Depuis l’arrivée au pouvoir en novembre 2015 du parti conservateur Droit et Justice (PiS) en Pologne, les arbres et forêts du pays sont menacés par un relâchement de la réglementation nationale protégeant la biodiversité. En deux décisions – dont une très récente – néfastes pour le patrimoine forestier polonais, le ministre de l’Environnement Jan Szyszko s’est attiré l’ire des associations environnementales du pays.
Abattage dérégulé
Le 1er janvier 2017 est entré en vigueur un amendement à la loi polonaise sur l’environnement, proposé par le ministre de l’Environnement et surnommé « loi Szyszko », qui assouplit à l’extrême les contraintes pour l’abattage d’arbres dans les propriétés privées. En pratique, et à l’exception de rares cas, la nécessité de demander l’autorisation des autorités (ou même de simplement les informer) et de prévoir la plantation d’autres arbres ou le versement d’une contrepartie est supprimée.
Pire encore, grâce à une faille dans la loi, rien n’empêche une exploitation forestière à but commercial de contourner la réglementation du secteur (elle toujours bien en place) en vendant ses forêts à un particulier qui se charge de l’abattage, avant de revendre derechef les terres à l’entreprise. « Légalement, rien ne les empêche d’agir de telle façon », déplore Dagmara Misztela du groupement Gdzie Jest Drzewo (« Où est l’arbre » en français), dans un entretien avec le Guardian.
Difficiles à quantifier, en l’absence désormais légale de signalements, les conséquences de l’amendement sont jugées catastrophiques par Greenpeace, qui en veut pour preuve l’explosion de leur standard téléphonique dédié aux signalements d’abattage sauvage. De son côté, le Krakow Post estime que plus de mille arbres ont été abattus à Cracovie rien que dans le mois de février. « Beaucoup de gens voient les arbres sur leurs terres comme une nuisance. Sans rien signaler, ils se content de couper – c’est de la barbarie », regrette Joanna Mazgajska de l’Institut polonais de zoologie.

Menaces sur la forêt primale
Ce coup dur récent pour le patrimoine sylvestre polonais vient s’ajouter à une première attaque, qui date de mai 2016 : il s’agit de l’annonce, par le même Jan Szyszko, d’un plan de coupe de 180 000 m3 de bois dans la forêt primale de Bialowieza. En surface, cela représente plus de 4 000 hectares, sur une surface arborée totale de 150 000 hectares (2,7%).
La forêt de Bialowieza est une des dernières forêts primales (c’est-à-dire qui n’a jamais subi d’intervention humaine) d’Europe. Dans cet écrin préservé de nature, aux côtés de chênes et de frênes centenaires, résident les plus vieux épicéas du continent, dont les cimes dépassent les 50 mètres. On y trouve également une faune exceptionnelle : 250 espèces d’oiseaux et 62 de mammifères dont le lynx, le loup et même le bison (900 individus, soit 25% de la population mondiale, y arpentent les sous-bois millénaires).
Le site, classé au patrimoine mondial de l’Unesco et protégé par le programme européen « Natura 2000 » est malheureusement touché par un fléau : depuis 2012, les arbres souffrent d’une attaque de scolytes, des insectes xylophages friands d’épicéa. En vertu des recommandations de l’Office national des forêts polonais, le gouvernement avait alors initié un programme de coupes sanitaires, visant à protéger les arbres. La méthode, déjà controversée à l’époque, a atteint l’année dernière des proportions démesurées (multiplication par trois des quantités à abattre par rapport au plan initial).
Réactions militantes
Dans les deux cas, les réactions de la société civile et des associations de défense de l’environnement ne se sont pas fait attendre. A Cracovie, un mouvement féminin nommé Polish Mothers on Tree Stumps (« mères polonaises sur des souches ») parcourt les sites fraîchement dépourvus de leurs arbres et pose, bébé au sein, sur les souches à vif. Les photos, relayées sur les réseaux sociaux, interpellent par leur symbolisme glaçant : si nous abattons les arbres, garants de notre avenir, doit-on toujours chérir les nourrissons qui l’incarnent également ? Plus prosaïquement, d’autres militants se sont introduits dans le jardin du ministre de l’Environnement pour y abattre des arbres, dans un mouvement de vengeance désespéré.
A Bialowieza, petite bourgade à la frontière avec la Biélorussie, la protestation n’est pas si vive. En effet, l’essentiel de la population locale, de tradition rurale et vivant depuis des siècles de l’exploitation forestière, soutient le gouvernement : « les autochtones sont pratiques. Ils veulent du bois à brûler, des matériaux de construction », témoigne au Monde une habitante répondant au nom de Basia. L’opposition, souvent mal vue ici, vient de la ville, à l’instar du professeur Tomasz Wesolowski, pour qui la préservation de cet écosystème immaculé passe avant tout.

