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Des millions d’abeilles tuées par un insecticide qui soigne les brebis

« Ce qui nous choque, c’est que le GDS nous ait dit « Attention, renseignez-vous » alors que c’est absolument impossible. C’est à eux de trouver des solutions. On peut par exemple dire aux éleveurs : si vous avez absolument besoin de faire un traitement, vous devez vous déclarer sur tel appli ou tel site, et les apiculteurs auront 8 jours pour enlever leurs ruches. Ça on l’aurait fait, bien sûr ». 

À Sainte Affrique, les apiculteurs Bruno et Nadia Bondia ont connu cette année une étrange catastrophe. En quelques semaines, près d’un tiers de leurs colonies - soit plus d’un million d’abeilles - a été décimé. Aucun cadavre retrouvé dans les ruches, nulle trace d’un quelconque prédateur. Et pourtant, tous deux ont rapidement trouvé une explication. Il faut dire que non loin de leurs ruches se trouvent des élevages de brebis…

Abeilles tuées en masse

Créé en 2012, l’Arc-en-Miel regroupe 300 ruches installées en Sud Aveyron. Nadia et Bruno Bondia gèrent tous deux la ferme, qu’ils ont choisi de développer en bio « Nature et Progrès », une mention encore plus exigeante que le label AB (Agriculture Biologique).

Une bonne partie de leur temps se trouve également occupée par des activités de partage de leur métier, avec des visites immersives, des formations en apiculture ainsi que des accueils de publics aussi divers que des classes de maternelle ou des étudiants de l’école vétérinaire de Lyon.

Cet hiver, la ferme a subi une intoxication. « C’est la première fois qu’on subit une telle mortalité, avec des ruchers entiers anéantis », confie Nadia Fargeix-Bondia.

Au mois de décembre, les ruches avaient pourtant été contrôlées par Bruno Bondia. Tout allait très bien. Des ruches comprenant environ 15 000 abeilles chacune, un très bon signe à cette période-là. Elles étaient également pleines de réserves de miel, très populeuses et tous les paramètres étaient au vert. Même le varroa, un acarien qui affaiblit les abeilles auquel est confronté l’ensemble des apiculteurs de France, ne posait pas de soucis cette année-là.

Morts subites dans les colonies

Deux semaines plus tard, Bruno Bondia revient sur place. Il ne constate quasiment aucune dynamique, finit par ouvrir une ruche et voit 100 à 200 abeilles, avec la reine au milieu. Où sont les autres ? Il n’y a pas de tapis d’abeilles mortes, rien. Elles ont disparu.

Les 30 ruches de ce même rucher présentent les mêmes symptômes : pas une n’est indemne. L’apiculteur se rend sur un autre rucher à 50 km de là, posé chez des paysans. Même constat.

Or, lorsqu’une colonie ne comprend que 100 à 200 abeilles début décembre, elle ne peut pas survivre. Les abeilles ont en effet besoin d’être populeuses pour se tenir chaud l’hiver. À 15 000, elles se regroupent en grappes et maintiennent la chaleur. Avec seulement 100 à 200 individus, celles-ci étaient vouées à mourir. C’est ce qui s’est passé.

Ces 2 ruchers se trouvent sur des zones d’élevage de brebis, la ferme se trouvant en pleine « zone Roquefort », fromage-phare de l’Aveyron. Au même moment, les ruchers situés en montagne et en forêt, loin des élevages, ne présentent aucun problème.

« On a 2 ruchers de 30 ruches exterminées en zone brebis, et un troisième rucher avec 20 colonies sur 30 décimées. Avec les mêmes symptômes », résume Nadia Fargeix-Bondia.

« Renseignez-vous »

En début d’automne, le couple avait reçu une alerte du GDS – Groupement de Défense Sanitaire – organisme départemental auquel l’État confie des missions de suivi des aspects sanitaires de l’élevage. Le message prévenait que des cas de fièvre catarrhale ovine avaient été détectés en Aveyron. Celle-ci étant transmise par un moucheron piquant les brebis, les éleveurs allaient recevoir pour consigne de désinsectiser les animaux. Et le mail contenait l’injonction suivante : « Renseignez-vous. »

« Renseignez-vous ? Mais comment ça ? », réagit Nadia Fargeix-Bondia. « Les abeilles font 3 kilomètres autour de la ruche. Ce qui fait environ 30 kilomètres carrés autour de chaque rucher, où il faudrait qu’on sache précisément s’il n’y a pas un éleveur qui aurait déposé ses tas de fumier ».

En effet, le produit appliqué sur les brebis se retrouve dans leur sang puis dans leurs déjections. Or, à l’automne, les abeilles ont besoin de minéraux… qu’elles trouvent sur les tas de fumier. Par ailleurs, l’insecticide les désoriente avant de les tuer, ce qui expliquerait qu’elles ne soient jamais rentrées à la ruche. Enfin, une autre constatation qui corrobore l’hypothèse d’une mort des abeilles causée par l’insecticide : un autre rucher était situé sur une zone d’élevage de brebis, que l’éleveur a choisi de ne pas traiter contre la FCO. Celui-ci n’a connu aucun problème.

« Depuis 2012, on a eu entre 15 et 30% de mortalité sur les abeilles », note Nadia Fargeix-Bondia. « La mortalité naturelle chez les abeilles se situe autour de 8% – avant toutes les problématiques actuelles. 100% sur un rucher, c’est complètement anormal. D’autant plus qu’on savait qu’on était bons, notamment sur la pression varroa ». 

Pour le couple d’apiculteur, cette situation catastrophique pour eux aurait pu être évitée.

