Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

En 2028, la musique générée par l’IA captera 24 % des revenus des artistes

« En tant que guitariste, je joue avec une attaque puissante, en maniant le palm muting et l'angle du médiator, ou en modulant la pression des doigts sur l’instrument, pour façonner le son et le ressenti. L'IA est incapable de reproduire ce type d'articulation. Elle peut générer les bonnes notes, mais pas l'expression souhaitée », témoigne Jehangir Aziz Hayat, pour La Relève et La Peste.

Ces dernières années, la démocratisation des IA musicales, à l’instar de Suno et Udio, a questionné notre rapport troublé à l’art, voire à l’authenticité. Jusqu’à révolutionner les pratiques des musicien·nes se sentant exclu·es de l’industrie, que ce soit à cause des politiques de rémunération controversées des plateformes de streaming ou de la surproduction de contenus. Si aucun cadre législatif clair n’est défini, la CISAC (Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs) prédit qu’à l’horizon 2028, la musique fabriquée par l’IA captera 24 % des revenus des créateurs et créatrices.

Un outil d’aide à la création

Cette réalité fantasmée autour des IA musicales tend trop souvent à éclipser l’histoire de cette technologie, dont les prémices remontent aux années 80. À cette époque, le Pr. David Kopp avait déjà élaboré un système informatique pionnier, l’IMA (Integrated Music Analysis), capable d’étudier des partitions et des règles de composition, puis de synthétiser un morceau à partir de références données. Les outils interactifs modernes tels que OpenAI Jukebox, qualifiés de « génératifs » en raison de leur « vectorisation des signaux audio », sont arrivés sur le tard, au tournant de la décennie 2020.

La plupart intègrent des prompts en langage naturel, que composent les utilisateurs et utilisatrices, afin de produire des chansons répondant notamment à des critères de genre (hip-hop, rock, etc.). À ce titre, Philippe Astor, éditeur de la newsletter professionnelle Music Zone et enseignant à l’Institut des métiers de la musique (IMM), note que « l’on ne peut pas interagir avec le système en utilisant du langage musicologique. » Un discours auquel souscrit Jehangir Aziz Hayat, artiste pakistanais auréolé de plusieurs awards :

« En tant que guitariste, je joue avec une attaque puissante, en maniant le palm muting et l’angle du médiator, ou en modulant la pression des doigts sur l’instrument, pour façonner le son et le ressenti. L’IA est incapable de reproduire ce type d’articulation. Elle peut générer les bonnes notes, mais pas l’expression souhaitée », témoigne-t-il, pour La Relève et La Peste.

Enregistrement à l’aide d’un home studio mobile – Crédit : Blaz Erzetic

Reste que les IA « apprennent » vite, en agrégeant des millions de données accessibles sur internet – il va sans dire, à l’insu des artistes. Ainsi, là où il y a deux ans, Suno produisait des morceaux en singeant des voix connues, familières, dans un français très approximatif, sa gestion des accents et de la phonétique s’est nettement améliorée. « En matière de création, ces outils ouvrent un champ des possibles entièrement nouveau. L’on peut imaginer d’autres usages pour le grand public, comme exploiter une IA musicale générative open source, l’entraîner sur des corpus artistiques d’œuvres qui nous ont influencés ou que l’on a produites, et ensuite retravailler les propositions », s’enthousiasme Philippe Astor, pour La Relève et La Peste.

Des artistes fantômes

L’utilisation des IA musicales sert parfois des causes moins nobles que la création de démos ou de jingles. Sur YouTube, les morceaux de rock sudiste générés avec Suno pullulent, des playlists de DV8Studios décrivant l’imaginaire d’une nation libertarienne et hors-la-loi, aux groupes MAGA (Make America Great Again), qui épousent l’idéologie trumpiste.

« Le bouquin « Les Ingénieurs du Chaos » montre à quel point, en Europe ou aux États-Unis, les extrêmes droites se sont appropriées les outils numériques et les réseaux sociaux. Aujourd’hui, elles se tournent vers les IA afin de délivrer des messages politiques très orientés », spécule Philippe Astor, pour La Relève et La Peste.

Ces derniers mois, l’on a également vu se multiplier des « fake artists » référencé·es sur les plateformes de streaming, dont les Californiens de The Velvet Sundown, comptabilisant à ce jour près d’un million et demi d’auditeurs et d’auditrices chaque mois. Avant que des internautes présent·es sur Reddit ne s’interrogent sur l’origine du groupe, aucune source n’indiquait l’usage de l’IA. Faisant suite aux accusations, leur biographie officielle a été révisée : à présent, les vrais-faux artistes prophétisent « que le projet a été conçu pour remettre en question […] l’avenir de la musique à l’ère de l’IA. »

Le groupe fake The Velvet Sundown en répétition ?

