Notre monde tourne et ses habitants aussi ; depuis toujours, les mouvements migratoires sont une réalité humaine. Seulement, les préjugés déshumanisent ces hommes, femmes et enfants qui tentent de fuir des situations catastrophiques. A quel moment avons-nous remplacé ces vies par des chiffres en noir sur blanc ?
L’Homme, animal migrateur
240 millions de personnes, soit 3% de la population mondiale, ont migré pour des questions politiques, économiques ou de survie et ne vivent plus dans leur pays de naissance. Ce chiffre prend en compte les migrants, les demandeurs d’asile, les réfugiés et les déplacés intérieurs. Si cela semble beaucoup, il est temps de prendre un peu de hauteur : les migrations n’ont rien de nouveau. C’est d’ailleurs par des migrations massives qu’a commencé l’histoire de l’humanité ! Par ailleurs, à la veille de la Première guerre mondiale, en 1913, les migrants représentaient 5% de la population mondiale !
Lors du 19ème siècle, 50 millions d’Européens ont voulu fuir la pauvreté et la famine en rejoignant les Etats-Unis, le Canada, l’Argentine ou le Brésil, soit un déplacement de 12% de la population européenne qui s’est lancé à la conquête de l’American Dream ! L’Homme réagit comme n’importe quel animal migrateur : s’il n’est plus en capacité de vivre sur sa terre d’origine, il doit en rejoindre une autre pour sa survie. En parlant de survie, ces 5 dernières années ont été empreintes de 14 conflits violents et meurtriers ; les populations tentant de les fuir sont tout simplement refoulées.
En 2014, 53 millions de personnes vivent loin de chez eux, soit 3 fois plus qu’il y a 10 ans, en 2004. Si cela semble considérable, cela ne représente finalement que 0,7% de la population mondiale – parmi ces personnes, seulement 26% d’entre eux sont des réfugiés – soit accueillis par un tiers pays après avoir fait une demande d’asile. 60% d’entre eux ou 32,2 millions de personnes ne sont autres que des déplacés intérieurs qui cherchent d’abord refuge dans leur propre région. En Syrie, cela représente 7,6 millions soit 1/3 de la population du pays et 6 millions en Colombie. En 2010, moins d’un réfugié sur 5 vivait hors de sa région d’origine.

Définitions :
– Un migrant est une personne qui s’est déplacée dans un autre pays. Il est en situation régulière s’il a un permis de travail et irrégulière s’il n’en a pas.
– Un réfugié est une personne ayant quitté son pays pour cause de violence et a demandé la protection d’un autre Etat que le sien.
– Un demandeur d’asile est une personne ayant quitté son pays pour cause de violence et a demandé la protection d’un autre Etat que le sien et ne l’a pas encore obtenu.
Crispation européenne
En 1997, l’espace Schengen est mis en place ; les pays s’engageant à coopérer sur le plan policier, judiciaire et celui du contrôle de l’immigration clandestine, difficile alors de ne pas évoluer à l’unisson. En 2014, 219 000 exilés, soit 0,4% de la population mondiale se sont rendus en Europe parfois après un périple de 2 ans – entre janvier et août 2015, on passe à 350 000. Cette hausse est due à l’intensification des conflits syriens, irakiens, burundais ou ukrainien ou de l’enlisement de situations invivables en Somalie, Afghanistan, Ethiopie…
C’est cette hausse soudaine et fortement médiatisée qui a crispé l’Europe et ses habitants – la politique se durcit à travers le continent : des murs barbelés et armés s’érigent entre la Hongrie et la Serbie, la Slovénie et la Croatie, et l’Autriche et la Slovaquie ont renforcé les contrôles aux frontières. Petit à petit, les autres pays européens suivront en mettant en place des programmes de refoulement ou en renforçant les contrôles frontaliers. En 2004 était déjà créé Frontex, l’Agence européenne de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne suivie en 2013 par le programme Eurosur, système européen de surveillance qui utilise des drones avec détecteur de battements de cœur, satellites ou hélicoptères. La peur guide alors l’orientation des programmes européens : en octobre 2013, la marine italienne lance un projet financé pour sauver les exilés sur les eaux grâce à un financement à hauteur de 9 millions d’euros par mois et sauve des milliers de vies flottantes sur la mer du milieu (Méditerranée). Ce n’est qu’un an plus tard que ce projet est réduit à néant et a été remplacé par un programme de surveillance et de refoulement, financé lui à hauteur de 3 millions d’euros par mois. Le sauvetage devait être trop cher.

