Quand on parle de « crise des migrants » ou crise migratoire, on fait référence à l’augmentation sans précédent du nombre de migrants/réfugiés venant d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud et sa gestion catastrophique par l’UE depuis les années 2010. En 2015, l’année « pic » de la crise migratoire, le Haut-Commissariat aux Réfugiés a comptabilisé 1.005.504 migrants venus rejoindre l’Europe. Ces migrations massives sont toujours corrélées à des conflits, des catastrophes écologiques ou des changements climatiques sur le long terme.
Là, on arrive aux premiers problèmes que posent cette crise, à savoir : comment on les appelle au fait ? Des migrants, des réfugiés, des réfugiés politiques, des migrants économiques, des déplacés environnementaux ? Et bien sûr, qui va les accueillir ? En attendant, pendant que les grandes institutions se battent pour leur trouver un nom et une place, il y a des gens qui connaissent vraiment l’enfer dans leur trajet pour gagner le territoire européen. Il y a deux routes migratoires principales : la Route des Balkans (terrestre) et la Méditerranée orientale (maritime)
La Turquie représente actuellement le véritable pays de transit entre les pays de migration (Syrie, Erythrée, Afghanistan, …), c’est pourquoi l’UE a dû renforcer ses relations avec la Turquie pour que l’opération de « traitement » des réfugiés se passe au mieux (vérifications de demandes légales d’asile notamment). Aujourd’hui, la crise des migrants est même devenue un marché, et un marché très rentable, plus encore que celui de la drogue.

Les causes des migrations
On a tendance à isoler les causes migratoires, à dire qu’il y a d’un côté les réfugiés politiques, de l’autre les migrants économiques, les déplacés environnementaux, etc. Mais en réalité, beaucoup de gens se battent aujourd’hui pour unifier le statut des réfugiés, faisant valoir que les migrations sont toujours multi-factorielles, c’est-à-dire que les gens ne partent pas sur un coup de tête, ils prennent en considération une multitude d’éléments, de même qu’un conflit tire généralement sa source dans d’autres raisons que des raisons purement politiques.
D’abord, il y a bien sûr les conflits qui contraignent les populations en danger à quitter leur foyer. Ainsi les « vagues de migration » ont systématiquement suivi les conflits qui se sont déclenchés ou ont empiré. Par exemple, après la première guerre civile libyenne (15 février 2011-23 octobre 2011), le Haut- commissariat aux réfugiés (HCR) estime qu’un million de personnes ont fui entre février et juin 2011 (la majorité a fui en Tunisie et en Egypte, seulement 18 000 en Europe). Le cas le plus connu et le plus proche de nous reste bien sûr la guerre civile syrienne.
À la fin de l’année 2015, le HCR évaluait à 5 millions le nombre de réfugiés syriens, du jamais vu. Et c’est sans compter les 7,6 millions de déplacés syriens (ceux qui ont fui les combats mais sont restés à l’intérieur du territoire) et les 220 000 morts ; en tout, cela fait presque 13 millions de personnes forcées de quitter leur foyer, sur une population totale (avant le conflit) de 22,8 millions d’habitants. C’est plus de la moitié de leur population qui a été forcée de migrer (à l’extérieur ou à l’intérieur de leurs terres).
Bien sûr, la cause directe de ces migrations, c’est les atrocités commises par le régime de Bachar el-Assad et la montée en violence dans les affrontements contre les rebelles, mais pour François Gemenne, on oublie de prendre en compte certaines causes de ce conflit. Il rappelle qu’entre 2006 et 2011, la Syrie a connu une grande sécheresse qui a mené à un fort exode rural, une augmentation de la pauvreté et un endurcissement des tensions sociales.
« Cette combinaison de changements économiques, sociaux, climatiques et environnementaux a érodé le contrat social entre les citoyens et le gouvernement, catalysé les mouvements d’opposition et irréversiblement dégradé la légitimité du pouvoir d’Assad », estiment Francesco Femia et Caitlin Werrell, du Centre pour le climat et la sécurité.
Même si les modifications climatiques n’expliquent pas tout, on sait tout de même que le changement climatique est un facteur aggravant des crises politiques, tensions sociales, économiques etc. On doit donc s’attendre à ce que cette crise migratoire dure, ou même s’accélère de plus en plus avec le réchauffement climatique.
