La France confirme son engagement contre le glyphosate. Dans un communiqué datant de la semaine dernière, le ministère de la Transition écologique, responsable de la décision, a fait savoir que Paris s’opposerait à l’autorisation du produit pour les dix années à venir, qui doit être votée par la Commission européenne le 4 octobre prochain. Une décision courageuse devant les défis d’un monde sans glyphosate.
Vote à venir
Pour l’équipe de Nicolas Hulot, il subsiste « trop d’incertitudes sur la dangerosité » des produits à base de glyphosate, dont le plus connu et le plus employé est le Roundup de Monsanto. Reconduite en 2016 jusqu’à la fin de l’année 2017, cette catégorie de pesticides doit être examinée à nouveau en octobre prochain par la Commission européenne, soit pour l’autoriser à nouveau pour 10 ans, soit pour l’interdire définitivement. Lors du vote de 2016, la France s’était déjà opposée au renouvellement de ce produit classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2015 ; son opposition, alliée à l’abstention de pays comme l’Allemagne et l’Italie, avait conduit la Commission à repousser le vote (faute de majorité qualifiée).
Le prochain vote se fera à partir d’éléments nouveaux : au printemps 2017, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a rendu un avis très attendu, et plutôt surprenant, sur le glyphosate. Pour celle-ci, comme pour l’Autorité européenne de la sécurité des aliments (EFSA), le produit en question est parfaitement inoffensif. Cette expertise suffira-t-elle à convaincre les pays indécis quant au sort de ce produit phytosanitaire « star » (720 000 tonnes produites en 2012, 25% du marché des pesticides) ?

Réactions contrastées
Ce n’est pas l’avis des associations de défense de l’environnement et de la santé, qui ont largement salué l’engagement de la France sur la question. François Veillerette, directeur de l’ONG Générations futures, s’est réjoui de la nouvelle, ajoutant espérer « que le gouvernement français réussisse à convaincre d’autres Etats membres de le rejoindre sur cette position » qu’il estime partagée par une large part de la société civile.
De l’autre côté de l’échiquier, les organismes proches du secteur de l’agrochimie ont condamné la décision du gouvernement français : « nous exhortons la France à reconsidérer sa décision et à prendre en considération les conclusions de ces organisations [EFSA et ECHA] », a fait savoir l’American Chemistry Council (ACC), principal lobby de la cause, travaillant pour des entreprises comme Monsanto, Bayer et Dow Chemicals.
Les agences européennes mises en cause
Malgré tous les efforts – souvent menés dans l’ombre – de ce lobby, le glyphosate est bel est bien en mauvaise situation en Europe. Le vote à venir promet d’envenimer encore plus les relations entre le milieu de l’agrochimie et les autorités européennes, qui s’affrontent déjà sur le sujet du rachat de Monsanto par Bayer. La situation n’est pas améliorée par les doutes sur l’impartialité des agences européennes (EFSA et ECHA) lancée par un scientifique américain, Christopher Portier. Dans une lettre adressée au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, il indique que les recherches menées par les agences, auxquelles il a eu accès, « ont échoué à identifier tous les cas statistiquement significatifs d’augmentation d’incidence de cancers, dans les études menées sur les rongeurs ».
Pour ce scientifique de renom, mandaté par un groupe de députés européens pour mener une nouvelle analyse de ces données, il ne fait aucun doute que les agences européennes sont passées à côté de données incriminant sans aucun doute le glyphosate dans des cas de cancers (des poumons, du rein, du foie, de la peau, de la glande mammaire, de la thyroïde ou des tissus mous). De quoi jeter un doute sur la rigueur et l’impartialité des agences européennes, qui travaillent habituellement de manière confidentielle.

L’après-glyphosate
Et les agriculteurs, dans tout cela ? Premiers concernés par l’interdiction potentielle du glyphosate, ils font se font moins entendre que les ONG environnementales dans le débat. Pourtant, l’après-glyphosate est pour eux un défi de taille. Aujourd’hui la plupart des agriculteurs (non biologiques) remplacent le labour (qui permet traditionnellement d’arracher les « mauvaises herbes ») par un épandage massif de Roundup, entre deux semis. Supprimer cette étape équivaut à un retour en arrière pour les agriculteurs, qui défendent leurs pratiques : « la seule alternative possible est mécanique (…) avec des conséquences en termes d’utilisation de carburant, de gaz à effet de serre et d’érosion des sols », écrit un groupement des professionnels interrogé par Le Monde.
Pour Bertrand Omon, membre du réseau de fermes Dephy (qui expérimentent un modèle avec 50% moins de pesticides), une interdiction totale n’a pas de sens : « on pourrait dire du glyphosate comme des antibiotiques qu’il vaut mieux s’en passer, sauf en cas de réelle nécessité ». Le vrai combat à mener est celui de la méthode agricole, pour apprendre aux cultivateurs à utiliser les pesticides avec parcimonie, à recourir au labour, à se tourner vers des modèles alternatifs (agriculture biologique, permaculture). En somme, le monde paysan devra fournir un effort considérable pour s’adapter à la volonté des consommateurs, qui craignent le glyphosate : « il reste 450 000 paysans face à 65 millions d’habitants. La véritable question est de mettre en place une agriculture plus en adéquation avec la volonté de la société qui ne veut plus de pesticides », conclut-il, réaliste.

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