Dans un retournement de situation inattendu, l’entreprise Teck Resources a annoncé l’abandon de son mégaprojet d’exploitation de sables bitumineux Frontier, au Canada. Teck Resources a pris sa décision suite à une mobilisation populaire contre le projet, mais aussi un faible retour économique et un manque de politique nationale contraignante sur le sujet.
Les sables bitumineux, en désaccord avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Teck Frontier devait être l’une des plus grandes mines de sables bitumineux. Mine à ciel ouvert, elle aurait défiguré un territoire de près de 300 km2 comprenant une partie de la forêt boréale et des zones humides, dans le nord de l’Alberta, et aurait produit plus de 250 000 barils de pétrole par jour. Ce mégaprojet, d’un coût de 20,6 milliards de dollars, promettait de générer environ 7000 emplois dans la construction, 2500 emplois d’opérateurs et environ 12 milliards de dollars de revenus pour le gouvernement.
Problème : la mégamine devait émettre quatre millions de tonnes de gaz à effet de serre par année durant 40 ans
Les activistes environnementaux dénonçaient l’incompatibilité du projet avec les objectifs climat du Canada. La mégamine devait entrer en service seulement quatre ans avant la date butoir de 2030, à laquelle le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 30 % par rapport à 2005. Pire, l’exploitation de la mine aurait duré jusqu’en 2065, alors que le Canada vise la neutralité carbone d’ici 2050.
« La nature de nos activités attire presque inévitablement l’opposition d’une minorité bruyante. Nous sommes prêts à y faire face. Cependant, Frontier a fait émerger un débat plus large à propos des changements climatiques et du rôle du Canada face à eux. Nous espérons que nous retirer du processus permettra aux Canadiens d’entreprendre une discussion plus large et plus positive sur la voie à suivre à l’avenir. », a écrit Don Lindsay, le PDG de Teck au ministre de l’Environnement Canadien
Des écologistes avaient ainsi occupé les bureaux montréalais du ministre fédéral Steven Guilbeault le 14 février dernier, afin de protester contre le mégaprojet.

Sortir l’économie des énergies fossiles
Si cette décision paraît évidente d’un point de vue écologique, elle a provoqué la déception du premier ministre de l’Alberta Jason Kenney qui avait multiplié les pressions et coups politiques pour que le projet voie le jour, dans l’espoir que la région bénéficie de ses retombées économiques.
En prenant sa décision, l’entreprise Teck Resources a ôté une épine dans le pied du gouvernement canadien qui n’arrivait pas à arbitrer sur le projet. De fait, l’entreprise a dénoncé le manque d’une politique nationale claire et contraignante sur le sujet.
« Les marchés financiers mondiaux changent rapidement, et les investisseurs ainsi que les clients recherchent de plus en plus des endroits où les cadres en place réconcilient le développement des ressources et les changements climatiques afin de produire le produit le plus propre possible. Malheureusement, cela n’existe pas ici maintenant. » a écrit le président et chef de la direction de Teck, Don Lindsay, dans une lettre envoyée au gouvernement fédéral dimanche.
Teck Resources perd ainsi 1,13 milliards de dollars en annulant le projet, mais faisait face à un manque de financements car le coût total représentait plus du triple de sa capitalisation boursière, et que le prix du baril de pétrole n’était plus assez élevé pour que l’extraction des sables bitumineux soit rentable.
« Trop énergivores, trop émetteurs de CO2, trop destructeurs des paysages, trop peu compétitifs par rapport au pétrole de schiste américain. Depuis 2014, où le baril valait 100 dollars, l’investissement dans le secteur a été divisé par deux et la plupart des projets pourtant autorisés ne sont pas développés faute de visibilité économique. Ces dernières années, de grandes compagnies comme Royal Dutch Shell, Total, ConocoPhillips, Marathon Oil et Equinor ont vendu leurs actifs, ou fortement réduit la voilure. » analyse ainsi le journaliste économique Jean-Michel Bezat, pour Le Monde
L’abandon de Teck Frontier illustre bien à quel point l’économie de nos sociétés, encore trop lié aux énergies fossiles, n’est plus pérenne. Il devient vital de privilégier d’autres secteurs d’activité, plus petits, locaux et diversifiés, qui seraient eux respectueux du vivant.