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De riches américains s’amusent à jouer aux pauvres juste pour le fun

#PasleGorafi / Le 2 février 2017, Envoyé Spécial livrait aux Français des images hors du temps : celle d’un rêve américain fait de papier mâché et d’un pays où le nouveau jeu à la mode des plus aisés est celui de jouer au pauvre. Ceci n’est pas un canular. La troisième partie de l’émission Envoyé Spécial […]

#PasleGorafi / Le 2 février 2017, Envoyé Spécial livrait aux Français des images hors du temps : celle d’un rêve américain fait de papier mâché et d’un pays où le nouveau jeu à la mode des plus aisés est celui de jouer au pauvre. Ceci n’est pas un canular.

La troisième partie de l’émission Envoyé Spécial d’Elise Lucet diffusée le 2 février 2017 est le reportage mené par Laura Aguirre de Carcer, Mathieu Dreujou et Marielle Krouk. Ils se sont rendus aux Etats-Unis afin d’observer le nouveau jeu à la mode de plusieurs centaines d’américains : vivre la vie d’un pauvre le temps d’un week-end ou d’un jeu de simulation. On les appelle « les stages de pauvreté », ils durent entre une heure ou un week-end et permettent à de riches citoyens américains de « se rendre compte de la vie d’un pauvre ». Durant le reportage, le malaise est palpable, lorsque les organisateurs se justifient en expliquant que c’est un moyen de sensibiliser les participants, on ne peut s’empêcher de se souvenir de riches familles royales qui jouaient aux sauvages le temps d’une après-midi.

Venez les enfants, aujourd’hui on va voir les pauvres !

La première partie du reportage est tournée dans un lycée huppé du Texas, tout y est : les pom-pom girls, les casiers alignés, les couleurs de l’école… On se sent comme dans un épisode de 13 Reasons Why ou dans High School Musical. Sourires aux lèvres, les enfants dont la scolarité coûte environ 15 000 par an, se réjouissent à l’idée de jouer « au pauvre ». Cette idée vient du principal, Bill Borg, qui estime que ces enfants chouchoutés n’ont aucune idée de ce qu’est la vraie vie et que la solution est de les confronter à la réalité via un « stage de pauvreté » obligatoire pour tous les élèves (en été).

Pour cela, les élèves se rendent à l’autre bout de la rue où les sans abris et les gens modestes vivent excentrés du campus – ils dormiront sur un carré de pelouse grillagé (oui, on joue aux pauvres, mais pas avec les vrais pauvres) emmitouflé dans un sac de couchage et n’auront pas la possibilité de se doucher ou de se changer. Avant de passer la nuit dehors, les élèves sont invités dans une grande pièce pleine de vêtements de « pauvre », ils peuvent choisir parmi des tas d’habits dépareillés, colorés à outrance, abimés et d’occasion. Ils sont également invités à choisir 4 objets personnels qui pourront garder avec eux durant le week-end : se pose alors le dilemme du dentifrice ou de la casquette pour cacher ses cheveux gras et se protéger du soleil, « est-ce que les pauvres font attention à leur peau ? ».

Durant leur week-end d’initiation à la vie de SDF, les élèves ont droit à un menu spécial pour le petit-déjeuner : chips et soda, car « dans les quartiers pauvres, les parents célibataires n’ont pas accès à de la nourriture saine. Le samedi matin en général dans leur frigo, ils n’ont plus rien à manger à part un paquet de chips ou du soda parce que les parents dorment et n’ont pas eu le temps d’aller faire les courses » explique la responsable du stage. Une fois repus, les élèves s’adonnent à un petit tour de quartier, ils sont ridiculement pieds-nus ou à chaussettes et passent dans les HLM pour « parler aux pauvres » et proposer à leurs enfants de jouer ; une élève, qui n’a apparemment « jamais parlé avec des pauvres », « ne sait pas trop à quoi s’attendre, mais elle pense que cela va être vraiment triste ». Les habitants se retrouvent donc face à face avec des jeunes élèves riches dont les parents sont avocats ou médecins comme des animaux de foire auxquels on daigne porter de l’attention. La plupart n’ouvre pas la porte ou la referme assez rapidement, un jeune élève prend la parole, car il sait pourquoi l’accueil manque de chaleur « c’est difficile pour eux, ils ne sont pas habitués à ce que l’on fasse quelque chose pour eux ; ils ne sont pas très sympas, les pauvres n’ont pas vraiment d’amis » avant qu’un autre ajoute « ils sont dépressifs je crois ». La responsable du stage leur expliquera plus tard que les pauvres n’ouvrent pas la porte car normalement, ceux qui leur rendent visite sont là pour leur demander de l’argent tels que « les flics, les inspecteurs des impôts, des gens avec qui ils ont des embrouilles ».

