Situé au nord de la Loire sur la commune de Donges, le Village du Peuple se bat depuis un an et demi pour sauver de la bétonisation près de 60 hectares de terres humides, arables et de forêt qui sont menacés par un énième agrandissement industriel lié au Port. Installés dans un corps de ferme, des gilets jaunes et écologistes y ont créé les premières bases d’un véritable écolieu solidaire. Aujourd’hui menacés d’expulsion, ils se préparent à résister pour empêcher la destruction du lieu.
Un lieu convivial et écologique face à l’industrialisation du monde
Sur la commune de Donges, cet ancien corps de ferme a été ouvert suite à la destruction d’une première Maison du Peuple à Saint-Nazaire. Baptisé « Village du Peuple » en son honneur, des familles et gilets jaunes ont décidé d’y bâtir un village autonome avec potagers, fruits, en favorisant les projets créatifs, alternatifs, d’énergies verte, d’eco constructions et chantiers participatifs.
Depuis le mois d’avril 2019, les résidents et leurs soutiens ont ainsi entretenu et rénové ce corps de ferme, son vieux four à pain et son pressoir historique pour en faire un lieu d’accueil et de solidarité à vocation artisanale et créative, avec de nombreux projets comme un magasin gratuit où il est possible de recevoir ou de donner des vêtements, pour Gilet Gilets Jaunes, écologistes, féministes, mais aussi tous les citoyen.nes qui le souhaitent.
« Ce lieu extraordinaire a ainsi permis de fédérer des énergies dispersées et de tisser des liens de solidarité entre de multiples collectifs. Festoiements, débats endiablés, ce village déserté est progressivement devenu un espace d’expérimentation collective, une terre où les imaginaires de lutte grandissent et s’enrichissent. » expliquent les habitants du Village du Peuple
Aujourd’hui, les résidents du Village du Peuple sont sous la menace d’une expulsion. En effet, l’agglomération de communes de Saint-Nazaire et alentours, appelée CARENE (Communauté d’Agglomérations de la REgion NazairiennE), veut récupérer ces terres pour faire de la ZAC des Six Croix II, la troisième zone industrielle du secteur.
Les habitants et soutiens du Village du Peuple dénoncent un projet écocidaire et dangereux pour la santé des habitants de la Région, déjà occupée par 23 usines SEVESO et touchée par une mortalité 28 % plus élevée pour les habitants de 65 ans que dans les autres régions de France, particulièrement à cause de cancers.
L’un des derniers poumons verts du secteur
Pour l’heure, la CARENE ne sait pas encore précisément quelles sont les industries que va accueillir la zone. La première entreprise à avoir annoncé sa venue sur la nouvelle zone envisagée, Carboloire, veut y exploiter une unité de production de carbonate de calcium.
Carboloire a rencontré l’opposition de certains élus en demandant deux dérogations préfectorales pour contourner les risques en termes d’incendie et d’émission de poussières. Un danger pour les habitants. Le reste du Conseil a tout de même approuvé le projet.
Pour le Village du Peuple, cette annonce est symptomatique de ce qui se joue actuellement dans l’estuaire de la Loire au Carnet et partout en France : la bétonisation systématique de zones naturelles au détriment de tous les principes écologiques et sanitaires les plus élémentaires.
« Ici, ils ont déjà bétonné une petite partie et défriché une autre. Notre présence les empêche de faire le plus gros du travail. On ne connaît pas encore tous les porteurs de projets mais entre Yara et Total qui sont dans le secteur, ça risque d’aller vite. Avant, j’ai travaillé en Afrique pour la réhabilitation des grands singes et la protection des forêts. Mais je me suis rendue compte à quel point nous avons tant à défendre en France ! C’est pour ça que je suis venue soutenir le Village du peuple : il ne nous reste déjà pas beaucoup de terres, si on ne se met pas à les protéger sérieusement on ne va pas s’en sortir. Ce sont elles qui nous permettent de vivre, respirer et d’avoir à manger. » explique Bul, une jeune femme travaillant dans l’humanitaire, pour La Relève et La Peste
Le Village du Peuple est l’un des derniers poumons verts de la zone, le reste étant principalement constitué de monocultures et sites industriels comme la raffinerie de Donges. La zone de 50 hectares comprend des champs, un bunker, un menhir, des mares, et abrite de nombreuses espèces végétales et animales dont certaines sont protégées comme la chouette effraie et le canard spatule.
