Chaque printemps, des milliards de Bogong traversent l’Australie. Ce ne sont pas des oiseaux ni des humains, mais des papillons de nuit. Et pourtant, ils lisent dans le ciel comme d'autres liraient une carte.
Des papillons se repèrent avec les étoiles
Chaque année un étrange ballet se joue dans le ciel australien. Des myriades de Bogong, minuscules papillons bruns, quittent les plaines pour entreprendre un voyage de plus de 1 000 kilomètres.
Leur but : atteindre les grottes froides des Alpes australiennes, où ils s’agglutinent par milliers, tapissant les parois comme une fresque vivante. Là, blottis à 16 000 individus par mètre carré, ils s’endorment pour l’été. Puis, à l’automne, ils repartent vers leurs terres natales, pour se reproduire… et mourir.
Mais voici le mystère : comment ces papillons trouvent-ils leur chemin vers un lieu qu’ils n’ont jamais vu ? La revue Nature a révélé la réponse dans un article paru en juin : les Bogong naviguent grâce aux étoiles.
Une première chez les insectes migrateurs. Jusque-là, seuls les oiseaux et les phoques étaient soupçonnés d’utiliser le ciel étoilé pour s’orienter sur de longues distances.
Papillon Bogong – © Kirsty Komuso / flickr
Le ciel comme boussole
Pour percer les secrets de ce voyage millimétré, des chercheurs australiens et européens ont imaginé une batterie d’expériences aussi précises qu’inédites. En pleine migration, des Bogong ont été capturés, puis placés dans des simulateurs de vol sophistiqués : des dômes transparents offrant une vue complète sur le ciel nocturne.
Lorsque la Lune disparaissait, que les champs magnétiques étaient neutralisés et que les étoiles restaient seules à briller, les papillons retrouvaient leur cap, comme guidés par une boussole céleste.
Mieux encore : même lorsque les étoiles se déplaçaient au fil de la nuit – comme c’est toujours le cas à cause de la rotation de la Terre –, les papillons corrigeaient leur trajectoire.
Cela implique qu’ils ne se contentent pas de suivre un point lumineux, mais qu’ils comprennent la cartographie céleste dans son ensemble. Une forme d’orientation cosmique. En revanche, lorsque les scientifiques projetaient un faux ciel avec des étoiles disposées au hasard, les Bogong perdaient le nord, littéralement.
Les papillons adultes migrent de leurs zones de reproduction du sud-est de l’Australie vers les Alpes australiennes au printemps (flèches vertes), où ils estivent dans des grottes alpines fraîches pendant l’été, et retournent sur les zones de reproduction en automne (flèches violettes). © Nature
Mais comment ce petit insecte, au cerveau de la taille d’une graine de pavot, peut-il décrypter les constellations ? L’équipe a enregistré l’activité neuronale de leur cerveau visuel. Surprise : certaines cellules s’activent précisément quand le papillon est orienté dans une direction donnée du ciel.
Ces neurones, sensibles à la position du ciel nocturne, réagissent davantage à certaines zones du firmament – notamment la bande lumineuse de la Voie lactée. Ces cellules forment ce que les scientifiques appellent un “compas stellaire” intégré dans le cerveau du papillon.
En d’autres termes, le Bogong possède une boussole céleste gravée dans son ADN.
Rassemblement de bogongs dans une grotte australienne © Entomology, CSIRO, Wikimedia Commons
Une migration en péril
Quand les étoiles sont masquées par les nuages, les Bogong ne se perdent pas pour autant. Ils utilisent alors une autre boussole : le champ magnétique terrestre. Ce système de navigation redondant leur assure de ne jamais perdre le chemin du retour.
Ce double mécanisme – magnétique et stellaire – rappelle celui des oiseaux migrateurs ou des cétacés. Le Bogong est aujourd’hui une espèce menacée. La montée des températures, les pollutions lumineuses, les signaux brouillés et la fragmentation de leur habitat brouillent la route des Bogong. En 2019, les journaux australiens rapportaient un constat glaçant : les grottes alpines, autrefois noires de papillons, étaient presque vides.
Si ces papillons venaient à disparaître, ce serait non seulement la perte d’un pollinisateur essentiel, mais aussi celle d’un voyage cosmique inscrit dans les gènes.
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