Il est difficile d’avoir une estimation chiffrée sur ce que représenterait le nombre de déplacés environnementaux dans les prochaines années (notamment parce qu’aucune ONG n’a le droit d’obtenir les statistiques sur les déplacements internes des pays) mais les prédictions qui ont été faites varient de 200 millions à 1 milliard de déplacés environnementaux d’ici 2050 (cf. « Les réfugiés climatiques » dans La Relève et la Peste n°1), sachant qu’entre 16,7 et 42,3 millions de personnes ont migré chaque année (chiffres basés sur 2008 à 2012) à cause de catastrophes naturelles (sans prendre en compte les changements lents de l’environnement.

Very bad trip
Ainsi, pour fuir leur pays et rejoindre des territoires plus sûrs, le défi va être d’obtenir le fameux statut de réfugié via la demande de droit d’asile. Or, les ambassades n’ont pas le droit de délivrer ce titre, il faut se rendre immédiatement sur le territoire en question pour justifier de
« craindre avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».
C’est ce qui distingue notamment les réfugiés politiques des migrants économiques, qui eux, ont pour seules motivations des questions économiques (d’après la terminologie).
Les personnes souhaitant fuir leur pays sont alors contraintes de faire appel à des passeurs pour tenter coûte que coûte la traversée de la Méditerranée. Et la loi de l’offre et de la demande s’est appliquée comme partout : avec l’augmentation de la demande de traversées après le chaos en Libye ou en Syrie, il y a eu une véritable professionnalisation des passeurs, et les réseaux illégaux sont passés sous le joug des mafieux menant à des actes de cruauté sans précédent (viols, abandons en mer, conditions inhumaines). Malgré ces passeurs « professionnels », les tragédies se sont enchaînées, notamment au large de l’île de Lampedusa (Italie), faisant des centaines de morts à chaque fois (environ 700 morts en avril 2015 à bord d’un chalutier)…
La gestion européenne de la crise ou le désastre
On n’arrête pas de répéter « la crise des migrants est avant tout une crise de l’identité européenne ». C’est vrai, dans la mesure où l’UE est incapable de se mettre d’accord pour répondre clairement et efficacement à ce problème humain sans précédent. Mais l’UE se fiche un peu du monde aussi : alors que la Turquie a accueilli environ 2 millions de réfugiés syriens, l’UE s’est mise d’accord pour se répartir généreusement 120 000 réfugiés (ce qui ne représente rien, en tout l’UE a accueilli environ 250 000 réfugiés depuis le début de la crise).
L’UE a commencé à réellement s’occuper de la crise migratoire seulement après l’accident de Lampedusa d’avril 2015. Jusque-là, les Etats européens se reposaient presque entièrement sur la Turquie pour la gestion des migrants. C’est alors que le 23 avril 2015, une réunion exceptionnelle du Conseil des ministres a eu lieu, pendant laquelle les pays ont voté pour la répartition équitable de 120 000 migrants (parce qu’ils n’arrivaient pas à un consensus, à cause des pays d’Europe de l’Est, comme la Hongrie, nationalistes ou du moins attachés à leur homogénéité culturelle).
Ils décident également de renforcer le contrôle aux frontières (Frontex) et les opérations de secours en Méditerranée pour éviter d’autres drames, et mettent au point un accord avec la Turquie dans lequel ils accordent un versement de 3 milliards d’euros à la Turquie pour qu’elle soit plus efficace dans le « tri des migrants » et leur relocalisation dans les pays européens.
Ce « tri » consiste à départager les véritables « réfugiés politiques » des « migrants économiques » ou encore des éventuels terroristes. Dans ce même but, des « hotspots » ont été mis en place dans les pays européens en première ligne tels que la Grèce et l’Italie. Mais l’accord avec la Turquie, loin d’être un acte désintéressé (et des deux côtés) repose en fait sur un calcul politique : la Turquie a accepté de renforcer son contrôle en mer et d’accueillir les migrants qui atterrissaient en Grèce. Mais en échange, Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne, a promis de rouvrir les négociations sur l’entrée de la Turquie dans l’UE, et de donner la possibilité aux ressortissants turcs de voyager en Europe sans visa. Plusieurs problèmes se posent alors : cet accord arrive justement au moment où Recep Tayyip Erdogan, président de la République de Turquie, enchaîne les abus, commence à se prendre pour un empereur, bafoue les droits humains et envisage de rétablir la peine de mort (donc rediriger les migrants là- bas n’est sans doute pas un cadeau).