« Ce qui nous choque, c’est que le GDS nous ait dit « Attention, renseignez-vous » alors que c’est absolument impossible. C’est à eux de trouver des solutions. On peut par exemple dire aux éleveurs : si vous avez absolument besoin de faire un traitement, vous devez vous déclarer sur tel appli ou tel site, et les apiculteurs auront 8 jours pour enlever leurs ruches. Ça on l’aurait fait, bien sûr ». 

Un dossier « inexpliqué »

Suite à cela, Nadia et Bruno Bondia font une déclaration à un organisme récemment créé par l’État : l’OMAA – Observatoire des Mortalités d’Abeilles. Une vétérinaire vient sur place pour prélever des abeilles mortes, des abeilles vivantes, de la cire, du miel. Les résultats d’analyses ne montrent pas de présence du produit photo-pharmaceutique en question, la deltaméthrine.

Cependant, « pour tuer une abeille, une quantité infime de ce produit suffit », précise Nadia Fargeix-Bondia. « À tel point que les laboratoires ont du mal à le détecter ».

Les résultats montrent aussi que la pression varroa était bien gérée. Enfin, impossible de retrouver les cadavres des abeilles en dehors des ruches : le secteur est trop vaste, et leur corps se décompose rapidement.

« Aujourd’hui notre dossier est classé inexpliqué », remarque Nadia Fargeix-Bondia, « Alors que 3 mois avant, le GDS envoie des mails expliquant : « Attention les apiculteurs, vous pourriez avoir des mortalités inexpliqués, et si vous en aviez, les symptômes seraient ceux-là…». Exactement ceux qu’on a constatés ».

La deltaméthrine, tueur de pollinisateurs

Les conditions d’emploi de la deltaméthrine indiquent clairement que le produit tue les abeilles et autres insectes pollinisateurs.

« S’il ne se passe rien, le produit va continuer à être appliqué », s’inquiète Nadia Fargeix-Bondia. « La peur est instillée chez les éleveurs. C’était des mails tous les quatre matins, que des amis éleveurs ovins nous ont montrés. Ils étaient très alarmants, alors qu’il y avait 2 cas dans le département. Ils ont été poussés à désinsectiser, et pour ceux qui avaient du transport de brebis à effectuer, il était même obligatoire de désinsectiser ». 

Une injonction visiblement symptomatique de la surenchère de produits auxquels les éleveurs font face. D’autant plus que le fondement de cette injonction paraît douteuse : « Le GDS Aveyron, qui se nomme FODSA, a une filiale, Farago SAS, qui vend des produits à base de deltaméthrine. Cela veut dire que la FODSA, qui est bien le GDS officiel mandaté par l’Etat dans l’Aveyron, est à la fois prescripteur et vendeur de ces produits », pointe Nadia.

Par ailleurs, une autre approche était possible : « Un certain nombre d’éleveurs a dit : il n’y a pas besoin de dégainer l’artillerie lourde si nos brebis sont en bonne santé, ont une bonne immunité, ont des sels minéraux… Il n’y a besoin de rien faire ! », raconte l’apicultrice.

Avec des collègues de la Confédération Paysanne, Nadia et Bruno Bondia ont recensé leurs pertes inexpliquées qui présentaient les symptômes évoqués plus tôt.

« On est arrivés à 2 500 colonies mortes de manière inexpliquée. Une colonie bien populeuse prête à rentrer dans l’hiver abrite 15 000 abeilles habituellement. La même colonie est autour de 50 000 abeilles en juin » précise l’apicultrice.

Si l’on fait le calcul, plus d’un million d’abeilles sont mortes chez Nadia et Bruno Bondia, qui ont perdu 80 colonies. À l’échelle du département, ce sont plus de 37 millions d’abeilles qui auraient été décimées chez les autres apiculteurs pro ou semi-pros, pour la même raison.

Un métier de plus en plus difficile

Cet événement semble symptomatique de la situation actuelle des apicultrices et apiculteurs français.

« Sur des mortalités comme celles-ci, aucune assurance ne le prend en charge. Et quelque part, je les comprends, parce qu’aujourd’hui il n’y a plus un endroit où l’on peut poser les ruches sans être inquiets. Il y a trop de substances nocives pour les abeilles. Le récent recul sur la réduction des produits phytosanitaires est un cauchemar pour nous. Juste un exemple : le plan Écophyto comprenait une journée de formation pour les agriculteurs pour comprendre les conséquences de certains produits, notamment leurs risques sur les pollinisateurs. Avec le plan Écophyto abandonné, ce n’est plus cas ». 

Les conséquences de l’agriculture intensive – manque de fleurs, monocultures, etc – rendent les abeilles de plus en plus faibles. À tel point que trouver des endroits sûrs pour les ruches est désormais un casse-tête.

« D’une manière générale en France, l’apiculture est la cinquième roue du char. Elle ne pèse rien – a priori – dans l’agriculture française. Mais si on regarde la pollinisation…Les abeilles augmentent très sérieusement les rendements sur des cultures comme le tournesol ou le colza. La pollinisation est le « facteur limitant » sur ces cultures. Le facteur qui fait qu’à un moment donné, on arrive à un maximum. Par contre, si les pollinisateurs sont là et qu’ils vont bien, la productivité d’une culture peut se trouver encore augmentée ». 

Et pourtant, des produits comme la deltaméthrine continuent d’être prescrits par les autorités, avec les conséquences que l’on connaît. D’autant plus que la mortalité des abeilles est probablement l’arbre qui cache la forêt. « Nous, on alerte sur nos abeilles domestiques. Mais concernant les pollinisateurs sauvages, personne n’en parle », conclut Nadia Fargeix-Bondia.

Marine Wolf

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