Spotify et Deezer hébergeraient ainsi 20 000 contenus monétisés de ce type quotidiennement. Des estimations rendues possibles grâce aux systèmes de détection dont sont équipées les plateformes. Pour sa part, le géant français du streaming a déployé fin 2024 un outil crédité d’un taux de fiabilité de 99, 8 %, afin d’identifier et de modérer les contenus frauduleux. L’entreprise est aujourd’hui la première à étiqueter ces « artefacts sonores » et à les retirer des recommandations musicales. « C’est un signal clair pour les utilisateur·rices et un pas de plus vers une transparence totale », annonce Aurélien Hérault, Directeur de l’innovation chez Deezer, pour La Relève et La Peste.

À l’inverse, son concurrent Spotify – dont le fondateur Daniel Ek s’est fait épingler à la suite d’un investissement de 600 millions d’euros dans une start-up de drones militaires entraînés par l’IA – adopte une posture beaucoup moins éthique, allant jusqu’à autoriser la diffusion de chansons attribuées à des artistes décédés, à l’image de Blaze Foley et Guy Clark.

Un nouveau modèle économique

En quinze ans, les plateformes de streaming ont vu leur coût des revenus diminuer, passant de plus de 100 % à moins de 70 % dans le cas de Spotify. Alors pour contrer ce manque à gagner et anticiper, voire inspirer, une future législation européenne, les opérateurs négocient des accords au cas par cas avec les entreprises d’IA.

D’un point de vue strictement financier, cela se comprend, attendu que la production de musique générative n’est pas soumise au droit d’auteur – ce qui représente une économie moyenne de 20 %. Les éditeurs d’IA musicale y trouvent aussi leur intérêt  ; ils conservent la propriété de tous les morceaux créés via leurs services en ligne, quel que soit le mode d’utilisation. Udio a même racheté une société spécialisée dans la reconnaissance musicale.

« Peut-être ont-ils l’intention de repérer des morceaux générés par des « free-users » et mis en ligne sur des plateformes de streaming ou de vidéo, pour réclamer une rémunération aux utilisateur·rices », s’interroge Philippe Astor pour La Relève et La Peste – l’exploitation commerciale de ces titres étant réservée aux abonné·es disposant d’un compte payant. Certains vont encore plus loin : en Chine, Tencent et NetEase Music ont intégré des services de production musicale – y compris assistés par l’intelligence artificielle – à destination des artistes indépendant·es, dans le but de revendre leur catalogue à d’autres plateformes.

Publicité célébrant le partenariat entre Timbaland et Suno AI

« L’IA peut être une aide précieuse à la création, tant qu’elle s’inscrit dans une démarche artistique assumée et transparente », défend Aurélien Hérault, Directeur de l’innovation chez Deezer, pour La Relève et La Peste. « Ce que nous combattons, ce sont les usages détournés : la diffusion massive de titres intégralement générés par l’IA dans le seul but de capter des royalties, au détriment des artistes humains », explique-t-il.

Vers une bifurcation du marché

Les IA musicales ont encore de beaux jours devant elles, « dopées » par l’un de ses plus fervents supporters, le rappeur américain Timbaland, qui a développé TaTa, une chanteuse « digitale » au look clinquant, pratiquant l’a-pop (ou pop artificielle). Un projet qui fait écho à de micro-tendances, notamment visibles dans le gaming métavers, où des avatars en IA donnent des concerts. En outre, ces changements structurels, systémiques, résultent du déclassement des artistes « humain·es », qui souffrent des modèles traditionnels de rémunération. En témoignent les plateformes qui les démonétisent à moins de 1 000 streams par an. « Beaucoup structurent leur business en créant des communautés de fans sur TikTok, Discord ou Instagram, jusqu’à remplir des stades sans avoir publié un seul EP. Ce que Marc Mulligan [NDA : de MIDiA Research] qualifie de “bifurcation du marché” », analyse Philippe Astor, pour La Relève et La Peste.

Alors, quid de la production artistique à l’aune des nouvelles technologies ? « La réaction face à l’IA est comparable à l’introduction de l’autotune il y a quelques années : les musicien·nes étaient inquiet·es. Maintenant, c’est devenu la norme dans l’industrie », remarque Jehangir Aziz Hayat, pour La Relève et La Peste. De son côté, le journaliste reste prudent. « À la fin d’un cours, un élève m’a demandé quelle serait, selon moi, la vraie révolution entre l’IA et les fusions de genres musicaux. La réponse s’imposait d’elle-même : les crossovers. Quand un label référence de la K-pop comme Hybe investit dans des accélérateurs de carrière portoricains pour développer la musique latine, une chose est sûre : ces hybridations finiront par nourrir très largement les IA », conclut-il.

Rodolphe Lamothe

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Animal, un nouveau livre puissant qui va vous émerveiller 🐺

Notre livre Animal vous invite à vous émerveiller face à la beauté du peuple animal. Des dernières découvertes scientifiques sur le génie animal jusqu’au rôle primordial de chaque espèce qui peuple notre terre, notre livre vous plonge au cœur du monde animal et vous invite à retrouver votre instinct.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrages tant sur le fond que sur la forme.

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^