Les esprits étaient échaudés et les questions piquantes, lorsque les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat se sont adressés à Emmanuel Macron hier soir. Durant 4 heures, le Président de la République les a reçus afin de répondre à leurs interrogations sur le devenir de leurs 149 mesures. Une fois encore, il a cultivé le flou ou justifié ses décisions. Il n’a consenti à tenter que deux mesures : proposer au Parlement d’appliquer un référendum sur l’inscription de la défense du climat et la préservation de l’environnement dans la Constitution, et mettre en place des chèques alimentaires pour les plus précaires. Un geste largement insuffisant par rapport aux enjeux écologiques et climatiques actuels selon les membres de la CCC, d’autant plus que la charte environnementale de 2005 a déjà valeur constitutionnelle.
L’exercice de style habituel
« Comment, en minorant nos propositions, vous pensez atteindre un objectif qui est aujourd’hui 15 % supérieur à celui sur lequel nous avons travaillé ? »
C’est par cette question, simple et lapidaire, que Christine, l’une des membres de la CCC a ouvert la série d’échange entre les 150, dont certains à distance, et plusieurs membres du gouvernement français notamment Barbara Pompili (Ecologie), Julien Denormandie (Agriculture), Emmanuelle Wargon (Logement) ou Jean-Baptiste Djebbari (Transports).
Christine fait référence au nouvel objectif climatique de l’Union européenne de réduire d’au moins 55% ses émissions de CO2 d’ici 2030, supérieur à celui de 40% fixé par le gouvernement français. Malgré que la France ait été le pays d’accueil de l’Accord de Paris, l’Etat affiche un retard certain sur ses ambitions par rapport au reste des pays membres.
Le ton est posé d’emblée : les 150 membres de la CCC sont excédés par les reculs successifs du Président de la République à appliquer « sans filtre » leurs propositions, et souhaitent maintenant des engagements concrets et contraignants.
La discussion est organisée selon les thématiques sur lesquelles ils ont travaillé : « se déplacer », « se loger », « consommer », « produire et travailler » et « se nourrir ».
Hélas, après 4h d’échange, rien de nouveau pour les 150, si ce n’est une belle victoire solidaire, la mise en place de chèques alimentaires pour les plus démunis, et une promesse symbolique, donnée comme cadeau de consolation à la toute fin des échanges : essayer d’organiser un référendum pour intégrer la défense du climat et la préservation de l’environnement dans la Constitution, si et seulement si l’Assemblée nationale puis le Sénat votent la mesure en des termes identiques.
« Le Président nous a redonné une énième définition du sans filtre encore ce soir. Il s’agit surtout d’écarter nos mesures sans chercher à les intégrer dans le projet de loi climat. Il faudra donc compter toutes les mesures écartées après la fin de tous les arbitrages et la mise à jour du tableau de bord du Ministère de la Transition Ecologique. Cela ne veut pas dire que l’on rejette tout ce qui est fait, au contraire mais si on ne pousse pas, on n’aura rien. Notre objectif n’est pas d’obliger le gouvernement d’intégrer absolument toutes les propositions, mais de le faire sortir de ses propres limites et injonctions contradictoires. » confie Agny à La Relève et La Peste, au sortir de la rencontre avec le Président
Ainsi, interrogé sur sur la rénovation obligatoire des bâtiments, une mesure cruciale en terme de justice sociale et environnementale, le Président n’a pas voulu trancher en se déclarant inquiet que rendre la rénovation obligatoire veuille dire « faire porter la contrainte sur tous les ménages. »
Or, ce sont bien les propriétaires qui devraient s’en charger et non pas les locataires bien plus touchés par la pauvreté, le statut de la plupart des personnes en situation de précarité énergétique.

Une certaine forme de mépris politique
Ces contradictions se retrouvent à d’autres moments de la soirée. Emmanuel Macron a réitéré l’importance que « les choix pris pour l’écologie soient acceptables pour les Français », tout en rappelant que la convention citoyenne était « justement née parce que la taxe carbone n’avait pas été acceptée par nos concitoyens », débouchant sur la crise des « gilets jaunes ».
Durant les échanges, le ton se veut donc pédagogue et conciliant, et même reconnaissant sur la qualité du travail et les efforts fournis par les membres de la CCC. Pourtant, le vernis s’effrite et certaines réactions peuvent alors paraître surprenantes, voire même révéler une certaine forme de mépris. Ainsi, interrogé sur la 5G et sa comparaison avec le modèle Amish, Emmanuel Macron a répondu à 20h49 :
« Ce n’est pas à vous que je faisais référence, j’avais zappé que le moratoire figurait parmi vos propositions au moment où je me suis exprimé. »
Une justification bien légère au regard de la forte mobilisation populaire contre l’implantation à marche forcée de la 5G, dont le procès citoyen contre les quatre opérateurs téléphoniques commence aujourd’hui. Mais la saillie la plus méprisante sur le sujet est venue de Barbara Pompili, Ministre de la Transition Ecologique :
« Encore une fois, videz vos boîtes mail, ce serait déjà pas mal. »
Une phrase pas si anodine qu’elle n’en a l’air, puisqu’elle révèle l’une des façons principales dont le gouvernement envisage de mener des politiques climatiques : en ciblant d’abord les comportements individuels avant d’engager des réformes systémiques profondes dans les secteurs les plus polluants.
Ce sont d’ailleurs les conclusions rendues par le Haut Conseil pour le Climat ce matin : 70% des mesures du plan de relance ne vont pas dans le bon sens pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. L’instance alerte sur le fait que ces décisions risquent de verrouiller dans le temps « des activités fortement émettrices à long terme »
Le projet de loi climat devrait être rendu public fin janvier : le flou sur certaines mesures emblématiques sera enfin levé, comme la rénovation énergétique des bâtiments ou une limitation de la publicité. Reste ensuite à voir si le Président de la République fera tout pour « garantir » ce référendum sur la Constitution.
Crédit photo couv : Thibault Camus / POOL / AFP