Mardi 16 Janvier, Emmanuel Macron a donné un discours attendu à Calais où il a affirmé sa volonté de maintenir sa politique migratoire, pourtant critiquée de toutes parts, y compris par des soutiens historiques et des membres de son Parti. Un seul impératif semble prévaloir : fermer les yeux face aux migrants.
Une politique migratoire technocrate
L’avant-projet de loi sur l’asile et l’immigration avait été présenté jeudi dernier par Matignon. Ce document de 4 pages a été envoyé aux associations concernées seulement moins de 36 heures avant la concertation et ne présente pas de nouveautés par rapport aux premières orientations qui avaient été indiquées en juillet. Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme, dénonce « une succession de dispositifs particulièrement répressifs, qui vont à l’encontre du discours humaniste et ouvert du président de la République. »
Parmi les mesures décriées :
– L’allongement de la durée de rétention jusqu’à 105 jours
– La complication des démarches de demande d’asile comme la réduction du temps permis à un débouté pour déposer un recours (qui passe de un mois à deux semaines)
– La circulaire du 12 décembre qui permet le contrôle de la situation administrative des personnes hébergées en accueil d’urgence, dénoncée par les associations comme un dispositif pour faire le « tri des migrants »
Crédit : France24
Cette notion de « tri » est déjà faite dans une certaine mesure par le gouvernement qui veut être ouvert pour « les réfugiés » pouvant prétendre à l’asile, mais ferme avec les « migrants économiques » qui ne peuvent pas rester en France. Un déplacement à Calais aussi sensible que symbolique, donc, pour le Président de la République.
Alors qu’il a proclamé son soutien à Gérard Collomb et aux forces de l’ordre, il s’est aussi attaqué au travail des associations qu’il accuse de propager des « contre-vérités » sur sa politique et les agissements de la police. Le Secours catholique, Utopia 56 et l’Auberge des migrants ont en effet déposé une plainte contre X pour « destruction et dégradation » de biens leur appartenant. Face aux agissements abusifs de certains policiers, ce collectif d’associations a inscrit leur logo sur 700 sacs de couchage et de bâches en faisant signer « un contrat de prêt » aux exilés qui en bénéficient, afin de pouvoir prouver leurs dires et mener cette action en justice.
« Depuis plusieurs mois, et malgré la trêve hivernale, les exilés de Calais sont dépossédés quotidiennement des biens leur permettant de se protéger du froid. Chaque semaine, des sacs de couchage, bâches et tentes sont mis à la benne, détruits, voire gazés. »
Source : communiqué de presse – l’auberge des migrants
Ces exactions sont également dénoncées par Médecins du Monde qui condamne la politique d’accueil des migrants menée par le gouvernement :
« Actuellement, les autorités sont prêtes à utiliser la violence, à détruire les abris à Calais, à gazer les sacs de couchage, pour empêcher l’arrivée de nouveaux migrants. Mais ce qui est grave, c’est qu’on détruit la cohésion sociale. Le délit de solidarité crée les conditions de la délation, on pousse les gens à dénoncer leur voisin qui a accueilli un migrant. Les associations se retrouvent dans des postures schizophréniques où on leur demande de ne pas respecter la loi en termes de protection des mineurs isolés. Tout cela casse le pacte républicain. »
Docteur Jean-François Corty, directeur des Opérations Internationales de Médecins du Monde
A l’opposé des engagements promis par E. Macron durant la campagne.

Il n’y a pas que dans le milieu associatif où la colère gronde. Plusieurs hommes de tête qui avaient soutenu Emmanuel Macron et son programme d’immigration pendant la campagne présidentielle ont écrit dans Le Monde une tribune implacable contre sa politique migratoire actuelle. Parmi eux : Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT), Thierry Pech (directeur général de Terra Nova), Jean Pisani-Ferry (professeur à Sciences Po), Jean-François Rial (PDG du groupe Voyageurs du monde) et Lionel Zinsou (président de Terra Nova). Jean Pisani-Ferry avait piloté la rédaction du programme économique d’Emmanuel Macron.
Extrait de cette tribune :
« Ainsi du désormais fameux « règlement de Dublin » qui dispose qu’à l’exception de certaines situations familiales, c’est le pays d’entrée dans l’Union européenne qui a la responsabilité d’examiner les demandes d’asile. En vertu de ce texte qui était resté longtemps sans véritable application, un réfugié du Darfour entré en Europe par l’Italie sans y avoir demandé l’asile, devrait y être rapidement reconduit. Le malheur et la guerre grondent aux portes de notre continent, mais nous laisserions ainsi aux Italiens, aux Grecs et aux Espagnols qui n’en ont bien souvent ni les moyens ni le désir, le soin d’être les gardiens exclusifs de nos proclamations d’hospitalité. »
Le Règlement de Dublin (Appliqué en France depuis le 1er Janvier 2014)
« Pierre angulaire de la construction d’une politique européenne d’asile, le règlement Dublin est né en même temps que l’espace de « libre circulation » en Europe. Son principe : il ne devrait y avoir qu’un examen d’une demande d’asile dans toute l’Europe et le pays responsable de cet examen est celui qui a laissé entrer, volontairement ou involontairement, le demandeur d’asile. »
Un tweet du 16 janvier peut indiquer une volonté de remodeler ce texte législatif… mais sous quelles conditions ? Emmanuel Macron aurait-il entendu ses détracteurs ?

