Alors que le mouvement de résistance au projet d’enfouissement de déchet nucléaire à Bure (Meuse) entre dans sa deuxième année d’existence, la lutte s’est récemment faite violente entre policiers et occupants ; retour sur la mobilisation progressive des « ziradiés », qui luttent contre le nucléaire et pour leur territoire dans l’attente d’un signe du gouvernement.
« Ta gueule, la prochaine fois on t’aura »
Le climat est tendu sur les communes de Bure et de Mandres-en-Barrois, villes les plus proches du projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo (pour Centre industriel de stockage géologique), qui émane de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). La nuit dernière, environ 150 gendarmes, équipés de casques, de matraques et de tasers ont effectué des perquisitions dans les lieux occupés par les opposants au projet : « ils pointaient leurs armes droit sur nous », témoigne une habitante, secouée par cette intervention nocturne.
Au total, les gendarmes sont repartis avec 42 enveloppes d’objets (ordinateurs, dossiers juridiques, matériel de protection, mais aussi résine et plants de cannabis), dans une opération menée avec violence et intimidation. « Un flic nous a demandé plusieurs fois d’attacher un chien et a dit : “Si vous ne l’attachez pas, on a une arme, on peut l’utiliser » », raconte Nathalie, qui occupe avec une dizaine d’autres personnes la « maison de la résistance », grand corps de ferme acquis en 2004 par une association de militants, devenu depuis le quartier général du mouvement de résistance.
Ci-git l’Andra
Cette opération d’ampleur s’inscrit dans le cadre de la lutte entre forces de l’ordre et occupants – plus ou moins pacifistes – de la région, opposés au projet Cigéo. Dans les grandes lignes, ce projet mené par l’Andra (qui possède 3 000 hectares de réserve foncière, ainsi que ses locaux, sur la commune), devra accueillir pour les centaines d’années à venir, à 500 mètres de profondeur, 99% des déchets issus des centrales nucléaires françaises, soit 85 000 m3 de produits à haute activité et à vie longue. Depuis 2016, la lutte s’est cristallisée autour du bois Lejuc, une parcelle boisée de 220 hectares sur laquelle l’Andra a jeté son dévolu.
Après avoir réalisé des tests géologiques, l’agence avait en effet entamé des démarches pour acquérir la parcelle, actuellement propriété de la petite commune de Mandres-en-Barrois. Accompagnée d’une mobilisation croissante des opposants, une longue procédure de délibération s’est tenue cette année, voyant les élus de Mandres se prononcer en faveur de la vente à deux reprises, le premier vote ayant été invalidé par le tribunal administratif de Nancy pour « vice de procédure ». Du surcroit, le réseau « Sortir du nucléaire » avait alors pointé des conflits d’intérêt au sein du conseil municipal :
« Certains élus comptaient des membres de leur famille employés par l’Agence ou ses sous-traitants, d’autres s’étaient vu octroyer grâce à elle des baux de chasse ou des baux agricoles précaires. Ces personnes, qui pouvaient faire l’objet de pressions de la part de l’Andra, n’auraient pas dû prendre part au vote. »
Escalade de la violence
Aujourd’hui, le statu quo juridique se maintient, la vente étant approuvée par le conseil municipal mais faisant l’objet de nombreux recours juridiques effectué par les occupants. Mais sur le terrain, le ton est monté ; les opérations policières de surveillance et les perquisitions se sont multipliées cet été, aboutissant à l’intervention mentionnée plus haut. Cette dernière, menée sous l’autorité d’une commission rogatoire (sans nom ni adresse), pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un ou plusieurs délits et dégradation volontaire d’un bien par moyen incendiaire », est une réponse musclée aux dégradations perpétrées en juin par des occupants sur des lieux sans lien direct avec le projet.
Vêtus de cagoules, une trentaine d’opposants radicaux avait en effet volé du matériel (caisse à outils, câbles en acier) sur un chantier éolien voisin, avant de saccager le lendemain un hôtel-restaurant situé en face du siège de l’Andra, avant de « tenter en vain de mettre le feu alors qu’une dizaine de personnes dormaient à l’étage ». Revendiquée par les opposants (ou une partie d’entre eux), cette action violente visait selon ces derniers un « cheval de Troie de l’Andra », symbole de « l’invasion du territoire par l’Andra et la militarisation qui l’accompagne ».

Cette escalade de la violence est regrettable car elle discrédite et entache le mouvement d’occupation, jusqu’ici exemplaire et non-violent. Pour beaucoup d’occupants, venus de la France entière, Bure n’était pas un nouveau Notre-Dame-des-Landes. Ici, il s’agissait moins de protester contre le nucléaire que de défendre un territoire « désertifié » en l’habitant : « notre lutte ne se résume pas à ce type d’action. Depuis un an, elle se manifeste surtout par ce que nous construisons dans ce territoire, les liens de solidarité avec les habitants et les paysans, l’achat et la rénovation de maisons pour y vivre, la création d’activités de maraîchage, la plantation de blé, un projet de boulangerie », témoigne un militant joint au téléphone par Le Monde.
Au-delà de l’occupation
Ces militants plus pacifistes se défendent d’être des zadistes (néologisme construit sur l’acronyme ZAD, pour zone à défendre), dont le quotidien simple et résolu est décrit par un reportage de Mediapart, dénoncent le choix de l’Andra : « on a choisi la Meuse parce qu’il n’y a personne pour s’opposer », déclare un membre du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (CEDRA) au micro de BFMTV. Plutôt qu’une lutte active contre le projet, la pluparts des occupants veulent démontrer en s’installant – de manière plus ou moins sédentaire – que la région ne peut pas être sacrifiée parce qu’elle déborde d’énergie : « on lutte pour la préservation d’un mode de vie, de lieux… Habiter contre le nucléaire. C’est plus parlant de défendre une forêt. Des gens ont vécu un mois dans le bois Lejuc cet été. C’est magnifique », témoigne un habitant.
En attendant le dépôt effectif du dossier de création du site de stockage, prévu pour fin 2018 (avec un lancement des travaux à l’horizon 2021), les occupants espèrent un geste de Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique, qui se débat déjà avec le cas Notre-Dame-des-Landes. Hulot, partisan de la sortie du nucléaire, est pour l’instant resté silencieux sur le sujet, déclarant en mai qu’il devait « étudier davantage » le sujet. Avant de prendre ses fonctions de ministre, il avait cependant émis un avis contrasté sur la question des déchets nucléaires : « ces déchets, il faut bien en faire quelque chose, mais en tout cas, on ne peut pas [les] imposer comme ça à des populations locales, sous prétexte qu’[elles] sont dans des endroits un peu éloignés (…), sans concertation, sans transparence (…). Le temps de la concertation est nécessaire ». Affaire à suivre.
Crédits photo de couverture : Jean Christophe VERHAEGEN / AFP

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