La journaliste du Monde Diplomatique, Laura Raim, livre un article sur une tendance grimpante dans le monde financier : la privatisation des individus.
« Les folies du libéralisme n’ont de limites que celles de l’imagination »
Tout se vend. Tout s’échange. Tout s’achète. L’humain n’est pas une exception à la règle. Les individus commencent à être réduits à l’état d’actifs financiers. Pour mettre à bien cette rentable opération, il faut alors estimer le « capital humain » d’une personne et le diviser en parts échangeables sur un marché. Ainsi, ces parts peuvent éventuellement dégager un retour sur investissement.
Le capital humain est une notion qui a été introduite en 1960 par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), il représente « l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique ». Jusqu’ici étaient distinguées le « travailleur » et la « force de travail », c’est-à-dire que lorsqu’on loue sa force de travail à une entreprise, on récupère un salaire (normalement basé sur la valeur que l’on crée en moyenne), sans pour autant que la personne soit la propriété de l’entreprise. C’est ce qui différencie un salarié d’un esclave.
Cette distinction a pourtant déjà été critiquée maintes fois étant donné que certaines conséquences négatives du travail perdurent sur la personne, même une fois le travail fini : les maladies professionnelles en sont un exemple parmi d’autres. Dans cette nouvelle perception de capital humain, le corps et l’âme sont bel et bien la propriété d’investisseurs qui ont intérêt à réguler l’hygiène de vie, les investissements et le temps de travail de leurs poulains.
Plus bankable que jamais
Upstart, Pave, Lumni, les plateformes d’investissements de capital humain existent déjà et vont bon train. Sur Upstart, il est possible de vérifier la valeur de son taux d’intérêt en quelques minutes en décidant du financement que l’on souhaite engager avec les fonds levés : remboursement de prêt étudiant, recouvrement de dettes, frais médicaux, loyers, déménagement… La valeur économique d’un individu se base alors sur la profession, les revenus, le niveau d’étude, la situation conjugale, le coefficient socio-relationnel, le taux de glucose, les heures de sommeil etc. L’homme est plus que jamais « bankable ».

Rassurez-vous, nous le sommes déjà : nos informations valent cher dans le monde du big data qui régit notre consommation, les paris sportifs et les contrats de footballeur flirtent avec la limite d’investissement en capital humain… Il sera donc sûrement bientôt possible de faire des levées de fonds, CV et carnet de santé à l’appui, et en échange, d’octroyer un pourcentage de revenus (jusqu’à 8%) aux actionnaires pour une durée déterminée (entre 5 et 10 ans). Certes, c’est ce qui se fait aujourd’hui avec le crédit bancaire mais les taux n’étant pas les mêmes, les levées de fonds sont facilitées et plus importantes. En effet, côté investisseur, le montage financier est appétissant :
Comment est-il possible de penser à un monde ou des hommes appartiennent à d’autres hommes ? Ou plutôt, comment est-il possible de réinventer l’esclavagisme moderne alors que l’esclavagisme tout court pullule encore ? Le contrôle qu’exerçaient les uns sur la vie des autres serait sans limite, la vie privée serait bel et bien morte et enterrée, les moyens de se valoriser tels que les études prendraient une valeur (encore plus) folle…
Le colossal écart entre les plus pauvres et les plus riches d’aujourd’hui ne serait alors qu’un ersatz de ce qu’il pourrait être demain. Triste perspective.

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