Dans les années 90, des millions de dollars provenant de l’exploitation illégale de diamants ont permis à des rebelles d’acquérir des armes et de perpétrer des violences sans précédent sur le continent africain. Depuis la mise en place sous mandat de l’ONU du Processus de Kimberley destiné à enrayer le commerce des « diamants du sang » ou « diamants de la guerre », la contrebande a remplacé les canaux classiques, et les droits humains d’une population dépendante de l’exploitation des gemmes sont toujours bafoués.
Les terribles conditions d’extraction
Hommes, femmes et enfants à travers l’Afrique ont le dos courbé et les mains entaillées afin de satisfaire les besoins de l’Homme occidental en minerais : or, diamant, bronze, cobalt… Tout ce qui peut servir à orner nos cous et faire fonctionner nos smartphones semble justifier les moyens. Ces moyens sont les conditions inhumaines dans lesquelles vivent des milliers de personnes qui creusent sans protection adaptée et le plus souvent, sans outils adéquats. L’exploitation des enfants par des réseaux trafiquants, leur descente à plusieurs dizaines de mètres au fond des mines menaçant de s’écrouler ou d’être inondées sont monnaie courante au cœur des terres africaines.
Là où est l’argent, le sang coule
Dans la République centrafricaine, en Angola ou au Zimbabwe, les groupes opposants aux gouvernements en place ont vu en ces exploitations pas ou peu protégées, une occasion en or de tirer profit de la pauvreté des travailleurs. Le prélèvement de « taxes » sur les ventes des petits diamants et l’exploitation des travailleurs sous la menace de la violence a permis à de nombreux groupes rebelles de s’armer et de faire couler le sang en Afrique. Une fois les rebelles armés, les guerres et les conflits intérieurs ont commencé à faire rage pour seulement deux motifs : le pouvoir et le territoire.