Il serait faux de dire que l’Europe n’a rien fait du tout pour répondre à la crise des migrants mais leurs mesures montrent bien qu’ils sont loin d’adopter des réponses à la hauteur de la crise : pour le continent des droits humains, c’est un peu ballot… Et quand on voit le traitement des réfugiés dans les zones de transit, comme la jungle de Calais ou de Grande-Synthe, qui se sont formées avec les fermetures de frontières de la Grande-Bretagne, on se dit qu’on est bien loin d’une politique commune européenne, puisque chacun se renvoie la balle tour à tour.
Par ailleurs, les médias jouent aussi leur rôle dans cette perception apeurée des migrants. Il suffit de voir le vocabulaire utilisé, on parle de « vague », de « crise » ou même de « nuée » (D. Cameron), ce qui contribue à alimenter la vision d’un phénomène incontrôlable dont il faut se défendre. F. Gemenne parle de « xénophobie d’Etat ».
Cela se reflète dans les politiques adoptées par l’UE qui consistent seulement à endiguer le phénomène en renforçant les contrôles, la sécurité en mer, mais à côté de cela, rien n’est fait pour harmoniser leur politique d’asile (à chaque pays, une demande de droit d’asile différente), ce qui rend la tâche administrative considérable, coûteuse en énergie et en temps. On pourrait envisager de mettre au point des routes migratoires « légales », encadrées par les pays membres, mais au lieu de cela, on essaie de lutter contre un problème : celui des passeurs, et des navigations illégales en Méditerranée, qui est insolvable.
« Faut-il ouvrir des couloirs d’immigration légaux avec un système de quotas ?
Oui, pour trois raisons. Un, parce que l’UE en a besoin pour son dynamisme social et économique. Deux, parce que c’est la meilleure manière de lutter contre les passeurs et d’éviter les morts en Méditerranée. Trois, parce que l’UE a une obligation morale – comme continent prospère, de paix et de sécurité – de permettre à d’autres qui n’ont pas eu cette chance de s’y installer. L’UE ne peut cautionner que le destin des uns et des autres soit uniquement déterminé par le fait qu’ils sont nés sur la rive nord ou sud de la Méditerranée.
On pourrait (et on devrait) relativiser cette « crise » en rappelant à nos chers dirigeants que cette « crise migratoire » que connaît l’Europe aujourd’hui est semblable en bien des points aux flux migratoires de la Seconde Guerre Mondiale. Pendant cette période, on considère que plus de 60 millions d’européens (notamment belges, français, luxembourgeois) ont migré pour fuir les atrocités de la guerre (la seule différence est qu’à l’époque, on ne faisait pas encore la distinction entre les migrants – qui vont d’un pays à un autre – et les déplacés – qui migrent au sein de leur pays). On compte donc parmi ces migrants, tous les français du nord de la France qui sont descendus dans le Sud, notamment pendant le Grand Exode de 1940.
Ces deux situations ne sont pas complètement comparables, mais permet de comprendre le vécu des migrants. On peut dire que :
– Cette nouvelle migration est dûe à une nouvelle forme de guerre qui s’en prend directement aux civils,
– Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les migrants parcouraient environ 500km et on estime que près de 90 000 enfants ont été perdus sur les routes ; aujourd’hui, les migrants syriens doivent parcourir près de 5 000 km, ce qui laisse imaginer l’ampleur des effets collatéraux…
– Il y a eu des discours moralisateurs : le maréchal Pétain qui traitait ces réfugiés de « fuyards […] dominés par la crainte et la volonté d’échapper à l’ennemi »; Le Pen compare les migrants à des gens qui « changent votre papier-peint, volent votre portefeuille, et brutalisent votre femme »
On va pas se mentir, même s’ils étaient blancs, les réfugiés du nord de l’Europe sont loin d’avoir toujours été accueillis à bras ouverts :
« Bien des Français n’aimaient pas ces gens du Nord, que certains avaient déjà appelés les « Boches du Nord » en 1914, ni ceux de l’Est qui avaient un accent… Et dès lors que l’exode a viré à la panique, en juin, il y a eu des abus. Il n’y avait pas de passeurs mais des Français faisaient payer une fortune un simple verre d’eau. Des réfugiés qui squattaient des fermes abandonnées se faisaient déloger à coups de fusil, des paysans partis avec leur vache pour donner du lait aux enfants se la faisaient voler dans la nuit, etc. »
Le jeu financier autour de la crise humaine
