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Ecoféminisme : « Je porte cette envie de protéger la Terre et il y a une fierté féminine d’être là »

« Grimper, être dehors, construire des abris dans les arbres peut-être considéré comme quelque chose d’assez masculin » témoigne de son côté Lava pour La Relève et La Peste. « Et c’est quand même assez dur, surtout en hiver. Mais en fait, ce n’est pas une question de genre du tout. C’est juste une question de passion, d’envie ». 

Les récentes mobilisations contre l’A69, avec notamment les cortèges de femmes vêtues de violet lors des manifestations et l’occupation de la Crem’Arbre, nous ont conduit à vouloir observer ce phénomène via le prisme du féminisme. Regards croisés sur le sujet avec Lava, artiste et grimpeuse militante, et Jeanne Burgart Goutal, enseignante et autrice spécialiste de l’écoféminisme.

Ecoféminisme, le piège de la romantisation 

Une première question se pose lorsque l’on s’intéresse aux femmes qui s’engagent pour la protection de la nature, et notamment celle des arbres : est-ce que le fait qu’elles soient des femmes raconte quelque chose de particulier ?

Pour Jeanne Burgart Goutal, « l’écueil qu’ont voulu éviter la plupart des écoféministes était une sorte de romantisation de l’engagement des femmes pour l’écologie. Une idée qu’on entend beaucoup, qui consisterait à dire : « les femmes sont plus proches de la nature ». Mais elles voient bien que cette rhétorique-là, si belle puisse-t-elle être, est aussi un piège. Une forme de stéréotype qui peut très bien être récupéré par un discours patriarcal. Tout l’enjeu est donc d’expliquer l’engagement écolo des femmes, mais sans essentialisme : ne pas ramener leurs combats à une « tendance naturelle », mais comprendre leurs raisons politiques, sociales, historiques ».

Afin d’appuyer son propos, l’autrice revient sur 2 grandes luttes menées par des femmes. D’abord, le mouvement des Suffragettes, dans la Grande Bretagne du XIXe siècle.

« Parmi les féministes britanniques de cette époque, il y a eu toute une vague de féministes qui défendaient aussi la cause animale. Elles étaient végétariennes et militaient contre la vivisection dans la recherche scientifique. Elles avaient tout un argumentaire consistant à dire : la cause des femmes et la cause animale sont liées, parce que c’est la cause des vulnérables contre l’usage de la force par les dominants.

Mais aussi, de façon plus pragmatique et stratégique, elles avaient conscience que la cause animale et l’écologie étaient des enjeux politiques qui paraissaient moins sérieux que l’économie, les finances, la géopolitique ou la guerre. Donc, c’était parfois une stratégie pour entrer en politique. »  explique la philosophe Jeanne Burgart Goutal pour La Relève et La Peste

suffragette Dora Thewlis

1907, arrestation de la suffragette Dora Thewlis – Crédit : Wikimedia Commons

L’écoféminisme et le rapport à la forêt

Pour Jeanne Burgart Goutal, cette idée selon laquelle « l’écologie, c’est mignon, on peut le laisser aux femmes » n’a pas totalement disparu. Un autre évènement riche en enseignements est celui du mouvement Chipko. Celui-ci émerge dans des villages du Nord de l’Inde, dans les années 1970. Il s’agit alors de défendre les forêts aux alentours des villages contre la déforestation par des entreprises.

« Au début du mouvement, ce sont des villageois hommes et femmes qui se mobilisent », rappelle l’autrice pour La Relève et La Peste. « Et puis il y a une sorte de bascule dans le mouvement. À un moment, un accord est passé entre les pouvoirs locaux, l’entreprise et les villageois, qui consiste à dire : « d’accord, l’entreprise ne va pas couper tous les arbres, on vous en laisse une partie pour vous ». Une sorte d’accord qui concilie les intérêts économiques de l’entreprise et ceux des villageois ». 

À ce moment-là, les hommes acceptent le compromis. Mais les femmes, elles, refusent. 