Le Processus de Kimberley, initiative salvatrice limitée
Afin d’enrayer le financement de ces groupes armés et donc des guerres, l’ONU lance le Processus de Kimberley en 2003. Ce processus permet de certifier les diamants bruts, de garantir leur provenance ainsi que leur non implication dans le financement des conflits. Les pierres sont alors contrôlées à chaque étape de l’extraction à la vente au détail ; ce processus couvre plus de 90% de la production de diamants bruts et s’applique à 50 membres représentant 76 pays, des responsables de la société diamantifère, des pays observateurs, des pays producteurs et des associations de défense des droits de l’Homme. Seulement, ce processus a des limites qui semblent contournables ; par exemple, au Venezuela, en Côte d’Ivoire ou au Zimbabwe, les violations des droits de l’Homme ont lieu sous l’égide d’un gouvernement légitime et ne sont techniquement pas en guerre.
La portée du Processus de Kimberley ne concerne que ce que l’on appelle « les diamants de la guerre » et ne prend donc pas en considération les diamants extraits dans des conditions bafouant les droits de l’Homme ou encore les diamants servant à financer les forces gouvernementales reconnues, qui se rendent coupables de graves violences. En plus de cela, il semblerait qu’en pratique, le Processus de Kimberley peine à enrayer la vente de diamants ayant directement financé des groupes rebelles sur le marché international. Pour cause, les groupes armés continuent de bénéficier des recettes diamantifères, notamment via une recrudescence de la contrebande. C’est notamment pour ces raisons que l’une des pionnières du projet, l’ONG Global Witness, a quitté le Processus de Kimberley : la plupart des consommateurs ne peuvent toujours pas être certains de la provenance des diamants et du rôle qu’ils ont joué dans les conflits armés.
L’échec de l’embargo international
En 2013, un groupe rebelle appelé Séléka a pris le pouvoir de la République centrafricaine. Ce groupe est issu de la minorité musulmane du pays et a provoqué la formation d’un groupe chrétien et animiste : les anti-balaka. Les deux groupes ont été à l’origine de violences extrêmes entre eux, mais aussi auprès des civils – le bilan en 2015 était de 5 000 morts. Quelques mois après l’arrivée au pouvoir du groupe Séléka, un gouvernement provisoire est mis en place mais ne dispose pas des moyens nécessaires qui permettraient d’enrayer la violence. Malgré la présence des soldats internationaux de maintien de la paix et d’un meilleur niveau de sécurité, le cancer de la violence prend racine dans de nombreuses parties du pays.
Deux mois après l’arrivée au pouvoir de la Séléka, un embargo international sur l’exportation de diamants centrafricains est mis en place dans le cadre du Processus de Kimberley. Pourtant, cette ressource représente la moitié des exportations du pays et 20 % des recettes budgétaires nationales : il est donc inconcevable que l’extraction s’arrête ou même ralentisse. Des milliers de mineurs artisanaux continuent de descendre sous le sol, de tamiser les cours d’eau et de gratter la pierre afin de vendre leurs trouvailles à des négociants. Les diamants sont ensuite revendus aux sociétés exportatrices de diamants de Bangui, la capitale où, du fait de l’embargo, la majorité des diamants sont stockés.
Le reste traverse les frontières au fond des poches ou dans les valises (140 000 carats ont été sortis en fraude entre mi 2013 et 2015, notamment via la RDC et le Cameroun), passant inaperçu et se retrouvant sur les plaques tournantes du commerce de diamants tels que Dubai ou Anvers avant d’être revendu via les bureaux de vente asiatiques (pour la plupart). Le commerce intérieur ne s’est donc pas arrêté et la Séléka et les anti-balaka qui n’ont à faire face qu’à une poignée de gendarmes, prennent le contrôle de certains sites d’extraction et appliquent des taxes arbitraires ou au mieux, en échange de leur « protection ». Ils appliquent la même politique en ce qui concerne d’autres ressources agricoles ou minières telles que l’or par exemple. Sous la pression du gouvernement de la République centrafricaine, le Processus de Kimberley a autorisé la reprise des exportations de diamants en 2015 sous certaines conditions ; lors de la rédaction du rapport d’Amnesty International, ces conditions n’étaient pas remplies et l’interdiction d’exporter restait donc en vigueur. Parmi ces conditions, les diamants stockés par les bureaux d’achat doivent être soumis à un « audit juridique » permettant de déterminer si les diamants ont contribué au financement des groupes armés.

Le temps des mesures drastiques est arrivé
Malgré l’initiative et les objectifs du Processus de Kimberley, la situation pour les travailleurs reste déplorable et l’approvisionnement des groupes armés continue.
La violence fait rage et les habitants ne peuvent plus vivre légalement des ressources de leur pays. La contrebande a un double effet négatif : elle prive les pays pauvres de leurs recettes et enrichit les groupes armés qui exploitent les travailleurs. De plus, le stock de diamants dans les bureaux de Bangui prend de plus en plus d’ampleur et est donc soumis à d’éventuelles attaques : que se passera-t-il si cette réserve comprenant plusieurs années d’extraction venait à être récupérée par un seul acteur du conflit ?
Amnesty International a appelé les Etats producteurs à « introduire dans la législation l’infraction pénale ou administrative, de défaut de prévention de transactions de minerais liés à des activités illégales, comme les crimes liés à de graves atteintes aux droits humains, le financement de groupes armés, le blanchiment d’argent et la contrebande », mais aussi la République centrafricaine « à mettre en place des mécanismes favorisant la sécurité des mineurs », les Emirats arabes unis à « prendre des mesures pour mettre un terme à la pratique du prix de transfert abusif (optimisation fiscale) et à celle de la variation de prix importante entre l’importation et l’exportation de diamants bruts », et à la Belgique et aux Emirats arabes unis à « mettre en place des dispositifs plus fermes et plus transparents de contrôle des registres et des procédures des négociants en diamants ».
Pour aller plus loin : rapport complet d’Amnesty International

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