Perché au-dessus d’une énorme falaise à presque 2 000m d’altitude, le Meghalaya est réputé pour être l’un des endroits les plus humides de la planète. Depuis des siècles, la tribu Khasi s’est adaptée aux violentes moussons en créant des ponts vivants à partir d’arbres. Aujourd’hui, ils se mobilisent face aux premiers effets du réchauffement climatique.
L’Etat Indien du Meghalaya, qui signifie « la demeure des nuages », porte bien son nom. Caché en haut d’une immense falaise, cette Région luxuriante connaît des moussons d’une intensité rare. Là-bas, il est déjà tombé 25 mètres de pluie en un an, le record du monde, et les habitants se souviennent encore de la fois où il a plu durant neuf jours et neuf nuits sans s’arrêter.
Pendant la mousson, les ruisseaux tranquilles deviennent des torrents impétueux, capables d’emporter les berges de la rivière sur leur passage, et impossibles à traverser. Au fil des siècles, la tribu Khasi s’est adapté à son environnement particulier grâce à des figuiers étrangleurs locaux. Cet arbre a été nommé ainsi en raison de la façon bien particulière dont il se nourrit : il pousse en étouffant d’autres arbres avec ses racines, dont certaines partent de la cime d’un arbre-hôte vers le sol, et d’autres de la terre vers le soleil, formant ainsi un enchevêtrement parfait.
Ce réseau solide de racines a donné une formidable idée aux Khasi : les utiliser pour créer des ponts-vivants qui leur permettent de traverser les torrents agités durant la mousson. Les racines enchevêtrées de l’arbre empêchent l’érosion des sols, et les berges de la rivière ne sont plus emportées par le courant. Chaque pont-vivant est un travail qui s’effectue sur plusieurs générations, car il est impossible pour un individu de l’accomplir lui-même au cours de sa seule vie.
Cette solidarité transgénérationnelle incite les membres d’une même famille à se transmettre le savoir nécessaire à l’entretien de ces ponts-vivants, résistants à n’importe quel déluge. Un seul pont-arbre peut se développer pendant 500 ans, et même comprendre plusieurs étages.
Aujourd’hui, une dizaine de ponts vivants relient les vallées du Meghalaya. Ce soin apporté à leur Terre et cette dépendance à leur environnement naturel a créé une très forte connexion à la Nature pour les Khasi. Dans cette tribu matrilinéaire, les femmes sont les légataires uniques des terres et des titres. Cette place importante à la femme a contribué à en faire un peuple majoritairement égalitaire, pacifiste, et protecteur de la nature.
Mais aujourd’hui, une menace plane sur cette Région jusqu’alors préservée. En 16 ans, près de la moitié des forêts de Meghalaya ont connu une « augmentation des perturbations » et environ un quart d’entre elles sont désormais « extrêmement vulnérables » à l’impact du changement climatique, selon une étude de 2018 commandée par le gouvernement de l’État. Les projets industriels et l’exploitation forestière perturbent cet écosystème unique, et une fois que les arbres ont été coupés, il est difficile de reforester la Région, ont déclaré les chercheurs de l’étude.
Encore plus préoccupant, les endroits où la dégradation forestière est le plus importante sont ceux qui hébergent le plus de biodiversité : un seul kilomètre carré de forêt tropicale peut héberger jusqu’à 1000 espèces de plantes différentes. Plusieurs espèces de plantes et d’animaux – vautours, grenouilles, tortues, insectes, champignons et orchidées – dans les forêts tropicales humides de Meghalaya sont « en danger critique d’extinction » ou « vulnérables ».
De la même façon qu’ils se sont organisés pour construire des ponts-vivants pendant des siècles, les villageois travaillent aujourd’hui ensemble pour sauver les forêts. Ils identifient les parcelles dégradées pour en limiter l’accès le temps qu’elles se régénèrent naturellement. Certains en adoptent même pour les entretenir manuellement, par exemple en éliminant les espèces non-natives de la Région qui risqueraient d’en perturber l’écosystème. Au Meghalaya, l’adaptation au changement climatique et l’importance de régénérer la Terre se transmet déjà.