L’amiante est toxique, c’est bien connu ; longtemps utilisé comme matériau de construction, il a été à l’origine d’un scandale sanitaire de grande envergure dans les années 1990, quand les pouvoirs publics se sont tardivement décidés à l’interdire, après la mort de dizaines de milliers de personnes des suites d’une exposition à l’amiante. Malgré cela, l’amiante est encore présent dans notre environnement, et notamment dans les canalisations, où il représente peut-être un risque mal connu pour la santé publique.
Ennemi sanitaire n°1
Longtemps utilisé dans le bâtiment pour ses propriétés isolantes et son pouvoir absorbant, l’amiante a été relié à d’innombrables cas de cancers broncho-pulmonaires ou des voies digestives chez des personnes exposées à de fortes concentrations, en premier lieu des ouvriers du bâtiment.
Interdit en France en 1997, il reste encore très présent dans les constructions et les canalisations, malgré les efforts de désamiantages menés par le gouvernement (à l’instar de la colossale rénovation du campus de Jussieu), à tel point que l’Institut national de recherche et sécurité (INRS) rappelle sur son site que « les maladies liées à l’amiante représentent la deuxième cause de maladies professionnelles et la première source en terme de coût ».

Pour autant, le risque de contamination par inhalation est aujourd’hui bien contenu en France. Mais une autre voie d’exposition, moins connue, fait aujourd’hui l’objet des inquiétudes de certains scientifiques : l’exposition par ingestion, notamment via l’eau du robinet. En effet, nombre de canalisations vieillissantes (plus de 30 ans) comportent encore de l’amiante : selon le journal SudOuest, il s’agirait d’environ 4 % du réseau français, soit près de 35 000 kilomètres de tuyaux.
Inconnues scientifiques
Le risque, bien entendu, n’était pas inconnu des scientifiques : il est mentionné par le Centre international de recherche sur le cancer (IARC en anglais) comme mis en évidence par certaines études dès 1976. Mais les preuves collectées par l’organisme sont jugées trop faibles pour qu’il se décide à sonner l’alarme sur le risque d’exposition via l’eau du robinet ; de plus, plusieurs études rigoureuses n’ont pas réussi à trouver de corrélation entre exposition à l’amiante par ingestion et cancers de l’estomac ou du côlon. Même son de cloche du côté de l’Organisation mondiale de la santé, qui reconnait « qu’il n’y a pas de preuve solide et convaincante du danger de l’amiante ingéré pour la santé ».
En conséquence, rien n’a été fait pour remplacer les canalisations amiantées. Peut-être que l’étude récente, menée par des scientifiques italiens de l’hôpital de Bisceglie, changera la donne. Selon ces derniers, la présence d’amiante dans l’eau du robinet pourrait (le conditionnel est encore de mise, donc aucune certitude) être lié à l’apparition de cancers du côlon et de l’estomac, ainsi que des cas de mésothéliome. La question est particulièrement critique en Toscane, où des concentrations atteignant les 700 000 fibres d’amiante par litre d’eau ont été relevées par les scientifiques. En guise d’indication, sachez que l’agence américaine de l’environnement, très prudente, a fixé le seuil de danger pour l’homme à 7 millions de fibres par litre, soit juste 10 fois plus.

De mauvais tuyaux
La situation pourrait être similaire en France, sur les portions de canalisations comportant encore de l’amiante ; malheureusement, aucun relevé précis n’existe sur le sujet : « le problème, c’est que les collectivités ne sont bien souvent même pas au courant que leurs adductions en eau potable sont en amiante », observe Pascal Humeau, fondateur de la société Conseil et Formation Amiante, interrogé par SudOuest. « Bien souvent, les dossiers techniques n’ont pas été bien tenus et il existe très peu de traçabilité ».
Deux inconnues restent donc à déterminer avant de s’affoler : tout d’abord la proportion des canalisations françaises comportant encore de l’amiante à un niveau dangereux, puis la concentration dans l’eau à partir de laquelle l’amiante présente un réel risque (un point sur lequel les scientifiques italiens ne s’étendent pas). Par prudence, cependant, il serait bon de moderniser le réseau de canalisations au plus vite : une opération qui pourrait coûter plusieurs milliards d’euros.