Dans le plateau de Millevaches, à cheval sur la Corrèze, la Creuse, et la Haute-Vienne, résonnent les luttes contre différentes formes de destructions du Vivant. Mais les militants écologistes y sont aussi stigmatisés dans le contexte de criminalisation croissante de l’écologie politique.
Le spectre de « l’ultra gauche »
À partir des années 1970 le plateau de Millevaches, déjà influencé par le communisme rural, voit l’arrivée de néo-ruraux en quête d’alternatives sociales et écologiques. Aujourd’hui encore, malgré sa très faible densité de population, le territoire est maillé par un réseau d’associations et de collectifs de luttes, stimulé par l’arrivée régulière de nouveaux habitants.
« À chaque élection c’est sur ce territoire qu’on a les meilleurs résultats, constate Catherine Couturier, députée La France insoumise (LFI) de Creuse entre 2022 et 2024 pour La Relève et La Peste. C’est un territoire où prospèrent les valeurs de rupture avec le système capitaliste. Il y a une vie associative très forte, une vie culturelle, une vie d’échange, de lien social, qui amène les gens à discuter, à débattre et à une prise de conscience politique », se réjouit-elle.
Néanmoins, dans un contexte national d’attaques régulières à l’encontre des défenseurs du vivant, les militants et habitants du plateau de Millevaches et des régions alentour subissent la stigmatisation et la criminalisation de l’écologie politique. Ils sont régulièrement accusés de violence et taxés de militants « d’ultra-gauche » par des médias, les autorités publiques ou des représentants politiques.
« Il y a une stratégie assez profonde dans l’État pour décourager tous les mouvements de défense de l’environnement qu’on assimile à des anarchistes, des activistes, des terroristes » déplore Thierry Letellier, éleveur à la retraite et maire de la commune de La Villedieu, en Creuse.
« Quand on analyse les élections, on voit bien qu’aujourd’hui, le plateau de Millevaches n’est pas le territoire de la Macronie, de la droite et de l’extrême-droite », complète Catherine Couturier. « Comme c’est un territoire plutôt favorable au vote radical, il faut abattre toute résistance et nuire à ceux qui l’animent », estime-t-elle.
Les préfectures de Creuse et Corrèze jouent ainsi la carte de la « répression » des militants de gauche et écologistes selon le journal local IPNS, proposé par des bénévoles habitants du territoire. Ce dernier sous-titrait son numéro de mars 2025 « Inquiétantes Préfectures Nous Suspectent » et dénonce régulièrement les vagues de suppression de subventions à des associations jugées trop militantes : harcèlement judiciaire, fichage de militants ou encore déploiement d’importants dispositifs policiers lors de mobilisations écologistes pacifiques. Le 5 octobre 2024, à l’occasion d’une manifestation « pour des forêts vivantes » la préfecture de Creuse avait déployé un dispositif policier jugé « disproportionné » par de nombreux manifestants.
Le député de Creuse Bartolomé Lenoir, depuis son élection en 2024, se positionne également en pourfendeur de « l’Ultra-Gauche ». Il utilise l’anti-écologisme comme argument politique et met en scène un clivage entre néo-ruraux écologistes et anciens habitants conservateurs. Ces « Français honnêtes » vivraient « dans la peur d’être squattés » par des « militants de la destruction » : « des individus qui considèrent nos agriculteurs comme des nuisibles ».
Des écologistes comme boucs émissaires
Dans ce contexte de stigmatisation régulière par des pouvoirs publics et des représentants politiques, les habitants perçus comme « écologistes » sont également pointés du doigt par des représentants de syndicats agricoles.
Sur le sujet clivant du retour du loup sur le plateau de Millevaches, certains représentants locaux de la FNSEA – syndicat majoritaire – et de la Coordination Rurale érigent ainsi « les écolos » en boucs émissaires. Ils les accusent notamment d’être à l’origine de l’introduction du loup en Limousin via des lâchers illégaux, suivis par le député Bartholomé Lenoir qui dénonçait « les écolos qui veulent réintroduire le loup ! », avant sa participation le 7 août 2025 à un rassemblement contre le loup ayant réuni plusieurs centaines de personnes à Millevaches, en Corrèze.
À l’inverse, certains habitants, y compris des éleveurs, imputent une partie de la responsabilité des attaques de loups sur le bétail à « l’inaction des syndicats ».
