C’est un fait-divers banal : les 6 et 7 août derniers, lors du week-end d’ouverture de la chasse au gibier d’eau, trois courlis cendrés – une espèce protégée – ont été abattus à trois endroits différents du littoral nord, entre la Normandie et les Hauts-de-France. Le massacre aurait pu passer inaperçu, comme tous les autres, si les oiseaux, équipés de balises GPS, n’étaient pas suivis par les autorités de plusieurs pays.
Comme le relate France 3, ce sont en effet des signaux inhabituels émis par ces balises qui ont permis aux gendarmes de l’Office français de la biodiversité (OFB) de découvrir, début août, les trois infractions. La première a été commise en baie de Canche, près du Touquet, la seconde en baie de Somme, sur la commune du Crotoy, la troisième en baie de Seine, non loin d’Honfleur.
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D’un manteau brun tirant sur le blanc et doté d’un long bec courbé, le courlis cendré (Numenius arquata) est un migrateur dont la répartition s’étend de l’Asie à l’ouest de l’Europe, en passant par la Russie, le Moyen-Orient et une partie de l’Afrique. C’est le plus grand oiseau limicole de France (un mètre d’envergure), juste devant la barge et l’échasse.
Classée comme « vulnérable » dans la Liste rouge nationale des oiseaux nicheurs, l’espèce est en régression partout dans le monde. En France, elle aurait reculé de 25 % en quinze ans. La disparition des prairies et des zones humides, due au changement d’affectation des sols, en serait la cause principale, quoique d’autres facteurs tels que le dérangement ou le saturnisme aviaire – intoxication aux grenailles de plomb – soient également évoqués.
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Malgré sa vulnérabilité et son statut de protection, il était encore possible, jusqu’à une période récente, de chasser le courlis cendré. Fort heureusement, l’espèce fait l’objet, depuis 2020, d’un plan national d’action et d’un moratoire de suspension de chasse, que le gouvernement a reconduit le 29 juillet dernier pour un an.
Dans le cadre de l’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs (AEWA), dont la France est signataire, le courlis cendré bénéficie également d’un suivi scientifique international. Les trois spécimens abattus faisaient ainsi partie d’un groupe de quinze courlis cendrés équipés de balises GPS dans le but de comprendre les menaces pesant sur l’espèce.
Selon la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), le discret massacre de ce début août, en plein domaine public maritime, « en dit long sur la réalité du braconnage en France » : si trois des quinze oiseaux suivis ont été illégalement abattus, cela veut dire que la chasse pourrait être responsable d’une hausse de 20 % de la mortalité de l’espèce, au moins.
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« Si l’on voit clairement se dessiner la stratégie du gouvernement, qui préfère renouveler chaque année l’interdiction de chasser plutôt que d’instaurer une interdiction pérenne garantissant la protection de ces espèces menacées, se pose désormais la question du respect sur le terrain des arrêtés d’interdiction », analyse la LPO, qui demande à ce que « toutes les espèces d’oiseaux en mauvais état de conservation » (une vingtaine) soient retirées de la liste du gibier chassable en France.
En attendant que le miracle advienne, des enquêtes judiciaires ont été ouvertes par l’Office français de la biodiversité dans les trois départements où les infractions ont eu lieu. Les policiers de l’environnement tenteront d’abord de retrouver les balises et les oiseaux.