Des associations environnementales soutiennent ainsi la cause du Village du Peuple, comme l’association Makigo qui a d’abord pu utiliser le village comme pôle logistique dans le cadre d’une de leurs missions au Marais de la Brière, le deuxième plus grand marais de France (70 km²) après celui de la Camargue.
« On détruit nos campagnes au profit de multinationales qui s’approprient et exploitent tous les biens communs. La bétonisation est une catastrophe pour la gestion de l’eau car la zone connaît de plus en plus de périodes de sécheresses puis d’inondations alors qu’un seul arbre peut retenir et distribuer 16 tonnes d’eau par an ! Les arbres sont aussi de précieux alliés pour protéger les habitants des vents forts. Ici, les tempêtes sont plus puissantes et nombreuses chaque année. On vit une urgence écologique globale, c’est aberrant de vouloir bitumer 57 hectares si riches de vie ! » détaille Nathanaël Branco, cofondateur de l’asso Makigo, pour La Relève et La Peste
La menace d’expulsion
L’argument économique fait encore écho chez certains des riverains qui espèrent que la zone industrielle pourra créer des emplois. Tandis que les plus proches voisins des villageois ont décidé de les soutenir après les avoir rencontré en leur proposant des douches chaudes.
« Les anciens occupants qui étaient là depuis 1 an et demi sont partis au moment où le jugement est arrivé à terme : mardi 6 octobre. Un huissier est passé pour vérifier qu’ils avaient bien quitté les lieux. De nouvelles personnes ont pris la relève sur place, car on va essayer de relancer une procédure juridique. » explique Will, un membre du Village du Peuple, pour La Relève et La Peste
Les 3 et 4 octobre, un week-end de soutien a été organisé avec une manifestation devant l’Hôtel de Ville de Donges. Aujourd’hui, des dizaines de personnes se trouvent au Village du Peuple, et attendent l’arrivée de soutiens supplémentaires. Un appel à la mobilisation a été lancé.
Mercredi 7 octobre, la pression est montée d’un cran avec le premier passage d’un hélicoptère qui a tourné de longues minutes au-dessus du Village du Peuple. Les villageois ont conscience que tout peut arriver dans les jours et semaines à venir.
« C’est dur, mais c’est enrichissant. Y a plein de savoirs, de connaissances, de vécus qui sont partagés ici. Et puis en fin de compte, on est nombreux à penser la même chose : tout ce qui se fait à l’heure actuelle pour des motifs purement économiques n’a plus de sens. Et si on veut que les choses changent, il faut incarner ses idéaux. » explique Will, un membre du Village du Peuple, pour La Relève et La Peste
« J’ai trouvé ici un échange qu’on n’a plus forcément aujourd’hui. En France, on n’a plus vraiment d’espace public de parole en tant qu’« être » : si on est jeune, on ne sait rien ; et si on est vieux, on est un vieux con. Au Village du Peuple, je trouve ça génial de voir ce qu’on peut faire quand on a envie et qu’on voit autre chose que l’intérêt économique. Cela permet d’avoir cette petite flamme qui ressort et qui prouve qu’on peut faire quelque chose de bien. » renchérit Bul pour La Relève et La Peste
A Donges comme dans de nombreuses ZAD, c’est une véritable expérimentation écologique et démocratique qui est en cours pour apprendre à faire société autrement. Si les habitant.e.s du Village du Peuple sont très inquiets par la menace d’expulsion, ils n’en restent pas moins déterminés à protéger le lieu jusqu’au bout car, rappellent-ils, « Nous sommes la Loire qui se défend ».