Une enquête Secrets d’info de Sylvain Tronchet met en avant des documents mettant la forge du Creusot dans le collimateur de l’industrie nucléaire.

Industrie nucléaire française : remise en cause de toute une chaine de contrôle

Déjà ébranlée par la catastrophe de Fukushima, c’est toute la chaine de contrôle de la filière qui est aujourd’hui remise en cause dans cette affaire qui fait scandale au sein de l’industrie du nucléaire. La forge du Creusot a fourni à plusieurs centrales des pièces non conformes à la réglementation. Parmi ces usines la cuve de l’EPR de Flamanville attend toujours d’être validée par l’ASN (l’Autorité de sureté nucléaire).

Selon l’enquête de France inter, EDF et Areva auraient fait preuve d’une « incroyable négligence ». En effet, en 2006 Areva fabrique la cuve de l’EPR de Flamanville à la forge du Creusot, avant de se rendre compte en 2014 que celle-ci n’est pas conforme. EDF et Areva étaient pourtant alertés depuis 2005 des dysfonctionnements et problèmes de qualité de cette usine par l’ASN. Jean François Victor, Ancien dirigeant du site du Creusot affirme que « les expertises concluent qu’au moment de la fabrication de la cuve et du couvercle de l’EPR, les usines du Creusot n’étaient pas en capacité de réaliser ces pièces. L’acier de la cuve contiendrait donc aujourd’hui trop de carbone et risque de céder en cas de changement brutal de température ».

Un suivi de qualité défaillant

La forge de Creusot est au cœur de l’histoire de la sidérurgie depuis les années 60 en France. Elle a fabriqué des pièces qui ont équipé des centrales nucléaires à travers le monde. L’usine a failli disparaitre plusieurs fois lors de la faillite de Creusot Loire en 1984 avant d’être racheté par Michel Yves Bolloré en 2003. René Dumont dirigeant de la forge à l’époque témoigne que de nombreux cadres désertent alors la forge et que le Creusot voit arriver de nouveaux sous-traitants ne connaissant pas toujours bien le métier. Divers problèmes de fabrication sont alors apparus.

En mai 2006 l’ASN insiste à nouveau auprès d’EDF et Areva sur les nombreux incidents et incite Areva à racheter son fournisseur. Le site est alors racheté à Michel Yves Bolloré pour 170 millions d’euros (acheté trois ans plus tôt environ 800 000 €). Cette même année, la décision de forger pour EPR est prise alors même que EDF et Areva admettent avoir identifié des problèmes de qualité.  Jean Luc Mercier, délégué CGT de la forge accuse même Areva d’avoir dégradé encore plus l’assurance de la qualité sur le site. D’après lui, les machines devaient au besoin être arrêtées afin d’être vérifiées et validées. Or aujourd’hui les machines tournent 8h/8.

Malgré les alertes de l’ASN suite à la sortie de la forge, aucune analyse n’est pratiquée et en 2014 la cuve est sur le chantier de Flamanville. Le verdict tombera 9 mois plus tard, après des tests enfin effectués : le fond et le couvercle possèdent des anomalies liées à la « ségrégation carbone ». Le taux de carbone contenu dans l’acier est de 0,3% quand il ne doit normalement pas dépasser 0,2 %. En effet, cela peut causer un manque de souplesse et donc des cassures pour lesquelles il n’existe pas de plan B.

D’après Areva, qui a refait ses calculs la cuve est bonne pour le service malgré ses défauts. L’ASN décidera en septembre si elle valide ces résultats.

Comment le leader mondial du nucléaire peut-il laisser passer un tel manque de qualité ?

David Emond DG d’Areva NP répond que « Ces pratiques existaient depuis des décennies. Elles sont inacceptables d’un point de vue culture de la sûreté et de l’assurance de la qualité. Dans cette usine, on n’a pas eu cette culture sur toute la période ». Ce à quoi René Dumont ancien directeur de la forge répond que « accuser les gens qui ont fait vivre cette forge pendant des décennies, qui ont fourni des tas de pièces dans le monde, d’avoir mis en place un système basé sur la magouille et la falsification, c’est de la calomnie. C’est surtout, je pense, le désir de camoufler ses propres manquements. »

EDF a quant à lui livré à France inter que « le gouvernement Français et EDF partageaient en 2006 l’intérêt de garder la filière française opérationnelle en France. Avec le renouveau du nucléaire qui se profilait à ce moment-là, EDF a souhaité renforcer des moyens de production en France pour mieux maîtriser sa capacité de réalisation de projets industriels ». Une enquête préliminaire est ouverte et plusieurs associations ont porté plainte contre EDF et Areva pour usage de faux et mise en danger délibérée de la vie d’autrui. De plus, si les essais complémentaires de l’ASN ne sont pas convaincants, cela remettra en question l’avenir de la filière EPR. Un coup dur pour l’image d’Areva et EDF mais également pour l’image de l’industrie nucléaire française.

Sources : Natura-Sciences / France Inter

Crédit Photo : Charly Triballeau / AFP

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