Et pour rattraper les erreurs de nos hommes politiques, il ne faut pas compter sur certaines entreprises privées ! Nombreuses sont celles qui ses ont enrichies sur la misère des migrants. Pour simplifier, les États sont obligés de faire des appels d’offre auprès de sociétés privées pour trouver des logements aux réfugiés. Des entreprises privées vont donc mettre au point des structures d’hébergement selon les normes fixées par les États et recevoir des subventions pour financer l’hébergement des migrants. Et bien sûr, les entreprises s’en sont frottées les mains ! Un reportage Envoyé Spécial (« Qui veut gagner des migrants ? ») a été diffusé à ce propos, sur ce « marché des migrants » qui s’est développé aussitôt que la crise a commencé à prendre de l’ampleur. Et c’est absolument consternant. C’est tout un business qui s’est créé autour de l’hébergement des migrants et qui nous concerne directement puisque l’argent détourné, c’est celui du contribuable…
En Italie, le principal protagoniste est un certain Nicola Odevaine, ancien haut-fonctionnaire italien, actuellement en procès pour corruption. En effet, il a intégralement rédigé les conditions soumises par l’appel d’offre de l’État auprès des sociétés privées, et comme par hasard, l’appel d’offre ne rendait éligibles que ses connaissances ! Il a alors détourné les flux de migrants vers les entreprises de ses connaissances (en échange de gros pots-de-vin) ce qui a permis à ces grosses entreprises de maximiser les profits. L’un des chefs d’entreprises concerné, qui a été mis sur écoute, aurait déclaré que le marché de migrants était plus rentable encore que celui de la drogue.
En Suède par exemple, il y a Bert Karlssen, un ancien député anti-immigration qui a fait de l’hébergement et du travail des migrants son business. La Suède est le pays qui accueille le plus de migrants proportionnellement, mais l’État ne dispose pas d’assez de locaux publics pour garantir l’accueil de tous ces réfugiés. Elle a donc été forcée de faire appel aux entrepreneurs privés, tel que Jokarjo, l’entreprise de B. Karlssen. Au moment où l’Etat a commencé à faire des appels d’offre, il payait près de 64 euros par migrant par jour ; B. Karlssen a donc pu faire l’appel d’offre qu’il voulait et a fixé son prix à 32 euros par jour. Mais avec la montée en flèche des arrivées de migrants, il a étendu son business en rachetant des locaux, en achetant des surgelés en gros etc. (il a donc fait baissé les coûts) et, alors que son marché représentait plus de 100 millions d’euros, il se faisait aussi environ 12% de bénéfices (sur le dos des contribuables, et sur la misère des migrants évidemment).
On se dit qu’avec ça, il aurait pu accueillir les migrants dans des conditions décentes, mais non, d’après les images d’Envoyé spécial, les migrants se partagent 3 éviers et 4 lavabos à 175 … « C’est un marché, le migrant ! » clamait, cynique, le PDG d’une PME qui construit des containers pour les migrants du camp de Calais. La solidarité ne semble pas faire partie de leur vocabulaire.
Voilà, nous allons entendre que « c’est la loi du marché », que l’État ne peut rien faire. Mais en attendant la France a annoncé qu’elle refusait d’accueillir plus de 30 000 migrants, a démantelé les camps de Calais et de Grande-Synthe et le contrôle aux frontières est hautement renforcé. On cherche donc à nous faire comprendre que nous ne sommes pas en mesure d’accueillir plus de migrants, ou de les accueillir dans des conditions plus décentes, laissant des entreprises sournoises s’enrichir sur les derniers espoir d’hommes, de femmes et d’enfants en danger.
Pour récapituler :
– La crise des migrants est d’abord liée aux conflits au Moyen-Orient, certes, mais elle est aussi largement due aux modifications de l’environnement (réchauffement climatique, sécheresse, pauvreté, tensions sociales, guerre civile) : il serait mieux de trouver des solutions environnementales à long terme si on ne veut pas que cela se transforme en un chaos mondial
– La crise des migrants est un jeu géopolitique entre pays européens et entre l’UE et la Turquie : ils font leurs petits arrangements, nous laissant croire qu’ils font au mieux, mais en réalité, sont largement inefficaces
– Les partis populistes jouent la carte de la peur des migrants, entretiennent la xénophobie, mais oublient qu’il y a un siècle pendant la Seconde Guerre Mondiale, nous étions dans le même désarroi
– Au-delà du jeu politique, c’est aussi tout un business qui s’étend, des mafias gérant les passeurs illégaux, aux entreprises privées sollicitées par l’État faisant du profit sur le dos des contribuables et de la misère humaine.

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