Visions antagonistes
Au pied des arbres centenaires, deux visions de la forêt s’opposent. La première, traditionnelle et court-termiste, consiste à penser la forêt comme un gagne-pain ; face aux ravages des scolytes (3,7 millions de m3 d’arbres depuis 2008, l’équivalent pour ce camp d’un manque à gagner de 160 millions d’euros), la seule solution envisagée est l’abattage sanitaire pour endiguer la progression du parasite. « Si nous ne faisons rien, la forêt ne mourra pas, mais perdra de sa valeur naturelle », déclare Dariusz Skirko, forestier en chef à Bialowieza.
De l’autre côté, les écologistes préfèrent une vision plus large, incluant les épidémies de parasites dans le destin millénaire d’une forêt primaire. Pour ce camp, la disparition actuelle des épicéas n’est qu’une étape, regrettable mais naturelle, dans le renouvellement de l’écosystème forestier. Pour une autre frange, à l’écologisme plus pragmatique, les coupes franches ne sont tout simplement pas la bonne solution : « il est démontré que l’abattage des arbres n’est pas un bon moyen de lutter contre le scolyte », argumente Agata Szafraniuk, avocate au sein du cabinet ClientEarth.
Ce cabinet, au côté de WWF et de Greenpeace, a déposé en conséquence une plainte auprès de la Commission européenne en avril 2016. Pour les militants, le ministre est moins préoccupé par la préservation de la forêt que par la satisfaction de la filière forestière. Faisant suite à cette plainte, Bruxelles a sommé le mois dernier – au terme de multiples avertissements – le gouvernement d’interrompre dans les 30 jours les coupes sous peine de sanction pour violation de la législation européenne sur les zones naturelles protégées.
« Nous devons reconnaître que l’homme (…) a non seulement le droit, mais le devoir d’utiliser les ressources naturelles [et que] le développement de l’homme n’est pas un danger pour l’environnement »
Post-vérité à la polonaise
La politique menée en matière d’environnement par le gouvernement conservateur polonais a de quoi inquiéter les défenseurs de l’environnement. D’idéologie catholique et climatosceptique, le ministre Jan Szyszko a affirmé à plusieurs reprises la primauté de l’homme sur la nature, citant le livre de la Genèse selon lequel l’homme a été créé pour « assujettir » la nature. « Nous devons reconnaître que l’homme (…) a non seulement le droit, mais le devoir d’utiliser les ressources naturelles [et que] le développement de l’homme n’est pas un danger pour l’environnement », avait-il déclaré en février.
Défiant à l’égard des ONG environnementalistes, qu’il considère comme des faux prophètes de malheur, le ministre avait tenté de les exclure de fait des consultations sur les projets d’environnement, avant d’être arrêté par la mobilisation civile. Cette attitude de manipulation des faits lui a attiré des comparaisons avec Donald Trump (dont le ministre de l’Ecologie polonais avait d’ailleurs salué la décision de sortir des accords de Paris), familier des affirmations péremptoires sans fondement scientifique, ou « post-vérités ».

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