Il compose, joue et chante des chansons. Pourtant, on dirait auteur compositeur interprète qu’on passerait à côté. C’est que les chansons de Elie se fabriquent dans des ateliers peu communs et se donnent dans des lieux improbables : une station service quand il marche Paris-Brest à pied, une laverie, un salon. Elles prennent le temps dont elles ont besoin. Elles peuvent faire sept minutes ou bien quelques secondes. Elles n’ont presque jamais de refrain.
Quand il est chanteur public, Elie écrit des chansons sur mesure pour les gens. Quand il est en spectacle, il raconte l’histoire d’un chanteur qui remonte la rue Oberkampf. Quand il anime les Lavomatic Tours, il offre, à qui vient laver une chaussette, un espace pour s’exprimer. Quand il anime des ateliers d’écriture pour les femmes d’une cité, il est le médiateur d’une histoire qui s’écrit en commun. Quand il va au Kurdistan, il se tait, et écoute.
Un matin de mai l’envie m’est venue d’abandonner tous mes bagages
J’ai passé la frontière pendant la nuit et je ne l’ai jamais regretté
Tant que mes pieds voudront bien me porter je continuerai mon voyage
Aujourd’hui le temps n’a plus d’importance je suis mon propre berger
J’ai perdu ma route pendant la nuit et je ne veux pas la retrouver
(La frontière, Elie)
Entretenir la diversité
On nous élève dans l’idée qu’il faut trouver une voie, un métier, une position sociale. Elie a choisi de rester fidèle à ce qu’il est plutôt que de changer sa manière d’être pour rentrer dans les normes exigées par son milieu professionnel.
Les producteurs m’ont souvent dit que j’étais dispersé, que je partais dans tous les sens, que je n’étais pas identifiable. Quand j’étais plus jeune je pensais évidemment qu’ils avaient raison. J’ai lutté pendant des années contre ma dispersion et je me suis rendu compte qu’elle revenait toujours par la fenêtre. C’est moi. Donc il faut arrêter d’en avoir honte, et s’en servir comme une richesse. Ce que maintenant je fais.
Comment tirer la production de chansons hors des étiquettes du système productiviste, du format traditionnel de trois minutes avec refrain et couplets, de la segmentation des publics ?

L’ordre consumériste nous incite à toujours appauvrir notre environnement en sectionnant l’offre : les chaînes radio, de télé, les salles, les festivals, diffusant le même type de musique pour cibler un public de gens qui se ressemblent. Elie s’applique au contraire à entretenir la diversité des formats de la chanson, des manières de la pratiquer, et des publics.
Ses Lavomatic Tours se sont répandus dans plusieurs villes de France, où chaque mois, les gens envahissent une laverie pour improviser une scène ouverte où chacun trouve sa place. Derrière cet amusement, Elie émet une vraie proposition politique.
Il parvient à réunir dans un même événement un enfant qui chante une chanson qu’il vient d’écrire, un circassien professionnel qui vient faire un numéro de jongle, un comique qui improvise, des enfants et des adultes, des professionnels et des amateurs, des amusants et des torturés, des timides et des exubérants, des gens d’ici et des gens d’ailleurs.
Quand tu réunis des gens très différents, ils ne peuvent pas se comparer. Donc ils ne sont pas dans l’ego, ni dans la peur. Alors ils s’écoutent et sont dans la bienveillance. C’est par différence que tu obtiens l’ouverture, et donc la paix.
Mais pour parvenir à ce résultat, il ne suffit pas de mettre les gens dans une pièce. Il faut ce qui est le véritable talent de Elie, et son véritable métier : être un passeur de la rencontre.
La chanson comme prétexte à la rencontre
Il suffit de quelques minutes pour s’en rendre compte : Elie sait rencontrer les gens. Il sait accueillir ce que les autres proposent, l’aborber, le déplier, en faire quelque chose à partager.
Ce que je vais chercher dans les chansons, les spectacles, les ateliers d’écriture ou le voyage, c’est toujours la même chose : qu’est-ce qui n’est pas moi ?
Elie m’invite un matin à assister à l’un de ses ateliers d’écriture avec les femmes d’une cité. Quand je me présente, je dis : “Je fais le portrait de Elie…” , mais la phrase semble incomplète. Une femme propose : “Elie et compagnie, car Elie n’existe pas sans compagnie !” Elie reconnaît qu’elle a touché juste.
Tout ce qui peut faire l’activité d’un artiste des mots, Elie le courbe pour le mettre au service d’un collectif, d’un petit nous. Elie est un canal, un passeur, un facilitateur de rencontres. Il nous montre qu’on peut détourner toute activité pour la mettre au service de nos valeurs.
“Être libre dans la proposition qu’on fait”
Chaque proposition artistique de Elie est une invitation à vivre autrement notre métier, notre société, nos voisins, nos autres. Pour chacune, Elie doit inventer un nouveau format et une économie.
Elie nous montre que pour chaque métier, il y a d’autres manières de faire à inventer. Pas pour se distinguer, mais pour mettre notre métier au service du partage plutôt que de la compétition. Et qui sait, c’est peut-être en cultivant la diversité de nos goûts, de nos talents, de nos savoirs-faires et des manières de les partager qu’on se sentira entier.
Pour écouter la version audio de Sarah Roubato

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