« Il y a beaucoup d’éleveurs sur le plateau qui réfléchissent aux moyens de se protéger », affirme l’une des membres de l’association naturaliste Carduelis. « Mais il y a des syndicats agricoles comme la FNSEA qui sont ouvertement dans l’immobilisme total. Ils ne sont pas là pour défendre les éleveurs. »
Dès 2018, la Chambre d’Agriculture présidée par Tony Cornelissen, membre de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) – branche locale de la FNSEA – avait refusé de participer à la cellule de veille sur le loup et de collaborer avec toute structure réfléchissant à la réduction du risque de prédation, freinant ainsi la possibilité de se préparer au retour des canidés.
En octobre 2017, les Coordinations Rurales de Corrèze et de Haute-Vienne avaient publiées un communiqué dans lequel elles qualifiaient de « traîtres » les éleveurs « défenseurs du loup » présents à une rencontre sur le retour du prédateur en Limousin, organisée par une association naturaliste locale proposant de réfléchir aux moyens de réduire la vulnérabilité des troupeaux.
« Quand on a réfléchi à l’arrivée des loups sur le plateau de Millevaches, c’était hyper compliqué de communiquer, de sensibiliser les éleveurs au fait que le loup soit un problème qu’on peut aussi aborder sans tout de suite vouloir l’éradiquer, témoigne Thierry Letellier. Plus le populisme monte et montre du doigt les écologistes, plus une partie du grand public s’empare de ces thématiques. Donc, effectivement, cela libère des fantasmes anti-écolos » regrette l’ancien éleveur d’ovins.
Ainsi, les personnes identifiées comme écologistes sont un objet de détestation pour certains habitants du territoire. « Un collègue m’a dit “si je vois un écolo dans mes parcelles, je sors le fusil ” », raconte ainsi une éleveuse du plateau de Millevaches.
Faux-la-Montagne, un bourg du plateau de Millevaches qui comporte de nombreuses associations – Crédit : Eloi Boyé
Des pressions et un sentiment d’impunité
Les naturalistes de l’association Carduelis racontent les menaces subies du fait de leur engagement pour la protection des loups : « On n’habite pas sur le plateau, et heureusement ! confie l’un d’eux. Hier, on y était : on est obligés de se faire très discrets. On s’est déjà fait suivre, et on a même été obligés de se cacher dans les bois par crainte de révéler où étaient les loups. Des gens menacent sur les réseaux sociaux de débarquer chez nous. », raconte-t-il, après avoir publié une pétition contre l’abattage des loups, massivement partagée.
Les naturalistes ont également vu une projection de leur film « La part du loup » au lycée forestier de Meymac annulée face à la colère de la FDSEA et des JA de la Corrèze qui dénonçaient « une propagande pro-loup ».
« Les syndicats ne s’attaquent pas uniquement aux écolos ou aux militants, mais aussi aux institutions de l’État », rappellent également un des naturalistes, évoquant les dégradations commises en novembre 2024 par des membres de la Coordination Rurale de la Creuse sur le bâtiment de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et de la Mutualité sociale agricole (MSA) à Guéret. Trois agriculteurs ont été condamnés en juillet à des amendes et – pour deux d’entre eux – à de la prison avec sursis pour des outrages et des dégradations.
Catherine Couturier témoigne également des détériorations de locaux subies du fait de son engagement en faveur de la protection du Vivant.
« Ma permanence parlementaire a été dégradée 5 fois, notamment par des membres de la Coordination rurale, de la FDSEA et Jeunes Agriculteurs, raconte-t-elle. Ils ont déchargé des tas de terre devant la porte, alors que mes deux collaborateurs étaient dans le bâtiment, enfermés ! »
L’ancienne parlementaire insiste sur l’impunité des membres des syndicats agricoles s’en prenant aux défenseurs de l’environnement : « Ils ont fait ça devant les journalistes et les forces de l’ordre, qui ne sont pas intervenues. La préfète, que j’ai eue au téléphone, a laissé faire alors que la FDSEA et les JA avaient annoncé qu’ils viendraient. Par contre, elle a donné l’ordre de charger lors la manifestation pour les forêts du 5 octobre à Guéret. »
« On voit bien le deux poids deux mesures, estime également Thierry Letellier. Les paysans peuvent absolument casser et saccager tout ce qu’ils veulent, mais les mouvements de défense de l’environnement et toutes les petites oppositions philosophiques sont taxé de terrorisme. »
Contactés, la préfecture de Creuse et le député Bartholomé Lenoir n’ont pas donné suite aux propositions d’entretiens.
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