C’est une victoire historique. Gabriel Boric, candidat de la coalition de gauche, remporte 56% des suffrages face au candidat d’extrême droite José Antonio Kast. Âgé de 35 ans, Gabriel Boric devient ainsi le plus jeune candidat jamais élu à la tête du Chili. Cette victoire marque la fin d’un mandat politique empreint de tensions sociales, ethniques et policières, et intervient quelques mois seulement après l’élection d’une assemblée citoyenne chargée de rédiger une nouvelle constitution pour le pays.
“Sachez-le, nous allons défendre le processus constituant auquel il nous a été si difficile d’arriver”, a annoncé le nouveau président le soir-même de son triomphe.
La victoire de Gabriel Boric s’inscrit dans la continuité d’un vaste mouvement social initié en 2019 qui revendiquait – entre autres – la refonte complète de l’actuelle constitution du pays, à peine modifiée depuis la fin du régime de Pinochet.
En octobre 2020, 78% des chiliens se prononçaient en faveur de la rédaction d’un nouveau texte, et quelques mois plus tard, une assemblée constituée de 155 citoyens et citoyennes se mettait à l’ouvrage, répartie en sept commissions thématiques.
Un travail ouvertement décrié par le candidat d’extrême droite José Antonio Kast, qui assurait vouloir y mettre un terme en cas de victoire :
“La Convention constitutionnelle ne rend service à personne (…) Pour progresser, nous avons besoin d’ordre et de stabilité”, twittait le candidat d’extrême droite à quelques semaines du scrutin.
Le programme du vainqueur Gabriel Boric, à l’inverse, présente de nombreux points communs avec les propositions de l’assemblée Constituante, notamment sur les questions environnementales.

“Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau”, déclarait Boric en juillet, affirmant vouloir mettre un terme à l’impunité des multinationales qui exploitent de manière intensive les ressources naturelles du pays.
Dès son discours de victoire, il a annoncé la fin du Projet Dominga, une mine d’extraction de cuivre et de fer dont l’un des actionnaires principaux n’était autre que… le président sortant, Sebastian Piñera.
En cause notamment, sa proximité avec la Réserve Nationale des manchots de Humboldt et son impact sur la faune.
“Détruire le monde, c’est nous détruire nous-mêmes. Nous ne voulons plus de zones sacrifiées, nous ne voulons pas de projets qui détruisent notre pays, qui détruisent des communautés et nous l’illustrons dans un cas qui a été symbolique : non à Dominga », affirme Boric.
Il souhaite également “établir les conditions qui matérialisent l’eau en tant que bien national d’usage public, bien commun ou bien collectif, tel qu’établi par la Convention constitutionnelle”.
Favorable à la déclaration d’un état d’urgence climatique dans un pays qui présente sept des neuf facteurs de vulnérabilité définis par l’ONU face aux dérèglements climatiques, Boric manifeste également son accord avec la proposition phare de “l’Éco-Constituante” : une coalition qui, au sein de la Constituante, milite pour que la nouvelle constitution adresse ces enjeux au plus vite.
Autres points de convergence entre le programme du vainqueur et les propositions de la Constituante : les droits des femmes et des peuples autochtones.
Suite au dépôt, par l’assemblée, d’une motion soutenue par des centaines d’associations féministes lors de la Journée internationale contre la violence à l’ égard des femmes, l’entourage de Boric a promis la création d’un gouvernement paritaire où les ministères de l’intérieur et des finances seront dirigés par des femmes.
“Nous allons laisser derrière nous une bonne fois pour toute l’héritage patriarcal et machiste de cette société”, déclarait Boric dans son discours.
Favorable, dans son programme, à l’autodétermination des peuples autochtones et à la création d’un état plurinational, il affiche son soutien aux propositions de la Constituante qui iraient dans ce sens.
“Il a ouvert son discours de victoire en mapudungun (langue du peuple autochtone Mapuche), et salué “tous les peuples qui habitent le territoire dénommé Chili”, ce qui implique un changement de paradigme dans la relation qu’il espère entretenir avec les peuples autochtones. Reste à définir de quel degré d’autonomie il s’agira réellement pour ces peuples », précise Francisco Espinoza Rabanales, professeur à l’école de gouvernement de l’Université du Chili.

Minoritaires au sein de la Constituante, les membres affiliés aux partis de droite se sont empressés d’afficher leur détermination à “modérer” les actions de la convention citoyenne suite à l’élection du candidat de gauche.
“C’est malheureux d’avoir une Convention majoritairement à gauche et un gouvernement à gauche également. Et pas une gauche modérée, mais une gauche radicale (…) Nous avons vu comment la gauche radicale, avec la prédominance du PC, a constamment enfreint les règles”, affirme Ruth Hurtado, l’un des soutiens principaux de Kast au sein de la constituante.
Fin avril 2022, une commission d’harmonisation va s’assurer de la cohérence des propositions de la Convention.
“Une fois les travaux de la commission d’harmonisation terminés et les ajustements approuvés par la Convention constitutionnelle, le projet de nouvelle Constitution sera transmis au Président afin qu’il puisse convoquer un plébiscite de ratification, qui devrait avoir lieu entre août et septembre 2022”, précise Francisco Espinoza Rabanales. Le processus est donc loin d’être achevé.
De plus, la volonté de changement portée par la coalition de Gabriel Boric et l’aile gauche de l’assemblée constituante devra composer avec un parlement fragmenté, où le parti du vainqueur ne dispose pas d’une majorité claire. Affaire à suivre en 2022, donc.
crédit photo couv : JAVIER TORRES / AFP
« Un article de Nora Guelton, autrice et co-fondatrice des Eco-histoires, un réseau transdisciplinaires de créateurs.ices engagé.e.s dans la transition écologique, sociale et solidaire »