Business illégal, meurtrier et juteux
Ce changement de cap européen ne permettra pas de faire faiblir la fuite des migrants vers un rêve d’avenir meilleur. Cependant, c’est le jackpot pour les passeurs qui profitent de la situation ; pour une famille, la survie n’a pas de prix. Pour traverser la Méditerranée, comptez entre 700 et 2 000 euros avec une option (oui, oui, une option) pour le téléphone satellitaire (250 euros) et le gilet (170 euros par tête). A Calais, certains passeurs proposent des places VIP dans les cabines avec les conducteurs de camion, ainsi qu’une seconde chance en cas d’échec pour la coquette somme de 20 000 euros. Depuis l’an 2000, les migrants auraient dépensé plus de 15,7 milliards d’euros pour atteindre leur destination – parmi eux, 22 000 ont perdu la vie, dont 75% en Méditerranée. La non-existence de voies légales et sures ne fait pas baisser l’arrivée des migrants mais la rend bien plus sanglante.
Complaisance dans l’illégalité générale
Petit reminder : le droit d’asile est universel et inconditionnel, il prime lorsque tous les autres droits humains ont été bafoués. En 1951, la Convention des Nations Unies instaure entre autres, le principe de non refoulement, soit l’interdiction de renvoyer des migrants dans des pays où ils peuvent être persécutés. Les Etats se doivent légalement de proposer l’asile et sont responsables de mettre en place de dignes conditions d’accueil (se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner et s’éduquer). Les personnes reconnues comme réfugiés doivent être protégés par l’Etat hôte en attendant leur retour au pays. Si les situations de conflits sont déclarées trop longues, les réfugiés peuvent théoriquement bénéficier du droit de reconstruire une nouvelle vie dans le pays d’accueil, notamment via l’acquisition d’une nationalité.
Seulement, ces dispositions sur papier glacé butent sur le droit de souveraineté étatique au nom de leur propre indépendance. Si la majorité des pays s’accordent sur un respect des conditions d’accueil en théorie, ils changent de cap lorsqu’il est temps de passer à la pratique. Si la convention 1951 énonce, elle n’inclut aucune mesure punitive en cas de non-respect des closes ; les pays mettent en place des procédures insuffisantes voire restrictives. L’Union européenne a choisi le contrôle sur la protection : opérations conjointes aux frontières grecques, surveillance de la Méditerranée, financements nationaux des programmes de contrôles aux frontières, coopération avec la Lybie.
Les conditions d’accueil, lorsqu’elles existent, sont déplorables et trop peu nombreuses. Par exemple, les pays accueillant des millions de personnes fuyant la situation en Syrie tels que le Liban, la Turquie, la Jordanie, l’Egypte, l’Irak ou la Lybie incubent des terribles conditions : mariages forcés, travail des enfants, accès limité aux denrées de base ou aux soins médicaux, détention… La vie des migrants est rythmée par la terreur. Pour casser les idées reçues d’ailleurs, les principaux mouvements des réfugiés ne vont pas du sud vers le nord mais se font dans les pays limitrophes et les pays en développement, le plus grand pays d’accueil étant la Turquie.
Le pire mur est celui érigé dans nos têtes
Les médias et les hommes politiques parlent des migrants d’une telle manière qu’on n’y voit plus que des chiffres, des situations générales plutôt que des humains. Les préjugés sont larges et ont la belle vie, tordant clairement le cou à ces hommes, femmes et enfants qui vivent déjà l’enfer depuis trop longtemps.
On parle de clandestins, de resquilleurs, d’envahisseurs, on parle de flux, d’invasion, de vagues, d’afflux, on condamne ceux qui les aident à passer comme s’ils faisaient entrer une maladie dangereuse. On parle de migrants qui abusent du système ou qui sont une menace pour la sécurité nationale.
On parle bien moins de personnes qui ont du faire le choix le plus difficile de leur vie en quittant leurs repères, leurs chez eux, en emmenant leur vie dans une valise pour se rendre dans des destinations où personne ne veut d’eux. Si le nombre de réfugiés a atteint un record historique, il ne représente que 0,3% de la population mondiale – cela signifie qu’une volonté de la communauté internationale permettrait d’accueillir simplement et dignement ceux qui vivent le pire dans leur pays d’origine. Grâce à un partage pertinent des responsabilités, il est possible de ne pas constituer une masse de personnes sacrifiées, flottante et perdue. Economiquement, politiquement et humainement, il est possible et même indispensable de respecter le droit d’asile, d’accueillir ces personnes fuyant le pire et de faire passer la solidarité au-delà de la peur destructrice de notre nature.
Crédits Photos : HCR/A.Zavallis

Pour commander notre Manifeste, cliquez sur l’image !