Alors que le modèle de la grande distribution traditionnelle traverse aujourd’hui une crise multiforme (faillite de l’agriculture, déconnexion croissante entre les producteurs et les grandes surfaces, défiance à l’égard des grandes marques), plusieurs initiatives en France explorent de nouveaux modèles de consommation : tour d’horizon des solutions pour manger plus sain, plus local, plus respectueux des agricultures, et avec plus de transparence.
Une crise tout au long de la chaîne
Du producteur au consommateur, le modèle de production alimentaire actuel est en crise. A l’origine, un profond malaise chez nos agriculteurs et éleveurs, dont moins de 10 % ont annoncé être optimistes pour l’année 2017. En cause, une triple faillite de la filière : celle-ci a perdu 30 % de ses emplois entre 2000 et 2013 et ne survit que grâce aux subventions européennes de la PAC ; elle accuse également le coup de l’utilisation massive des pesticides, avec un nombre croissant de maladies professionnelles attribuées à ces derniers ; enfin, c’est la terre elle-même qui rend les armes : sous les coups des pesticides, nos sols sont appauvris, nos vergers ne sont plus butinés (faute d’abeilles), et notre consommation d’eau décolle – pourtant les rendements baissent (- 30 % sur le blé en 2016).
De l’autre côté de la chaîne, la crise aussi fait rage, mais c’est une crise de conscience. De plus en plus de Français rejettent les modèles de la grande distribution, se méfient des produits des grandes marques et demandent plus de transparence, d’authenticité et de respect de l’environnement. Dans un appel à témoignage lancée par Le Monde, les mots sont clairs : « selon moi, l’essentiel des produits diffusés par l’industrie agroalimentaire est malsain pour notre santé », témoigne l’un ; « notre consommation doit changer, rien que par respect pour les animaux et la nature », affirme l’autre ; « je n’ai absolument aucune confiance envers les marques de l’industrie agroalimentaire dont le seul but est de satisfaire leurs appétits financiers », assène un dernier témoin : le ton est posé.

Car au centre de la crise, deux catégories d’acteurs ne la connaissent pas : les entreprises dites de la grande distribution se portent plutôt bien : en dix, la rentabilité des grands industriels (Danone, Bonduelle) et des grands distributeurs (Auchan, Carrefour) n’a fait que croître, progressant même de 25% pour les premiers. Et pour cause, ceux-ci négocient leurs marges avec grand soin, au point de se faire récemment épingler, dans le cas de Casino et Intermarché, pour « pratiques commerciales illicites » (demande de remises aux fournisseurs hors des périodes prévues à cette effet).
Bio : il faut séparer le bon grain de l’ivraie
Comment faire pour continuer à s’alimenter sans entretenir un tel système, et même en essayant de le guérir ? Les alternatives existent et se développent, et ne se limitent pas à l’alimentation biologique. En effet le bio, bien que réponse satisfaisante au problème écologique, est aujourd’hui exploité à grande échelle par les mêmes grandes enseignes, (le marché pesait plus de 5 milliards d’euro en 2014) perdant souvent de son sens : 70% des produits bio sont vendus en grande surface, et proviennent d’exploitations qui, si elles respectent la réglementation européenne sur l’agriculture biologique, ne respectent pas toujours les exigences du label AB, plus hautes. Pour manger un réel produit bio, préférez des enseignes spécialisées, comme Biocoop. Vous pouvez aussi vous tourner vers des certifications plus pointues que le label AB, comme Demeter, Nature & Progrès, ou encore Naturland.
Cependant, même l’exploitation d’agriculture biologique la plus respectueuse de l’environnement, si elle se trouve à des kilomètres de chez vous, ne peut vous proposer un mode de consommation écologique. Le transport, en effet, entre pour part essentielle dans l’empreinte écologique des produits d’alimentation. Hors saison, pour continuer à proposer aux consommateurs tomates, poivrons et fruits rouges, les grandes enseignes n’ont d’autre choix que d’importer des produits de serres biologiques d’Italie ou d’Espagne. Ces produits sont bio, certes, mais ils viennent de loin, dans des semi-remorques réfrigérés très polluants.

Aller plus loin, manger plus près
Pour concilier respect de l’environnement, des producteurs et de notre santé, la réponse est à chercher du côté des circuits courts. Ces petites structures, mettant en relation consommateurs et producteurs sans passer par l’intermédiaire de la grande distribution, ont aujourd’hui vent en poupe. Le plus connu d’entre eux est probablement le réseau AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), installé en France depuis 2001, et alimentant au moins 270 000 consommateurs (chiffre de 2012).
Le principe est simple : un producteur (certifié agriculture biologique ou non, mais en général cela va de pair) s’engage à fournir un certain nombre de foyers en produits de son exploitation, mis en paniers en fonction des saisons. Ces petits groupes de consommateurs, appelés « locavores » (parce qu’ils consomment local) s’engagent à acheter les paniers, ce qui permet à l’agriculteur de prévoir son activité sereinement : « c’est un vrai confort. Je peux prévoir mes revenus sur plusieurs mois avant d’écouler mes produits », témoigne Vivien Lamouret, maraîcher dans les Yvelines.
Le modèle de l’AMAP séduit les foules. Depuis 2001, de nombreuses offres similaires et concurrentes se sont développées, dans les villes comme dans les campagnes. Ainsi, La Ruche Qui Dit Oui, qui fonctionne sur le même principe mais en réintroduisant un intermédiaire (pas d’engagement, les clients peuvent faire leurs achats sur un site Internet puis aller les retirer), compte à ce jour plus de 700 réseaux en France. Du côté des AMAP, on déplore la perte du lien social avec le producteur, et la suppression du préfinancement ; du côté du client, on apprécie la flexibilité et le choix.
Reprendre le contrôle de son assiette
Si le modèle AMAP fonctionne très bien pour les produits de base (fruits, légumes, produits frais), il ne propose pas toujours de produits transformés (pâtes, farine, pizza, etc.) et peine aujourd’hui à assumer son succès (en 2012, 265 communautés prêtes à fonder une AMAP ne trouvaient pas de producteur). Pour étendre le principe du circuit court à ces zones d’ombre, des initiatives récentes proposent de faire intervenir le consommateur directement dans l’élaboration du produit fini.
« C’est un vrai confort. Je peux prévoir mes revenus sur plusieurs mois avant d’écouler mes produits »
Créé en octobre 2016, le collectif « C’est qui le patron ? » propose à ses adhérents d’élaborer collectivement des recettes de produits, avant de les confier à des producteurs pour les retrouver dans les rayons des supermarchés. Premier produit : la brique de lait ; le cahier des charges élaboré collectivement a imposé un lait sans OGM origine France, un pâturage entre 3 et 6 mois par an, des fourrages locaux, une rémunération qui permet aux producteurs laitiers de profiter de leur temps libre, et un prix de 0,99€ le litre. Aujourd’hui, avec 4 millions de briques vendues, c’est un franc succès, et les projets (pâtes, pizzas, œufs) se multiplient. Ce modèle, qui réconcilie environnement, producteurs, grandes surfaces et consommateurs, a de l’avenir !

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