« C’est un moment de bascule depuis une lutte pour des intérêts de subsistance vers une lutte proprement écologiste, pour la défense de la forêt elle-même. Parce qu’à ce moment-là, en vertu de la division sexuelle du travail et d’inégalités économiques dans les villages, les hommes et les femmes n’avaient pas le même rapport à la forêt, ils n’en faisaient pas le même usage. 

Traditionnellement, c’est aux femmes d’aller chercher le petit bois et l’eau dans la forêt, ou d’y amener paître le troupeau ; donc elles avaient davantage intérêt à la préserver. Ce compromis qui pouvait satisfaire les hommes n’allait pas du tout aux femmes. Et là on voit qu’il y a une différence qui se crée, liée à la construction sociale du genre ». décrypte Jeanne Burgart Goutal pour La Relève et La Peste.

La technique de combat ? Embrassez les arbres et résistez (“Chipko” en hindi signifie “s’accrocher”).

La lutte contre l’A69

Cette évolution, Jeanne Burgart Goutal la relate en détail dans son ouvrage “Être écoféministe”. Ces derniers temps, l’autrice s’intéresse également aux luttes actuelles, notamment celle contre la construction de l’autoroute A69.

« Sur l’A69, c’est une lutte qui est mixte, et je ne suis pas sûre que les hommes et les femmes engagés dedans aient des motivations différentes », observe-t-elle.

« Grimper, être dehors, construire des abris dans les arbres peut-être considéré comme quelque chose d’assez masculin » témoigne de son côté Lava pour La Relève et La Peste. « Et c’est quand même assez dur, surtout en hiver. Mais en fait, ce n’est pas une question de genre du tout. C’est juste une question de passion, d’envie ». 

Aujourd’hui grimpeuse militante, la jeune fille souhaitait depuis longtemps s’engager dans l’activisme environnemental. Après avoir entendu parler de Climbers for Climate, aux Pays-Bas, elle participe avec eux à une campagne d’occupation de forêt contre la construction d’un parking. Des Pays Bas, l’envie naît de rejoindre la grimpe française. Un désir qui se concrétise avec la rencontre de Thomas Braille au festival Les Résistantes, dans le Larzac.

Mais dès le lendemain de son arrivée sur le site de l’A69, alors qu’elle vient tout juste de s’installer dans un arbre, elle est évacuée.

« Je ne m’y attendais pas, c’était intense. On s’est fait descendre des arbres par des gendarmes secouristes de montagne », raconte-t-elle.

Au moment de l’évacuation, en plus des forces de l’ordre, sont présents des élagueurs qui abattent les arbres centenaires sous les yeux des militants.

Crédit : Antoine Berlioz

Le jugement des gendarmes

Suite à cela, Lava est placée en garde à vue. « Puis on a eu une audition devant la juge, qui nous a placés en contrôle judiciaire avec 2 contraintes : pointer au commissariat 2 fois par mois et ne pas porter d’arme » explique la jeune activiste pour La Relève et La Peste.

La jeune militante revient sur son arrestation. « Il y a eu ce gendarme qui était très familier avec moi. Parce qu’il disait que j’avais l’âge de sa fille, il me faisait la morale. Son discours était très clair sur le fait qu’il trouvait que Thomas Braille était un leader sectaire et que les manifestants étaient embrigadés, qu’on n’avait pas vraiment de jugement sur ce qui se passait, qu’on était complètement manipulés. Je me sentais totalement décrédibilisée ». 

Un jugement déjà présent au moment de la descente de l’arbre :

« Les gendarmes m’ont demandé s’ils savaient ce que je faisais quand je grimpais, si je savais ce que c’était, le matériel que j’utilisais. Ils me prenaient un peu de haut sur mes compétences en grimpe. 

Ensuite lorsqu’on m’a prise en photo, il a fait une remarque : «  Oh là, t’es pas très photogénique, t’es bien mieux en vrai ! ». Il s’est permis de commenter mon physique. Je ne pense pas qu’il l’aurait fait si j’avais été un homme ». 