Lorsque deux garçons rejoignent le groupe accompagné d’un jeune enfant, la responsable s’exclame « hey ! vous en avez trouvé un ! » : on croit rêver… Après avoir rendu visite aux pauvres, le petit groupe se met en quête « des SDF et des vieux », ils rencontrent Robert, SDF officiel de la visite guidée. Ce dernier parle de son histoire, bénévolement bien sûr, il fait face à certaines questions et des regards insistants, faussement bienveillants. Lorsque Robert explique qu’il est là à cause d’une situation familiale désastreuse, qu’il ne mendie pas ou ne prend pas de drogues, certains sont très étonnés : pourquoi ne rentre-t-il donc pas dans la case « SDF » habituelle ? On a même droit à un petit moment émotion « merci mec d’avoir pris le temps de parler avec nous, c’est vraiment sympa », lorsque Robert répond ironiquement qu’il leur enverra la facture, tout le monde rit de bon cœur.

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Programme du dimanche : le monopoly du pauvre !

La deuxième partie du reportage est tournée à Flint, une ville du Michigan ravagée par la crise des subprimes dont certains quartiers sont entièrement vidés, laissés à l’abandon par ceux qui n’ont pas pu régler la facture. Une association propose une initiation express, un jeu où l’on joue au pauvre et où l’on doit régler des factures en retard, où l’on se fait expulser de sa maison, ou faire les courses grâce à l’argent d’un prêteur sur gage… : jeu où tout le monde est quasiment perdant. Les participants sont répartis par famille et doivent faire face à ce que « de vrais pauvres » endureraient. Une des participantes est banquière, « elle a très envie d’essayer d’être pauvre » avant de se rendre compte à la fin du jeu « que la situation semble impossible à résoudre », elle se sent « submergée » car si elle savait que certaines familles avaient des difficultés, elle ne comprenait pas le stress dans lequel cela pouvait les mettre. Pour suivre leurs objectifs, les participants doivent aller sur des stands tenus par « de vrais pauvres » qui jouent aux commerçants pour 10$ de l’heure, qui ne seront payés qu’un mois plus tard. Vous avez dit malsain ? Laura Aguirre de Carcer tente d’interviewer la manager du jeu de rôle sur le financement de ce type d’activités, notamment mis en place par des banques – le ton monte et la conversation est très vite écourtée. Plus tard, elle ira à la rencontre de ceux qui ont joué au policier ou à la marchande qui se sentent « humiliés » et qui ne comprennent pas ce drôle de manège.

Ce qui est le plus dérangeant dans toute cette mascarade, c’est que les organisateurs et les participants ont le profond sentiment de faire quelque chose de bien.

Dans quel monde nauséabond vit-on ?

Ce qui est le plus dérangeant dans toute cette mascarade, c’est que les organisateurs et les participants ont le profond sentiment de faire quelque chose de bien. Ils sont fiers et ravis de venir à la rencontre des « pauvres » et de vivre leur vie le temps d’un instant. Nous vivons donc dans un monde où les écarts sont tels qu’une partie de la population doit visiter une autre pour voir comment elle vit ? L’humiliation infligée aux personnes démunies, actrices malgré elles de ce jeu malsain est incommensurable. Si l’intention est bonne, elle semble tellement à côté de la plaque ! Cela ne semble-t-il pas familier ? A partir de la fin du XIXème siècle, de nombreux Occidentaux sous ombrelles se rendaient dans des zoos humains où ils pouvaient contempler « des noirs », « des indigènes », « des pygmées » et lire sur leurs cages « Ne pas nourrir les indigènes, ils sont nourris ».

J’ai du mal à m’empêcher de ne pas utiliser la première personne du singulier, faisons-en donc fi. Comment exprimer autrement que la honte m’envahit ? Que la honte de ma propre espèce, de ma propre nature humaine m’accable ? Que dans le monde, on puisse expérimenter des réalités si douloureusement différentes alors que la richesse et les ressources sont plus que nécessaires pour offrir un niveau de vie correct à tous ? Que les institutions financières et la loi des marchés aient réécrit notre histoire, comme modifié nos gênes pour créer plusieurs vitesses, comme coupé notre fil d’empathie et d’humanité ? Où allons-nous ? Y a-t-il une limite à cette folie ? Si oui, où se trouve-t-elle et comment faire pour la trouver ?

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Diane Scaya

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