impossible », rappellent les membres du collectif.

Depuis une semaine, l’initiative semble se communiquer peu à peu sur tout le territoire. Une page nationale, « Grève des loyers 2020 », a été créée pour diffuser l’information et mettre en branle les syndicats et les associations locales. Selon les organisateurs :

« la grève généralisée des loyers serait sans nul doute la forme de solidarité la plus aboutie que nous pourrions observer lors de ce confinement pour les personnes qui sont confinées chez elles toute la journée et qui ne travaillent pas ou plus. Et en ces temps si troublés, tout le monde s’accorde à dire que la solidarité est essentielle et est peut-être même la seule chose qu’il nous reste. »

Encore timide et peu structuré, le mouvement pourrait prendre de l’ampleur dans les prochaines semaines. Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, en France, 4 millions de personnes sont « mal logées » et 12 millions « en situation de fragilité » par rapport à leur logement. Pour les « mal-logés », le confinement est un calvaire insoutenable, une catastrophe pure et simple, à laquelle s’adjoint un risque exacerbé de contagion.

Comme l’explique le journal Reporterre, deux facteurs accélèrent la transmission des virus : le taux d’occupation par pièce et l’état du système immunitaire des occupants. Les habitants de logements vétustes ou insalubres sont donc les plus exposés à la maladie. Leur ôter l’inquiétude du défaut de paiement et la crainte d’une future expulsion ne serait donc pas seulement un geste de solidarité mais un témoignage d’humanité.

Augustin Langlade

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