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Des « experts » veulent geler le Smic : fini le coup de pouce, bonjour la baffe !

Mardi dernier, le groupe d’experts sur le SMIC a publié son rapport annuel sur la politique à suivre concernant le salaire minimum. Il y préconise une réforme visant à modifier, voire supprimer la revalorisation annuelle du SMIC, actuellement basée sur l’inflation pour les 20% des ménages les plus démunis et sur la moitié de l’évolution […]

Mardi dernier, le groupe d’experts sur le SMIC a publié son rapport annuel sur la politique à suivre concernant le salaire minimum. Il y préconise une réforme visant à modifier, voire supprimer la revalorisation annuelle du SMIC, actuellement basée sur l’inflation pour les 20% des ménages les plus démunis et sur la moitié de l’évolution du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBOE). Analyse d’une mesure aux objectifs controversés.

Chaque année, en janvier, le SMIC subit une indexation selon les évolutions de l’inflation et du pouvoir d’achat des professions et catégories supérieures (PCS) les moins aisées (ouvrier et employé). Cette indexation est nécessaire pour pouvoir garantir le maintien d’un certain niveau de vie aux salariés au SMIC, pour la grande majorité des travailleurs non qualifiés. Et c’est bien en cela que le rapport porte en lui une contradiction, puisqu’il affirme vouloir « lutter contre le chômage et la pauvreté », en préconisant une baisse des revenus pour les plus démunis. Les exemples pris pour illustrer les soi-disant « bénéfices économiques » de ce genre de réformes proviennent comme souvent de l’Allemagne et des Etats-Unis, deux pays où les résultats de l’action contre la pauvreté laissent pourtant à désirer, en témoigne le nombre croissant de travailleurs pauvres chez nos voisins germaniques.

Cette réforme du SMIC interroge donc quant à ses réels objectifs. Nous avons contacté Eve Caroli, une économiste qui a fait partie, pendant plusieurs années, de ce groupe d’experts sur le SMIC avant son changement de composition par décret du nouveau Premier ministre Edouard Philippe. Elle se questionne elle aussi sur les objectifs qui se cachent derrière cette proposition. Et distingue deux cas de figure possibles.

Le premier est que cette mesure serait un moyen de proposer une transformation en profondeur du SMIC. Selon elle, le salaire minimum tel qu’il est aujourd’hui (fixé par une loi étatique et qui s’applique dans tous les domaines) « n’est pas un instrument de lutte contre la pauvreté » car les plus démunis sont ceux qui n’ont pas de travail. Elle voit cette potentielle réforme comme bénéfique.

On suivrait ainsi l’exemple du Royaume Uni où le salaire minimum est fixé à différents niveaux selon les secteurs et les tranches d’âges. Cette fixation serait alors issue de négociations collectives entre les partenaires sociaux et s’établirait potentiellement à un niveau qui conviendrait à toutes les parties, si les rapports de force ne sont pas (trop) déséquilibrés. E. Caroli appuie ses propos en arguant que certains grands syndicats (en particulier la CFDT) sont favorables à cette réforme.

On suivrait alors le modèle britannique où c’est la Low Pay Commission, qui fixe chaque année la revalorisation du salaire minimum (https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/le-salaire-national-de-subsistance-un-nouveau-dispositif-de-revalorisation-des-bas-salaires-au-royaume-uni/). Celle-ci est composée d’universitaires et de représentants des organisations syndicales salariés et employeurs qui, selon la conjoncture économique (c’est-à-dire si on est en période plutôt expansive ou récessive), décide des évolutions du salaire minimum. Les économies occidentales (Angleterre, France…) donnant des signes de reprises, le Royaume Uni a vu son salaire minimum augmenter ces derniers mois, et cela pourrait se poursuivre si on suit les dires de E. Caroli.

Ici intervient alors la question qui introduit le second cas de figure annoncé : geler la revalorisation du SMIC dans une économie qui semble retrouver des couleurs, ne serait-ce pas une mesure à contre-courant de la reprise ?

Si la mesure n’est pas le levier d’une transformation en profondeur du salaire minimum, alors elle est non seulement immorale mais aussi économiquement contreproductive. «Mettre un coup de frein au SMIC, ce n’est pas du tout dans le sens de la conjoncture » dit E. Caroli. Si l’indexation du salaire minimum est juste purement et simplement supprimée, ce sera une mesure affreusement néfaste. Néfaste, car elle fera perdre du pouvoir d’achat aux ménages les plus démunis et empêchera de soutenir la reprise de l’activité par la consommation. Néfaste car elle ne fera qu’accroître la différence de salaire entre les smicards et les autres travailleurs. Cette différence augmente déjà du fait que la revalorisation annuelle du salaire minimum ne prend en compte que la moitié de l’évolution du salaire horaire de base ouvrier et employé. La supprimer totalement créerait un « véritable fossé entre les smicards et les autres » (E.Caroli).

Ce fossé pourrait aggraver les problèmes de non-reconnaissance et de manque de considération (anomie, dépression, suicide…) ressentis par les salariés au SMIC. Néfaste enfin, car elle perpétuerait la dynamique mise en évidence par Thomas Piketty dans Le Capital aux XXIème siècle, d’accaparement des bénéfices de la croissance par les classes les plus aisées. Accaparement qui amène des concentrations de capital de plus en plus fortes dans peu de mains (en particulier dans les fameux 1%) et ne fait qu’augmenter les inégalités. Ramenant la théorie du ruissèlement à ce qu’elle est, une théorie.

Demeure donc au fond une grande question, quel est le véritable objectif de ce rapport ? Il n’apparaît pas injustifié, au vu de de sa composition, de faire un petit procès d’intention à ce groupe d’experts « indépendants ». Nommé par un décret du Premier ministre (indépendant vous dites ?), il est présidé par Gilbert Cette, un économiste libéral, soutien affiché d’Emmanuel Macron. André Zylberberg fait également parti de ce groupe. Très orthodoxe, cet économiste est célèbre pour son pamphlet Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser, dans lequel il critique vertement et ouvertement tous les mouvements hétérodoxes qui tentent d’étudier l’économie en tant que science sociale et non comme une science dure.

On note ainsi une vraie tendance de ce groupe à pencher vers une vision très libérale de l’économie et du marché du travail. Tendance qui peut expliciter les objectifs de ce rapport qui semble donc vouloir tout simplement geler la revalorisation annuelle du SMIC, pour donner, encore un peu plus, de pouvoir aux entreprises.

On attend avec impatience que ce groupe d’experts s’empare avec autant de force de la question de la nécessaire limitation des revalorisations annuelles des salaires des grands patrons.

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Pierre Jequier-Zalc

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