Le secteur militaire, de plus en plus privatisé, réduit les coûts pour optimiser les projets. Les coûts ? Ce sont ces hommes que l’on va chercher dans des régions pauvres en Afrique – la plupart d’entre eux sont d’anciens enfants soldats.
« Le business militaire est en phase avec la mondialisation financière »
Lorsqu’on pense à la guerre, on pense à des soldats en uniforme, prêts à se battre et à se sacrifier pour défendre leur pays et un mode de vie auquel ils croient. Seulement, cette image qui a caractérisé les guerres jusque dans les années 90 est erronée. Les guerres du XXIème siècle ne correspondent plus à la défense des intérêts nationaux mais à la loi de l’offre et de la demande. AEGIS est la société militaire privée la plus répandue et dispose de « personnel » dans les zones de conflits du monde entier. Son cœur de métier est de proposer des hommes, des escadrons armés pour mener un conflit.
Quelle que soit la partie du monde ou les intérêts défendus, ces hommes et leurs équipements militaires ne sont que des paramètres, des chiffres sur un contrat juteux. En fait, si les fonds d’une multinationale ou d’un gouvernement le permettent, il est possible de mobiliser des forces armées en « pack sur mesure ». Merveilleux.

Opacité pratique
Les experts sur la question de l’apparition du secteur militaire privé interrogés dans le documentaire, prennent comme point d’ancrage les attentats du 11 septembre. En effet, suite à ces événements, Georges Bush a très vite déployé des hommes en Irak, soutenus par des soldats appartenant à des entreprises privées. Seulement, plusieurs années après, le peuple américain ne soutient plus cette guerre et ses débouchés, et exige le retrait des troupes armées du sol irakien.
Barack Obama accèdera à cette demande en retirant les soldats réguliers, tout en maintenant les « employés » des sociétés privées : en effet, les « contractuels » ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels ou rendu public. Depuis cette volonté du peuple américain de ramener les soldats au pays, le recours aux entreprises privées a explosé : très vite, il a fallu plus d’hommes pour moins cher. C’est donc dans les années 2010 que les entreprises privées telles qu’AEGIS ont lancé de larges campagnes de recrutement dans des régions pauvres de l’Afrique.
« Les Ougandais qui savent se servir d’une arme trouvent du travail »
Le président Ougandais depuis 1986, Yoweri Museveni, considère que la guerre fait partie de l’ADN de ses citoyens et tente de dé-dramatiser le phénomène des enfants soldats :
« Ici, en Ouganda, les jeunes garçons apprennent à se battre dès l’âge de 4 ans. C’est la tradition. Avec des bâtons, des lances, des flèches… C’est la tradition. Donc si vous croyez que ça les perturbe psychologiquement, ce n’est pas le cas. »
S’il en existe toujours aujourd’hui, nombre de ces enfants qui ont vécu les pires horreurs lors des guerres civiles en Sierra Leone ou en Ouganda ont grandi et se sont retrouvés sans travail à la fin de la guerre. C’était sans compter sur les sociétés privées et leurs multitudes de sous-traitants (garants d’une opacité efficace) qui proposent de vendre leur force de combat en échange d’un salaire.

Retour à la case horreur. Formés et armés, des milliers d’hommes quittent leur pays afin de se battre aveuglément à travers le monde pour seul bénéfice : leur salaire. Une majorité des hommes qui sont recrutés ne sont autres que d’anciens enfants soldats : leur formation coûte moins cher et leur propension à reculer devant la peur est moindre par rapport aux autres. Interviewée dans le cadre du documentaire diffusé sur ARTE, la Docteure en anthropologie, Maya Mynster Christensen affirme à propos d’un recrutement que :
« pour les autorités Sierra-Leonaises, ce recrutement pour l’Irak était une bonne affaire. C’est l’occasion pour les autorités d’éloigner des délinquants locaux pour quelques temps et à leur retour deux ans plus tard, l’argent gagné à l’étranger permet de stabiliser une partie de la situation économique en Sierra Leone. »
Un vernis de respectabilité dans un univers de mercenaires
Dans les années 90, la Cour Internationale a pourtant condamné la première société militaire privée spécialisée dans le recrutement d’unités d’élite et d’escadrons de la mort, Executive Outcomes (cf. Blood Diamond). Cette entreprise avait pour client le gouvernement Angolais, Sierra-Leonais ainsi que des compagnies pétrolières.
Cette condamnation n’a eu pour effet qu’une passation de contrat vers une autre compagnie : Sandline International et à sa tête, l’actuel dirigeant de AEGIS. Tim Spicer est un homme d’affaires anglais, ex-lieutenant colonel de l’armée britannique qui permet d’apposer un « vernis de respectabilité dans un univers de mercenaires », explique le journaliste et auteur Stephen Armstrong. Le bénéfice est immense : pour les responsables politiques, « le recours au secteur privé offre une zone grise confortable car si le grand public s’inquiète du nombre de militaires au sol, ils n’ont pas de moyens de connaître le nombre de contractuels mobilisés ».

Pour les soldats, c’est un moyen de gagner leur vie et de subvenir tant bien que mal aux besoins de leur famille; pour les états dont ils sont issus, cela représente une formidable entrée de capitaux étrangers dans le pays et finalement, pour les entreprises militaires, le jackpot ultime.
Récapitulons, agissons
Des pays occidentaux et des multinationales ont donc recours à un processus très opaque vis-à-vis des populations afin de recruter des hommes provenant de régions pauvres. Ces hommes sont majoritairement d’anciens enfants soldats et vont une fois de plus, faire office de chair à canon pour des intérêts qui leurs sont parfois inconnus. Cette privatisation du secteur militaire est d’une immense hypocrisie et façonne des générations meurtries et asservies, paralysant le développement de ces pays pourtant pleins de ressources. Il faut briser cette opacité, il faut sensibiliser, il faut s’informer sur le sujet et porter une nouvelle fois ces cas devant les instances de défense des droits de l’Homme qui sont une fois de plus complètement ignorées.
Crédits Photos : Mohammed Huwais / AFP – Junior D. Kannah / AFP