Le rapport du Bureau des Ressources géologiques et Minières (BRGM) publié en juin 2022 est utilisé comme unique argument scientifique en faveur des bassines. En janvier, une contre-expertise de ce modèle, réalisée par Anne-Morwenn Pastier, docteure en Sciences de la Terre et chercheuse indépendante, a été présenté par Les Soulèvements de la Terre et le collectif Bassines Non Merci. En voici les résultats.
La Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres réunit 400 agriculteurs qui soutiennent un projet de 16 méga-bassines. L’objectif est de se servir des bassines comme réserve d’eau pour les agriculteurs en été, en prélevant directement de l’eau dans les nappes phréatiques pendant l’hiver, afin de baisser les prélèvements dans les cours d’eau. On appelle cette méthode « le principe de substitution ».
Le rapport du BRGM est souvent donné en référence par l’État et les exploitants de réserves de substitution pour justifier la construction et le soutien financier public apporté aux bassines. Ce rapport, qui a été expressément commandé par la Coop de l’eau des Deux-Sèvres, répond à la question : « En l’état actuel, quelle est l’incidence des prélèvements des bassines sur les nappes et les cours d’eau ? »
Le BRGM utilise le modèle Jurassique. Olivier Douez, hydrogéologue et auteur du modèle, estime que le calage sur les niveaux est globalement très satisfaisant à échelle régionale.
Mais pour lui, le modèle ne devrait pas être utilisé à des échelles plus petites et les résultats du modèle régional ne devraient surtout pas être transférés vers des études locales.
Anne-Morwenn Pastier relève que le rapport 2022 du BRGM présente 2 cm d’incertitude sur les niveaux piézométriques (profondeur de la surface des nappes), sans justification ou référence.
En comparant la profondeur modélisée du calage et la profondeur observée, Anne-Morwenn Pastier note que l’erreur absolue sur l’élévation de la nappe est d’au moins 1,2 mètre, et que moins de 25 % des piézomètres modélisés ont une erreur inférieure à 50 centimètres de différence.
Selon la tendance, les niveaux de crue sont sous-estimés, et les niveaux d’étiage surestimés. Or, si on modélise mal l’amplitude, on modélise mal l’impact de la substitution.
De nombreux cours d’eau qui ont été sélectionnés pour les prélèvements ne sont pas présentés dans le modèle. Pourtant, la sinuosité et la multiplicité des cours d’eau est un facteur essentiel à l’infiltration et à la décharge de la nappe.
Pour Anne-Morwenn Pastier, la question est mal posée, le modèle n’étant pas adapté et utilisé à une échelle bien trop grande, sans prise en compte des cours d’eau mineurs et locaux. Il y a un manque d’amplitude vis-à-vis du cycle hydrologique, pourtant principal centre d’intérêt pour le principe de substitution.
Plusieurs questions importantes devraient se poser, telles que : quelle quantité d’eau sera perdue par évaporation, étant donné que les bassines ont la forme adéquate pour ce phénomène ? Quel est le risque de développement algaire et bactérien et la Coop de l’eau a-t-elle demandé une étude et un protocole des contaminations ?
En vue du réchauffement climatique et du fait de pluies de plus en plus aléatoires et de sécheresses pluriannuelles, quelle sera la capacité des méga bassines ? Et enfin, lorsqu’on réalisera que les méga-bassines ne peuvent pas fonctionner dans ce contexte, quelle sera la possibilité de remédiation des bassines et des paysages ?
Contactée par nos confrères de Reporterre, la BRGM leur a répondu que la prise en considération du réchauffement climatique « ne faisait pas partie de la demande » pour établir leur rapport, un écueil cruel alors que ses effets se font ressentir de plus en plus durement chaque année, comme en témoigne la grande sècheresse que la France traverse depuis près d’un an. Résultat, plus des trois quarts des nappes phréatiques sont bien en-dessous de leur niveau habituel en ce mois de Janvier 2023.
Julien Le Guet, leader du mouvement Bassines non merci, a commenté : « 1m50 de différence, c’est ce qui fait qu’on a une tourbière morte ou vivante. Ces projets sont faits en dépit du bon sens, en catimini, et sont ainsi écocidaires. Il faut pourtant s’inscrire dans un principe de résilience. La recharge des nappes au printemps, c’est la condition sine qua non pour préserver les zones humides »
Pour Anne-Morwenn Pastier, avant de monter des modèles compliqués, il est important de se focaliser sur des données : « Monter des observatoires, et surtout des cours d’eau, est essentiel. »
Retrouvez la contre-expertise ici.
Crédit photo couv : Patrick Picaud – LPO Poitou Charentes