Une héroïsation suspecte 

Sur le sujet de la place des femmes dans les luttes environnementales, une autre question qui s’impose est celle de leur visibilité. Peut-on constater que, comme ce fut le cas dans de nombreuses luttes au cours de l’Histoire, celles-ci seraient invisibilisées ?

« J’ai au contraire l’impression qu’elles sont largement mises en avant », répond Jeanne Burgart Goutal à La Relève et La Peste. « Mais elles le sont d’une façon qui me paraît suspecte, du moins dans les médias mainstream et dans certains docus ou reportagesPendant longtemps, lorsqu’on pensait « militant écolo », on pensait à un gars en sandales en cuir. Maintenant on va penser Greta Thunberg, Camille Etienne, Vandana Shiva… Il y a une espèce d’héroïsation individuelle de figures féminines, de préférence de jeunes femmes mignonnes, comme représentantes du combat écolo ».

L’enseignante se réfère à un ouvrage paru en 1975, New Woman New Earth. L’autrice, Rosemary Radford Ruether, théologienne écoféministe, pointe déjà ce travers.

« Elle met en garde du phénomène de dualisme femme-nature / homme-culture selon lequel le mouvement écolo risque de mettre en avant les femmes. Après leur avoir donné le rôle de fée du logis, maintenant elles vont être fées de la planète. C’est un piège ».

Les femmes du mouvement Kendeng à Java – Crédit : Natalia Stuart

Quel réel pouvoir ?

Car tout cela s’avère évidemment lié à la question du pouvoir.

« D’un point de vue médiatique, elles sont hyper visibilisées. Mais d’une façon qui peut poser question. On met en avant l’image des femmes, et particulièrement des jeunes femmes. Mais pour leur donner quel pouvoir ? Quel rôle dans les institutions ? Dans les décisions concrètes, dans les COP, les institutions politiques, juridiques, économiques, elles ne sont pas forcément très présentes à des postes où elles auraient vraiment un pouvoir ».

Une anthropologue, Kassia Aleksic, a réalisé sa thèse sur un mouvement écoféministe à Java, en Indonésie. Celui-ci lutte contre l’implantation d’une usine de ciment dans les montagnes du centre de Java.

« Elle a beaucoup séjourné là-bas, fait partie du mouvement. Elle raconte que dans ce mouvement-là, il y a des hommes et des femmes, mais les femmes sont mises en avant par les médias. Et les gens de la lutte en sont très conscients. Elle cite cette phrase dans un article : « les femmes rendent la lutte sexy ». 

Lava pose un autre regard sur la visibilité des femmes.

« Dans la plupart des mouvements écolo, même s’il n’y a pas de hiérarchie, j’ai l’impression que ce sont encore les hommes qui occupent l’espace médiatique. Je crois qu’ils sont habitués à parler, qu’ils se sentent très légitimes à donner leur avis quand il y a des médias, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de femmes ». 

Pour la grimpeuse, il y a dans l’occupation d’une forêt quelque chose de très spontané, d’évident.

« Je porte cette envie de protéger la Terre, le Vivant, et je pense qu’il y a une fierté féminine d’être là, et une envie de sororité. Je crois qu’on est assez lucides sur notre statut et assez prudentes à ne pas se faire marcher dessus. Il y a toujours des hommes qui vont faire du mansplaining, mais le féminisme est très présent. Dans les luttes écolo, on peut avoir des relations d’égal à égal, même avec un grimpeur qui a plus d’expérience ». 

Mais alors, l’écoféminisme a-t-il encore du sens ? Pour Jeanne Burgart Goutal, au fil des années “les groupes écoféministes ont pris de la maturité, en terme de gestion de groupe, de gestion des émotions, de hiérarchie”. Pour celle-ci, ce courant s’avère particulièrement pertinent à une échelle locale. 

Marine Wolf

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