Depuis 2011, l’association « Comme les Autres » poursuit deux objectifs : accompagner des personnes devenues handicapées à la suite d’un accident dans leur reconstruction, et faire évoluer les regards et relations entre le handicap et le monde valide.
Plonger pour rebondir
Laurent est handicapé moteur depuis un accident médullaire en 2006. Parmi tous les moments vécus avec « Comme les Autres », il a été le plus marqué par la plongée sous glace à Tignes. Température de l’eau : -1°C. Vêtu de sous-vêtements techniques et d’une combinaison étanche, il a plongé dans l’eau, accompagné par un professionnel. Au-dessus de leurs têtes, 20 à 30 cm de glace. Sous la glace, un fil d’Ariane horizontal longe la paroi jusqu’à un autre trou, 25 mètres plus loin. En voyant Laurent à l’aise, l’accompagnateur l’a fait plonger un peu plus profond pour mieux admirer l’étendue glacée au-dessus d’eux. Mélange de reliefs glacés, de stalactites, et de bulles d’air, baigné dans un halo vert surnaturel, Laurent a frissonné devant tant de beauté.
« C’était un mélange de quiétude silencieuse, plongé devant un décor grandiose, au cœur d’une dimension jusqu’ici inconnue. » se souvient-il.
La plongée était l’une des activités proposées lors de ce séjour hivernal en 2015. Au reste du planning : du ski bien sûr, du quad sur glace, une balade avec des chiens de traineau, et … un saut en tremplin de 50 mètres suspendu à deux élastiques en bobski ! Les participants du séjour ont été les premiers handis à passer sur le tremplin. A ce moment-là, Laurent est handicapé moteur depuis 9 ans. Ce séjour l’a galvanisé en lui donnant une énergie créatrice pour ses projets du quotidien, tout comme pour les autres participants handicapés et valides ayant fait le séjour avec lui.

Une association née d’un accident violent
Cette aventure de quelques jours fait partie des nombreux séjours sportifs organisés par l’association « Comme les Autres ». Cette dernière est née de l’histoire des deux frères Jérémiasz, accidentés de la vie : Michaël et son grand frère Jonathan. Casse-cous depuis leur enfance, ils étaient en vacances d’hiver avec leur petit frère Benjamin, un ami et leurs parents. Pendant une session au Snow Park, Michaël perd le contrôle de sa vitesse et de son corps. A la troisième bosse, la plus raide, il s’élance trop haut et se souvient perdre conscience. Ses frères, témoins de la scène, le voient s’élever à 7 mètres dans les airs, se désarticuler, et retomber. Alors âgé de 18 ans, Michaël devient paraplégique.
Après cet accident, la famille et les amis de Michaël viennent le voir tous les jours à l’Institut Mutualiste Montsouris. Maud Villiot Raynaud, Directrice de l’association, nous raconte :
« Jonathan faisait le filtre en demandant aux gens de laisser leur tristesse à la porte et d’entrer dans la chambre d’hôpital avec des énergies positives. Cela a beaucoup aidé Michaël pour puiser dans ses ressources et commencer son rebond. »
Bien sûr, le jeune homme a alors aussi connu des moments de doutes et de questionnement sur sa vie d’après. A la sortie d’hôpital, il intègre durant 9 mois le Centre de réadaptation francilien Coubert. Là-bas, il s’est concentré sur sa rééducation et a découvert le tennis handisport. Deux ans après son accident, il devient Champion de France. Cinq ans après, Champion du Monde.

