Au lendemain de la fête de Thanksgiving s’ouvre aujourd’hui le « Black Friday », la messe capitaliste par excellence, profondément inscrite dans la culture américaine (et de plus en plus européenne) et qui est symptomatique de la schizophrénie moderne de nos sociétés.
On honorait aux Etats-Unis hier le souvenir des Pères pèlerins qui, souffrant de la faim et du scorbut, avaient été touchés par la Providence divine. Par Providence, il faut entendre en réalité la bienveillance de Squanto et des Wampanoags qui leur vinrent en aide en partageant avec eux leur repas (une dinde selon la tradition) puis en leur apprenant à pêcher, chasser et cultiver du maïs. On sait comment, au cours de l’histoire, les colons américains ont su remercier les peuples amérindiens de leur accueil et de leur aide.
Quoi qu’il en soit, hier était un jour de fête, de partage, de joie. Aujourd’hui, portés par ce sentiment de fête et d’excitation, les foyers américains partiront le cœur léger vers de nouveaux horizons : le partage deviendra prédation, la fête deviendra folie, la joie deviendra joute. Black Friday porte bien son nom, il est un jour triste, un jour d’aveuglement. Parce que rien ne vaut le plaisir de pouvoir, un jour dans l’année (ou plutôt un week-end voire une semaine), s’offrir à prix cassé tout ce qui nous a été vendu par la publicité, des millions de personnes vont se rendre aujourd’hui dans les grands magasins, profiter de cet instant de grâce.
L’année dernière, sur les quatre jours qui s’étendaient du Black Friday au Cyber Monday, 154 millions d’Américains ont dépensé pour un total de plus de 50 milliards de dollars. En France 15 millions de personnes ont dépensé pour un total de 4,3 milliards d’euros en boutique et 735 millions en ligne selon le site Poulpeo. Tout ça pour quoi ? Un écran télé de l’épaisseur d’une feuille de papier qui remplacer celui de l’épaisseur d’un livre de poche ? Trois paires de chaussures qui seront portées autant de jours ? Derrière ce festival d’opulence c’est pourtant le massacre organisé – et conscient – de la planète et d’une partie de l’humanité qui s’organise.

L’année dernière, 15 000 scientifiques se réunissaient pour tirer (une fois encore) le cri d’alarme. On apprenait à peu près au même moment que des lycéens chinois avaient été exploités pour répondre à la demande ahurissante d’iPhone X. Peu de temps avant, les Panama Papers dévoilaient les noms de ces multinationales, artisans de la misère sociale, qui s’apprêtent à engranger des recettes mirifiques ce week end alors que pas un centime ne profitera aux services publics. Cette année, la démission de Nicolas Hulot a fait bouger de nombreuses lignes et c’est au tour des « gilets jaunes » de se faire entendre…
La liste pourrait s’étendre sans fin tant chaque semaine nous sommes à la fois les spectateurs effarés d’un monde en dérive et les acteurs schizophrènes de son effondrement…
Bien sûr nous serons aussi nombreux à ne pas participer à cette infâme messe. Nous sommes également de plus en plus nombreux à vouloir changer la couleur de cet événement – « Green Is the New Black » dirait-on. Et pour cause, comme le rapporte Bastamag, la Camif a pour sa part choisi de boycotter le Black Friday en fermant son site pour la journée et en envoyant ses employés dans diverses associations (comme à la Maison du Zéro Déchet, ou à Emmaüs). La fédération de magasins Envie a également choisi de détourner le Black Friday pour en faire « un rendez-vous annuel autour d’une consommation plus raisonnée et responsable. » L’idée est alors de proposer des initiations à la réparation de nos objets pour « sortir de la logique du tout-jetable ».
Que dire à l’inverse de nos politiques qui continuent d’inciter à la relance de la consommation et encouragent le développement d’événements commerciaux à l’image du Black Friday ?