L’incompréhension fait aussi son chemin parmi les députés LREM. Sonia Krimi, députée franco-tunisienne issue de la société civile, avait ainsi fait part de ses peurs sur ce projet de loi en s’adressant directement à Gérard Collomb lors de l’Assemblée Nationale du 19 décembre 2017.
Sonia KIMRI, députée LREM :
Questions au Gouvernement – Sonia Krimi – 19/12/17
« Les personnes dont vous parlez aiment la France. (…) Elles fuient des pays en guerre, elles fuient un avenir économique et climatique leur paraissant bien terne. (…) Le traitement du séjour irrégulier en France est devenu une angoisse pour les étrangers, pour les associations, pour les forces de police, les préfectures et les avocats. Pourriez-vous nous détailler l’équilibre politique de votre réforme ? »
Gérard Collomb, au lieu de répondre en détail sur la question de l’équilibre politique, a préféré promettre de « faire la guerre aux passeurs » d’Afrique et de France qui « mènent les gens vers le désespoir » en s’appuyant sur les chiffres d’accueil en hausse pour l’année 2017.
Selon le rapport de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), la France a délivré 262.000 titres de séjour à des étrangers l’an dernier, soit une hausse de 13,7 % sur un an. A noter, ces titres de séjour concernent aussi bien les réfugiés que les étudiants étrangers que l’Etat souhaite attirer. Le gouvernement français a notamment mis en place les passeports talents, voie royale offerte à ceux que la France rêve d’accueillir : 27 856 ont été délivrés (ou renouvelés) depuis leur création fin 2016.
En 2017, 100 412 demandes d’asile y compris mineurs accompagnants ont été introduites à l’OFPRA, soit 17 % de plus qu’en 2016.
Les expulsions de personnes en situation irrégulière ont pour leur part augmenté de 14,6 %, avec un total de 14.859 retours forcés.

La politique de l’autruche ?
Cependant, cette guerre menée contre les passeurs ne serait-elle pas qu’une façon de fermer les yeux face aux raisons de l’afflux des réfugiés ? Edwy Plenel l’explique bien dans un plaidoyer pour « Le devoir d’hospitalité » :
« La même Union européenne qui impose à ses peuples des politiques économiques uniformes, sur lesquelles ils n’ont guère prise, a été incapable d’élaborer des réponses communes, solidairement partagées par ses États membres, sur les questions migratoires. Impuissante à inventer des solutions à la hauteur d’un défi historique, elle a préféré se défausser, écarter, repousser, mettre à distance, etc., cette réalité humaine qui la bouscule et la dérange. »
Cette réalité, nous vous l’avions déjà présentée dans une enquête. Parmi les dispositifs mis en place par l’Union européenne : la demande de mettre fin à l’opération de secours en mer Mare Nostrum en 2015 pour renforcer le contrôle aux frontières avec Frontex, et l’accord passé avec la Turquie à qui l’UE a versé 3 milliards d’euros pour qu’elle soit plus efficace dans le « tri des migrants » et leur relocalisation dans les pays européens. Après avoir également signé séparément des accords migratoires avec cinq pays africains : le Niger, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et l’Ethiopie, l’UE envisage maintenant un accord avec la Libye, un pays « encore plus instable, dévasté et déchiré, où les violences et sévices subis par les migrants sont attestés. » Comment être le pays des droits de l’Homme si l’on ferme les yeux sur le sort réservé aux migrants dans les pays avec lesquels nous nouons des partenariats ?
Damien Careme est le maire de Grande-Synthe, ville du Nord, où il avait dû ouvrir le premier camp de réfugiés en France, la Linière, en mars 2016 avec l’aide d’ONG comme Médecins sans Frontières pour « faire face à une urgence humanitaire et au refus de l’Etat, à l’époque, de prendre en compte la situation extrême à laquelle il était confronté. » Ce camp a complètement été détruit par un incendie le 10 avril 2017. Aujourd’hui, plus de 350 réfugiés sont à nouveau là.
A ses yeux, « nous devons tout faire pour lutter contre les réseaux de passeurs, comme je l’ai fait à Grande-Synthe. (…) et ce ne sont pas les lieux d’accueil qui favorisent les réseaux de passeurs, mais bel et bien les frontières, les murs, les barbelés et les garde-frontières que l’on multiplie qui donnent naissance à ces réseaux mafieux. Depuis toujours. »
Damien Careme est un fervent défenseur des Centres d’Accueil et d’Orientation dont il réclame la nouvelle mise en place à Grande-Synthe. Il revendique de renforcer leurs fonctions d’accueil et d’orientation avec les associations, plutôt que d’utiliser ces lieux pour traquer et repousser les réfugiés comme le propose la circulaire du 12 décembre.
« Comment aujourd’hui pourrait-on se contenter de « disperser et ventiler » les réfugiés pour les condamner à errer sans but comme s’ils étaient par nature invisibles ? » (Damien Careme)
Pire, les citoyens français qui ont le malheur d’apporter leur aide aux refugiés sont maintenant traités comme des criminels qui commettent un « délit de solidarité ». Parmi eux, les bénévoles de la Vallée de la Roya ou l’agriculteur Cédric Herrou.
Face à cette politique de l’autruche, les 7500 places supplémentaires pour les demandeurs d’asile annoncées pour 2018-2019, ou la prise en charge des distributions de repas aux migrants de Calais par l’Etat semblent de bien faibles mesures pour atteindre un « équilibre ».
Comme le disent les anciens soutiens d’Emmanuel Macron :
« La recherche de l’équilibre est vertueuse, mais on ne peut pas en même temps vouloir et refuser, promettre et dissuader. On peut appliquer les critères de l’asile avec rigueur et promptitude, et le dire, mais on ne peut porter un réel effort d’accueil en offrant simultanément tous les signes du rejet. »
Crédits photo de couverture : DENIS CHARLET / POOL / AFP

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