Aujourd’hui, Michaël a vécu 15 ans de carrière sportive intensive, a fait le tour du monde grâce aux tournois internationaux de tennis, a été multi-médaillé en simple, en double, et en or à plusieurs reprises. Pour lui, « cet accident a été au final une aubaine, car il n’aurait jamais vécu la vie qu’il a eu en étant valide ». C’est d’ailleurs sur le circuit de tennis qu’il rencontre sa femme Carolyn, alors kinésithérapeute.
Onze ans après l’accident, en 2011, Jonathan propose à Carolyn et Michaël de lancer une association pour donner à d’autres personnes handicapées les clés d’une reconstruction réussie après un accident. Ensemble, comme ils l’ont été avant, pendant et après l’accident. Jonathan et Michaël ont défini plusieurs ingrédients favorables à une reconstruction réussie. Le premier, se servir du sport et des sensations fortes pour favoriser un rebond physique et psychique en envoyant des sensations positives à un corps qui n’était plus que devenu un objet de souffrance. Le deuxième, mélanger dans les séjours personnes handicapées et valides pour éviter tout phénomène de repli sur soi et ne pas reléguer le handicap en-dehors de la société. Enfin, le pair-accompagnement entraîne la transmission et le partage d’expériences de vie et bonnes pratiques d’une prise en main du quotidien plus rapide pour les personnes handicapées.
Faire du sport et vivre ensemble, « Comme les autres »
Ils ont transformé ces trois ingrédients en une recette gagnante : une aventure sportive de cinq jours avec six participants handicapés post-accidents, six référents valides, un référent handicap en fauteuil, un responsable valide, le tout filmé par un caméraman professionnel. Le 1er séjour a eu lieu en Mars 2011 à La Plagne. En 2017, 15 séjours ont été organisés.
Vidéo d’un séjour « Comme les Autres »
Durant les séjours, le pair-accompagnement est conçu pour les handicapés comme pour les valides, avec des objectifs spécifiques à chacun des deux groupes. Les participants handicapés doivent travailler sur l’estime de soi et le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, tandis que les participants valides doivent dépasser la gêne qu’ils peuvent avoir au démarrage sur le handicap et qui lui donne une trop grande place. Maud Villiot Raynaud le précise :
« Cette hyper-empathie peut être perçue comme de la pitié, ce qui est nuisible à une relation saine entre deux personnes. Le handicap reprend sa juste place : il est là, emmerdant au quotidien, mais ce n’est pas ce qui définit quelqu’un. »
Valides et handicapés partagent ainsi une tranche de quotidien pendant le séjour : une chambre, des repas et des moments festifs. L’occasion pour les participants valides de comprendre le handicap au quotidien, selon la façon dont leurs compagnons paraplégiques sont touchés. Le handicap moteur est souvent accompagné de problèmes organiques, urinaires ou sexuels. Les membres ne sont pas les seuls touchés.
« Les participants valides posent des questions et se rendent comptent de tout ça grâce à ce moment de vie en communauté. Cela déclenche une grande admiration des valides en voyant les personnes en situation de handicap faire exactement les mêmes activités qu’eux alors qu’ils ont toutes ces contraintes à gérer ».
Maud Villiot Raynaud nous explique : « Nos actions sont une forme de militantisme positif. Bien sûr qu’on aimerait rendre toutes les villes de France plus accessibles en fauteuil. Mais tant que la rampe n’est pas là, apprenons à nous connaître, à vivre ensemble, que la personne en fauteuil puisse se faire aider par un commerçant ou un citoyen pour passer la marche ».

Un accompagnement personnalisé après les séjours
Si la formule du séjour a très bien marché pour booster Laurent, ce n’est pas toujours le cas pour tout le monde. D’autres saisissent l’énergie procurée temporairement, et quand le soufflé retombe, un petit moment de spleen doit être franchi. Pour les participants au quotidien plus morose, le séjour sportif peut rendre le retour à la réalité encore plus violent. Pour pallier le problème, « Comme les autres » a lancé un programme individuel d’accompagnement d’un an aux participants handicapés qui le souhaitent. Un éducateur spécialisé et deux assistants sociaux ont été embauchés par l’association pour le mener à bien. Cet accompagnement social individuel est ponctué de moments collectifs et journées de rencontres entre anciens participants pour entretenir l’énergie et les relations créées dans le séjour, et casser l’austérité administrative d’un parcours.
A la fin de l’année d’accompagnement, un bilan est fait entre l’association et l’adhérent pour faire le point sur son parcours et ses besoins. Que ce soit pour les séjours sportifs ou l’accompagnement, la seule contribution financière demandée aux participants valides et handicapés est une adhésion annuelle de quinze euros. Tout le budget de l’association est fourni à 20% par les institutions publiques, notamment grâce au prix remporté au concours « La France s’engage », et à 80% par des mécènes privés.
L’association emploie 11 salariés, et prévoit d’organiser 22 séjours en 2018. « Comme les Autres » veut aussi lancer une antenne dans les Hauts-de-France, la plus sinistrée en ce qui concerne l’emploi, en ouvrant pour 10 handicapés moteur une offre de formation de 600 heures sur la maintenance informatique. L’association recherche régulièrement des volontaires pour les séjours sportifs, n’hésitez pas à les contacter si le projet vous intéresse.
Photos : Comme les Autres

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