Souveraine de la biodiversité, la canopée est un véritable paradis perché. Derrière chaque escapade se cache peut-être une odyssée. Mi-hostiles, mi-fragiles, les forêts primaires nous fascinent ! En 1985, après des années de persévérance, le Radeau des cimes prend son envol et repousse les limites de notre connaissance.
Auparavant, les missions reposaient sur des pratiques un peu « terre-à-terre ». Sans relâche, il fallait grimper, escalader, s’accrocher de tous les côtés. Rémi Caritey, « récolteur de graines » raconte les Vertiges de la forêt : « Pour évoluer dans un arbre, il faut produire une gestuelle à nulle autre pareille ». Le Radeau des cimes, bien tranquille, aborde la canopée par la voie divine. Cette folle machine des temps modernes devient un passeport pour l’aventure et donne le « top départ » à de brillantes expéditions scientifiques. Grâce à un ballon dirigeable, une structure filaire est délicatement déposée sur la cime des arbres. Une fois embarqués, les chercheurs deviennent des privilégiés. Cette expérience insolite est un émerveillement de chaque instant, et au-delà de l’aspect scientifique, le spectacle est magnifique. Menées par Dany Cleyet-Marrel (pilote), Gilles Ebersolt (architecte) et Francis Hallé, ces séjours arboricoles sont rythmés par de nombreuses découvertes d’espèces, totalement ignorées.

Concrètement, les missions commencent toutes de la même façon. Après l’étape de repérage, le dirigeable AS300 amorce sa descente et prépare le grand débarquement. Lorsque la position est validée, la structure pneumatique est délicatement déposée. « L’arbrissage » est un grand moment ! Pour Dany, le pilote, c’est presque de la haute voltige. Le dirigeable a une grande force d’inertie, et la météo ne se prive jamais de faire des facéties.

Généralement, c’est en fin de journée qu’atterrissent les aventuriers. Contrairement à l’atmosphère humide mais tolérable du sous-bois, la canopée se transforme vite en fournaise infernale. Pour se garantir un confort de travail, les scientifiques s’organisent pour profiter des heures fraiches de la journée. « Au lever du soleil il ne faut pas traîner, car dans les heures qui suivent la température devient insupportable. Il faut collecter, cueillir, photographier… et il faut le faire emmailloté dans un harnais, à plus de quarante mètres au-dessus du plancher forestier » raconte Gilles Ebersolt. Le bivouac est un excellent moyen pour se rendre opérationnel dès le petit matin. Les courageux explorateurs passent donc la nuit allongés sur les filets, emmitouflés dans leurs duvets. « Quand le temps est sec, nous vivons des nuits magiques. En revanche, lorsque la pluie s’invite, nous avons l’impression de dormir dans une grande serpillère » ironise Gilles Ebersolt.


À la nuit tombée, le sommeil peine à s’installer. Et pour cause, le conte de fée n’est plus raconté dans un livre, il devient réalité. Le ballet des lucioles et le récital des insectes sont exaltés par le clair de lune. La voie lactée pour seul plafond, toute la forêt rentre en conversation. « Le son est tellurique, il provient du dessous. Les bruissements, les craquements, les grincements… tout s’anime sous nos pieds, c’est une expérience peu commune. On pense à tort que la forêt est silencieuse, mais c’est tout le contraire. »
Un paradis à deux visages, que l’aube et le crépuscule se partagent. Le petit jour distille les premières lueurs, et à nouveau la forêt se pare de mille couleurs.
« Le contraste avec le sous-bois est spectaculaire : en bas, les animaux ont la couleur terne de leur environnement. Là-haut, ils sont brillants, colorés, flamboyants… Les insectes de la canopée ressemblent à des bijoux » s’extasie Francis Hallé.
Le Radeau des cimes a vécu l’euphorie des grandes découvertes. Récente révélation : la cime des grands arbres contient une variabilité génétique inattendue, ce qui veut dire que les arbres ne sont pas des individus, mais de véritables colonies. C’est un sacré revirement dans l’histoire de la botanique !

Malheureusement, depuis des années, on abandonne délibérément la recherche sur les plantes. Elle fait partie de ces sciences qui n’ont pas de finalité économique immédiate, bien que cette justification soit largement discutable, selon Idriss Aberkane. « L’homme a longtemps considéré la nature comme une réserve de matières premières dans laquelle il pouvait puiser à volonté. Mais la nature est une bibliothèque, c’est un puits de connaissance quasi infini. Si l’homme veut bien changer son regard et son approche de la nature, il se rendra compte qu’elle peut recevoir tous les prix de l’innovation et qu’il suffit de savoir lire en elle pour apprendre. »
Avant même d’aborder les questions d’enjeux écologiques ou économiques, Luc Jacquet nous rappelle qu’il est urgent de s’émerveiller, tout simplement ! « C’est important de pouvoir dire qu’il ne faut pas détruire la nature parce que c’est beau, et que cette beauté-là est une valeur en soi » affirme le réalisateur du film à succès la Marche de l’empereur et plus tard Il était une forêt en compagnie de Francis Hallé. « Le végétal est une altérité totale. Ce qui est génial dans les arbres, c’est qu’ils ne sont pas nous, et dans un monde totalement envahi par l’être humain, j’ai besoin de cette altérité comme j’ai besoin d’oxygène. C’est ce qui m’a conduit à devenir botaniste, et c’est ce qui m’a embarqué dans l’aventure du Radeau des cimes. »
Crédit Photos : Opération Canopée

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