Depuis quelques années, des chercheurs s’intéressent à la capacité de certains champignons à décomposer le plastique. Face à l’emballement médiatique, des voix rappellent qu’il faut avant tout arrêter la surproduction de plastique pour offrir un répit précieux aux écosystèmes terrestres et marins.
En 2020, la production annuelle de plastique a atteint 435 millions de tonnes selon l’OCDE, une augmentation de 85 % par rapport à l’année 2000. « La pollution plastique est l’un des grands défis environnementaux du XXIe siècle » selon cette organisation intergouvernementale.
Elle prévient : « la fuite de plastiques dans les environnements terrestres et aquatiques devrait augmenter de 50 % entre 2020 et 2040 » pour atteindre 30 millions de tonnes. Aujourd’hui déjà, aucun écosystème n’échappe à la pollution plastique : les rivières, les océans, les sols. Même l’atmosphère contient des microparticules de plastique.
En conséquence : une dégradation globale de l’environnement, une hécatombe chez les animaux – notamment marins – qui ingèrent de grandes quantités de plastiques et des conséquences sur la santé humaine.
Des champignons mangeurs de plastiques
Face à cette pollution massive et délétère, des scientifiques étudient depuis quelques années la possibilité de dégrader certains plastiques grâce à des champignons. Une étude publiée le 15 juillet 2024 par des chercheurs néerlandais, français et danois, dans la revue Science of The Total Environment met en avant l’existence d’un champignon marin capable de décomposer certains plastiques.
Ce champignon, Parengyodontium album, a été découvert vivant dans le vortex de déchets du Pacifique nord aussi appelé « le continent de plastique ». Sa particularité ? Il consomme et fragmente le polyéthylène, polluant plastique le plus répandu dans les océans, qui sert à fabriquer, entre autres, les bouteilles d’eau et sacs en plastique.
« Les plastiques sont constitués de polymères, c’est-à-dire de longues chaînes de petites unités chimiques répétées. Pour les recycler ou les valoriser, il faut parvenir à découper ces chaînes », explique Gaëtan Burgaud, enseignant-chercheur au laboratoire universitaire de biodiversité et d’écologie microbienne (LUBEM) et coordinateur du projet MycoPLAST, dans une publication de l’Université de Bretagne Occidentale.
« L’enjeu final est d’ajouter une composante biologique aux processus de recyclage physique et/ou chimique, en explorant l’action d’enzymes produites par certains champignons ».
Parengyodontium album
Une lubie techno-solutionniste ?
Si ces découvertes ouvrent des pistes de réflexions sur de futures méthodes de traitement des déchets, elles ne remplacent pas la nécessaire diminution drastique des usages du plastique.
« Ce n’est pas la première fois qu’on voit des innovations pour essayer de lutter contre la pollution aux plastiques », rappelle Marine Bonavita, chargée de plaidoyer chez Zéro Waste France pour La Relève et La Peste.
« Mais ce n’est pas la bonne solution : il y a une surproduction de plastique, dont 40 % de plastiques à usage unique. Il faut supprimer le plastique en amont, pas inventer des solutions pour traiter le problème en aval ».
Le vortex de l’océan Pacifique contiendrait aujourd’hui près 80 000 tonnes de plastiques, une quantité bien trop importante pour les différentes solutions de dépollution envisagées ces dernières années selon Marine Bonavita.
« Les champignons seraient capables de manger 0,05 % d’un morceau de plastique traité aux UV par jour. On n’arrivera jamais à gérer tous les plastiques qu’on produit aujourd’hui », affirme-t-elle.
« C’est comme des bateaux de dépollution. Ça ne sert à rien, mais ça va avoir beaucoup d’argent parce que c’est beau, parce que c’est une belle initiative : ça marche bien médiatiquement ».
« On n’enrayera pas la pollution plastique par des demi-mesures », rappelle également l’OCDE. « Les pays ne parviendront pas à éliminer les rejets de plastique en suivant des stratégies uniquement centrées sur l’amélioration globale de la gestion des déchets sans ralentir leur production. »
La découverte de ces champignons fait donc craindre une poursuite de la fuite en avant technosolutionniste : la promotion de solutions de dépollution grâce à des progrès techniques, plutôt qu’une réflexion sur des changements profonds de modes de production.
Un écueil que souhaite éviter le chercheur Gaëtan Burgaud. « Il ne faut jamais perdre de vue l’essentiel : la réduction massive de la production et de la consommation de plastique, avec une réflexion globale sur nos modes de consommation. La biologie peut certes offrir des solutions, mais elle ne remplace pas la responsabilité collective » rappelle-t-il.
Enfin, dans un article de la revue New Biotechnology, Dieter Jendrossek, directeur du groupe de recherche « Biologie cellulaire microbienne et biopolymères » de l’Université de Stuttgart se montre très sceptique quant à l’efficacité de la dégradation du plastique par ces champignons.
« Le polyéthylène et les polymères hydrocarbonés apparentés (« plastiques ») ne sont pas biodégradables », estime t-il.
« Il est décevant que les publications présentant un point de vue critique sur la biodégradation des polymères hydrocarbonés ne soient pas citées dans la plupart des rapports » regrette-t-il.
S’informer avec des médias indépendants et libres est une garantie nécessaire à une société démocratique. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.