Les avancées en matière de protection de l’environnement ne proviennent pas toujours des gouvernements : dans un rapport publié vendredi dernier, 14 grandes entreprises européennes présentent des mesures qu’elles ont déjà prises en matière d’économie circulaire et de traitement des déchets. Désireuses d’aller plus loin et d’entraîner le reste du marché dans leur sillage, elles demandent aux gouvernements et à l’Union européenne une réglementation plus rigoureuse.
« Nous savons que c’est imminent »
Ce sont de grands noms de l’industrie, de l’énergie ou de la grande distribution, tels IKEA, Coca-Cola, Philips, Jaguar ou encore Unilever (qui possède des marques comme Lipton, Knorr, Amora) qui ont, cette fois-ci, pris les devants. Grandes consommatrices d’énergie et de ressources naturelles, grandes productrices des déchets, celles-ci ne sont pourtant pas dépourvues de conscience écologique. Réunies dans une association, The Prince of Wales’s Corporate Leaders Group (CLG), elles plaident dans un rapport récent pour une économie plus attentive à l’environnement, notamment grâce au recyclage, au réemploi et aux stratégies bas carbone.
« Nous savons que c’est imminent – on recense déjà des initiatives sur les matières premières et les déchets, ainsi que de la recherche menée par l’Union européenne, donc nous devons apprendre à mieux gérer nos ressources », indique Natasa Sbrizaj, responsable des affaires publique chez 3M, conglomérat développant des produits de bricolage (dont la marque Scotch), d’entretien et de bien-être, témoignant de la forte prise de conscience que partagent les 14 entreprises du CLG.

Dans leur rapport intitulé « L’industrie européenne au XXIème siècle : nouveaux modèles pour la productivité des ressources », ces dernière recensent leurs initiatives : on y trouve exposés et illustrés des concepts comme l’économie circulaire (par opposition à l’économie linéaire, quand les ressources sont sans-cesse réinjectées dans la chaîne de valeur sans être détruites), le design durable (quand un produit est conçu pour vivre au-delà d’un emploi) ou encore la responsabilité élargie du producteur (REP, désignant le fait de faire payer au producteur la gestion de l’après-vie de ses produits).
Des paroles et des actes
Aussitôt présentés, ces concepts sont illustrés par des initiatives concrètes mises en place par les entreprises citées plus haut. Ainsi, Claude Laveu, chef de mission chez EDF, explique que son entreprise travaille avec les constructeurs d’ampoules – apportant l’expertise de fournisseur d’électricité – pour développer les solutions les plus économes en énergie possible, dans un mécanisme de synergie industrielle. Sur le même modèle, l’entreprise espagnole du BTP et de l’énergie Acciona, travaille avec le secteur agricole pour donner une seconde vie à ses sous-produits issus des renouvelables, traditionnellement considérés comme des déchets, qui « sont maintenant vendus comme additifs d’engrais, ce qui chaque année évite d’envoyer 27 000 tonnes de produits à la décharge et permet d’économiser 1,4 million de dollars ».

Crédits : Scott Lewis
Conscient de sa responsabilité avant, pendant et après l’utilisation d’une ampoule, l’entreprise Philips préfère parler de service que de produit à propos de ses ampoules « smart LED » ; en effet, celles-ci sont pensées pour durer, pour être réparées le cas échant, puis pour être recyclées à la fin de leur vie, le tout aux frais de Philips. Selon l’entreprise, un passage massif à ce modèle pour le secteur de l’éclairage pourrait permettre une économie de 272 milliards de dollars par an, ainsi qu’une réduction des émissions de CO2 de 1,4 milliards de tonnes.
Appel à renforcer la réglementation
Sur certains points même, les entreprises demandent expressément aux législateurs nationaux et européens de durcir les obligations légales en matière de recyclage et de réemploi : « si ce n’est pas légal ou fiscal, cela ne se fera pas – nous avons besoin de mesures rendant plus coûteux le fait de jeter que celui de réemployer », énonce, réaliste, Ian Ellison, responsable du développement durable chez Jaguar Land Rover.
En effet, continue-t-il, s’il existe une obligation légale de construire une voiture avec 85% de matériaux recyclables, il n’est pas obligatoire d’effectivement les recycler ; « c’est un coût de design jeté par les fenêtres », assène-t-il. De manière générale, les entreprises du CLG demandent à l’Europe une réglementation plus stricte sur le recyclage, qui doit être systématique, mais aussi un système de collecte et de tri international à la hauteur de la tâche (capable de bien différencier déchets et matériaux recyclables et de les qualifier fonction de leur usage), quitte à le faire financer par les producteurs. Une fois mis en place, un tel système intégré pourrait donner naissance à un véritable marché de la seconde main pour les matériaux : « nous utilisons de nombreux matériaux recyclables comme le bois ou le coton (…), mais il n’y a pas assez d’offre sur le marché de la seconde main pour répondre à nos besoins », explique Eva Margareta Stål, du groupe IKEA.
Bons élèves et tricheurs
Citant des exemples nationaux comme la France (engagée à interdire la vaisselle plastique d’ici 2020), la Norvège (qui rembourse la TVA lors de la réparation de certains objets, comme les vélos) ou encore l’Allemagne (qui taxe les entreprises rejetant de l’eau dans les rivières, mais leur permet de récupérer l’impôt en améliorant leur système de traitement de l’eau), le rapport du CLG demande donc à l’Union européenne une réglementation plus intégrée, favorisant le réemploi tout le long de la chaîne de valeur. Et celui-ci de rappeler, citant la Commission européenne, qu’un engagement des entreprises européennes dans « la prévention des déchets, l’éco-conception, la réutilisation » pourrait économiser quelque 600 milliards d’euros, en réduisant en même temps leurs émissions de gaz à effet de serre annuelles de 2% à 4%.

De quoi rappeler qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Malgré l’exemple de quelques entreprises, beaucoup sont encore polluantes et peu regardantes à leur impact environnemental. Même au sein du CLG, certaines entreprises ne sont pas blanches comme neige. On citera par exemple Coca-Cola, qui a beau jeu de plaider pour le recyclage, quand ses milliards de bouteilles à usage unique contribuent à la pollution des océans (dans lesquels l’équivalent d’une benne à ordures de plastique est rejeté chaque minute).
Comme le rapport l’indique timidement à certains endroits, produire moins et plus intelligemment vaut mieux que recycler : « le recyclage peut être très gourmand en énergie (…) la plupart des approches devrait prendre en compte toute la vie du produit », nous expose Natasa Sbrizaj. Ici encore, le changement ne se fera pas sans l’effort conjugué des entreprises, des législateurs et des consommateurs, qui doivent faire le choix de consommer moins d’emballages, de favoriser le tri, la réparation et le réemploi.

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