Lorsque certaines entreprises non-éthiques sont pointées du doigt par des ONG ou associations, la préférence d’utilisation des ressources se tourne de plus en plus vers un bâillonnement des dénonciateurs plutôt qu’un changement constructif.
La communication : pour et contre l’information
La recrudescence des réseaux sociaux, l’accès facilité et de moins en moins couteux à l’information permet à de nombreux organismes de communiquer plus efficacement et plus largement. En effet, fini le temps des petits arrangements sous la table, nous sommes dans l’ère de l’information où tout peut se savoir. C’est un fait : les lanceurs d’alertes, les associations, les ONG, les journalistes et même les citoyens lambda peuvent s’offrir de la visibilité sur le net à moindre coût et atteindre un maximum de monde. Ce système d’information et de transparence oblige de nombreuses entreprises, institutions et gouvernements à montrer patte blanche, à modifier leur processus, à investir dans leur image voire à augmenter leur éthique. Depuis les années 2000, les améliorations et les changements positifs se multiplient, les citoyens cliquent, votent et consomment de plus en plus de manière responsable. Seulement voilà, ces changements ont un coût financier, humain et de temps – lorsque les affaires se multiplient et que l’espace public est inondé par des dénonciations permanentes, certaines entreprises font des choix stratégiques permettant de diminuer l’impact d’expression des dénonciateurs.
Au vu de la rapidité de l’information, de la courte mémoire des internautes et de la complexité des chaînes de production, le calcul est de plus en plus vite fait : cela coûte moins cher d’attaquer en justice les dénonciateurs que de mener à bien des changements structurels au sein des entreprises, institutions ou gouvernements. Le levier de la transparence excessive permet à de nombreuses entreprises de se cacher dans le brouillard d’information dans lequel évolue des citoyens qui y voient de moins en moins clair.
La technique des « poursuites-baillons »
Les défenseurs des droits humains ou environnementaux ont pour seule arme leur liberté d’expression ; ne pouvant pas être directement réduite, certaines entreprises peu scrupuleuses ont recours à ce que l’on appelle des « poursuites-baillons » ainsi que du noyage administratif. Les ONG, lanceurs d’alerte ou associations ont en commun leur taille qui est bien inférieur face aux géants qu’ils attaquent. Lorsque les ressources financières et humaines sont accaparées pour mettre en place une défense contre des procès, parfois pourtant gagnés d’avance, elles ne peuvent être allouées à la poursuite des enquêtes, la diffusion et la communication autour de ces affaires. L’affaiblissement psychologique et financier des organisations pointant du doigt les violations de droits humains et environnementaux pour défendre l’intérêt commun est un outil très efficace pour les censurer. Devant l’ampleur des risques encourus en cas de perte du procès, les poursuites sont souvent assez dissuasives pour que les organisations s’auto-bâillonnent pour ne pas mettre la clé sous la porte. D’autre part, il peut arriver que les entreprises obtiennent de la justice une interdiction de publier des informations concernant certaines affaires. Le journal britannique The Guardian en a fait les frais lors d’une condamnation l’obligeant à stopper les publications concernant l’affaire du Probo Koala suite à une mise en accusation par l’entreprise pétrolière Trafigura. En plus de l’arrêt des publications, le journal s’est également vu interdire la divulgation de ladite censure. Il en est de même pour Greenpeace qui s’est vu récemment poursuivi en justice par l’entreprise canadienne Resolute Forest Products ; au Canada, l’entreprise poursuit Greenpeace Canada et réclame 7 millions de dollars canadiens et aux Etats-Unis, elle réclame 300 millions de dollars canadiens à Greenpeace Etats-Unis et Greenpeace International. Les entreprises utilisent généralement des motifs tels que la diffamation ou l’atteinte à la liberté d’entreprendre afin de mener à bien ces poursuites réduisant au silence – au moins momentanément, le temps que l’affaire retombe – ses opposants.
Un chemin pavé d’embûche pour enrayer ces poursuites-bâillons
En France, un procès vers la responsabilisation des multinationales pour leurs activités à l’étranger qui violeraient les droits humains (uniquement) a été lancé via l’adoption de la proposition de loi sur le devoir de vigilance. Grâce à cette initiative, la France pourrait renforcer la liberté d’expression et entamer une lutte de fond contre ces poursuites-bâillons qui vont contre l’intérêt commun. La future validation de cette loi via le Conseil Constitutionnel est menacée par l’égide de la fameuse liberté d’entreprendre derrière laquelle, il devient commun de se cacher. Vincent Vigneau, conseiller à la Cour de Cassation a proposé la mise en place de la dépénalisation de la diffamation afin de renforcer « l’égalité des parties, une meilleure prise en charge des frais de justice et la possibilité d’obliger une entreprise à publier une décision qui la débouterait de son action en diffamation ». D’autres outils tels que la création d’un « fond spécifique d’aide à la disposition des défendeurs, l’imposition de provision pour frais, l’établissement d’une assurance publique ou encore l’obligation de condamner les initiateurs à régler l’intégralité des frais de procédure, et des dommages et intérêts exemplaires » pourraient protéger efficacement et rassurer les défenseurs des droits humaines et environnementaux.
Au Québec, en Australie et dans certains Etats des Etats-Unis, la diffamation est tout simplement interdite pour les entreprises de plus de dix salariés, ce type de loi pourrait contrer les poursuites bâillons. L’intérêt des organisations environnementales notamment n’étant pas de tirer les entreprises vers le bas, mais bien de pousser leur éthique vers le haut, il est peut-être temps que ces dernières soient plus conciliantes pour ralentir cette incessante agressivité respective menant à une perte de confiance indéniable. S’il est clair que les changements éthiques et environnementaux coûtent cher aux entreprises, il a été prouvé de nombreuses fois que c’est un investissement rentable et durable, tant pour les entreprises que pour les consommateurs.

Pour commander notre Manifeste, cliquez sur l’image !