Au cœur de la campagne belge, le groupe Semailles mène face à la réglementation européenne sur les semences une « guerre des graines » pour préserver les variétés rustiques ; un combat essentiel pour l’agriculture, menacé par une réglementation sous l’influence des lobbies industriels.
Une histoire de graines
Haricot Roi des Belges, Poireau Gros Vert de Huy, Laitue Blonde de Laeken… ce sont autant de noms pleins de caractères que l’on peut lire sur les étagères de la boutique de Catherine, qui dirige depuis 15 ans le groupe Semailles, producteur semencier bio de la campagne belge.
Sa mission : retrouver et entretenir les variétés locales de fruits, légumes, céréales et autres plantes pour en proposer les graines à la vente. Une façon de perpétuer le travail traditionnel du paysan, qui sélectionne les meilleures espèces pour sa culture, par le croisement et l’échange avec ses voisins, de manière entièrement libre. C’est par ce savoir-faire local qu’il peut cultiver dans ses champs les meilleures espèces, du point de vue du goût, mais aussi du rendement, et de la résistance aux parasites ou aux intempéries.

Pourtant, peu sont aujourd’hui les agriculteurs qui continuent ce travail de recherche. En effet, avec l’industrialisation de la filière débutée dans les années 1960, la culture et la sélection des semences ont été séparées : l’une restant aux mains des paysans, l’autre passant, pour des raisons d’efficacité, aux mains des semenciers. Appartenant à de grands groupes industriels comme Monsanto, ces semenciers ont rationnalisé au maximum le processus de sélection, réduisant drastiquement les variétés de plantes dans une course effrénée au rendement. Aux Etats-Unis, les semenciers sont même allés jusqu’à intervenir dans le code génétique des plantes, donnant naissance aux semences OGM (organismes génétiquement modifiés).
Désobéissance civile
Pris de court par ce développement, et – il faut le dire – pressés par les lobbies de l’industrie agroalimentaire, les législateurs nationaux et européens ont élaboré une réglementation sur la sélection, l’usage et la vente des semences, enfermant les agriculteurs dans un carcan réglementaire. De par cette législation (entre autres, la directive européenne 98/44/CE), l’activité de Catherine est pour ainsi dire illégale.
En effet, l’essentiel des semences aujourd’hui utilisées dans l’agriculture sont des variétés brevetées, sélectionnées pour leur rendement et leur résistance : pour les utiliser, un agriculteur doit s’acquitter de redevances envers le concepteur (le semencier) de la variété. Il peut cependant, pour des raisons financières, ou par volonté d’avoir une agriculture entièrement biologique, utiliser ses propres semences, mais n’a pas le droit de les échanger (une nécessité, puisque la richesse d’une semence provient de ses croisements avec d’autres variétés) sans l’inscrire au catalogue européen – moyennant finances.

Dans ce cadre, l’activité de Semailles est illégale puisque le groupe ne cultive les semences que dans le but de les vendre. Parmi les 600 variétés présentes sur son catalogue, peu sont inscrites au catalogue européen des semences autorisées à la vente ; et pour cause, une telle inscription peut coûter entre 5 000 € pour une potagère et 15 000 € pour une céréale. Une bagatelle pour les mastodontes de l’industrie, mais un obstacle insurmontable pour les petites structures comme Semailles.
Lutte contre « l’érosion génétique »
Il est pourtant crucial de conserver, comme le fait Catherine, la diversité des semences. Tout d’abord parce que cette richesse biologique fait partie de notre patrimoine, mais aussi pour d’autres raisons plus prosaïques : les semences locales conservées par Semailles, par exemple, sont remarquables par leur goût, plus riches que les semences industrielles qui l’ont sacrifié au rendement. De par leur rusticité – c’est-à-dire leur origine locale – ce sont aussi les semences les plus résistantes aux conditions du pays, qui n’ont pas besoin d’engrais ou de pesticides pour croître : une aubaine pour l’agriculture biologique.

A l’échelle de l’humanité, la connaissance et le partage d’une vaste diversité de semences est un atout contre la faim : à l’heure où encore 842 millions de personnes dans le monde sont en insécurité alimentaire, savoir quelle variété pousse le mieux dans un environnement donné permet de mieux nourrir les populations.
C’est le but avoué de la banque de semences internationale créée par le traité international sur les ressources phytogénétiques (TIRPAA), signé par 29 pays en 2013 : « un pot commun où chaque acteur de la recherche peut puiser pour créer des variétés améliorées ». Seul problème : l’accès à ce fond pour des fins de recherche sur les semences est payant pour les agriculteurs des pays du Nord – en empêchant l’accès aux petits exploitants. Ici encore, ces petits acteurs doivent mettre la main à la bourse pour être dans la légalité.
« Savoir quelle variété pousse le mieux dans un environnement donné permet de mieux nourrir les populations. »
Nous pourrions pourtant être moins bien lotis : grâce à la législation européenne de « tolérance zéro » à l’égard des OGM, l’agriculture européenne en est totalement exempte ; une chance pour la diversité des semences, car une fois introduites sur un champ, les variétés OGM contaminent la terre et il devient impossible de faire pousser autre chose, et donc obligatoire de payer des redevances aux créateurs de l’OGM (comme cela a été le cas avec le colza de Monsanto aux Etats-Unis). Espérons pour Catherine et ses semblables, que le traité TAFTA (traité de libre-échange actuellement en négociation entre l’Union Européenne et l’Amérique du Nord) ne supprimera pas cette protection au nom de la libre circulation des marchandises.