L’ECHA (Agence Européenne des produits chimiques) vient d’ajouter le bisphénol A à sa liste des substances extrêmement préoccupantes. Cette bonne nouvelle est pourtant teintée d’amertume du fait de son extrême retard et parce qu’elle nous rappelle que des centaines d’autres molécules chimiques jugées responsables de perturbations hormonales affluent dans notre sang.
Une décision qui s’est fait attendre
En février 2017, l’ANSES (Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) soumettait auprès de l’ECHA une proposition de classement du bisphénol A comme « substance extrêmement préoccupante » due à ses propriétés de « perturbateur endocrinien ». C’est en cette mi-juin que l’ECHA a finalement décidé de classer cette substance, utilisée depuis plus de 50 ans comme telle. La déception face à cette décision est que si ce classement est indispensable, il est en retard, et ne force même pas l’interdiction de cette substance sur le marché européen. Pour le moment, le bisphénol A ne serait soumis qu’à « une obligation pour l’industrie de notifier à l’ECHA la présence de la substance dans les articles fabriqués ou importés et d’informer l’acquéreur d’un article de la présence de bisphénol A ».
Pour le moment, le bisphénol A ne serait soumis qu’à « une obligation pour l’industrie de notifier à l’ECHA la présence de la substance dans les articles fabriqués ou importés et d’informer l’acquéreur d’un article de la présence de bisphénol A ».
Un combat laborieux et parsemé d’hypocrisie
A la mi-décembre 2015, la Commission européenne a été condamnée pour son retard, ne serait-ce que dans la définition des perturbateurs endocriniens, par le tribunal de l’Union européenne. En effet, la pression des lobbies de l’industrie plastique notamment est telle que les institutions européennes peinent à faire modifier la plupart des compositions plastiques traditionnelles qui incluent des investissements de la part des entreprises productrices. La société a la mémoire très courte, si nous avons pour habitude de prendre tout pour acquis, un retour en arrière dû à des dysfonctionnements semble être un échec général. Pensons à la lenteur de la prise en considération des dangers de l’alcool, du tabac, de l’alimentation grasse, des pesticides etc. Chaque pas en arrière semble être si laborieux que les combats pour protéger la santé du monde s’accumulent.

De l’omniprésence des perturbateurs endocriniens
Depuis les années 1950, l’avènement du plastique magique capable de créer de nouveaux objets et son rôle dans la croissance du monde moderne ont infiltré des centaines de molécules sur le marché. Seulement, l’être humain n’y est absolument pas imperméable et nous comptons aujourd’hui environ 200 produits chimiques présents dans notre sang en moyenne (par personne). Ces molécules sont omniprésentes dans notre vie quotidienne : pesticides, voitures, plastique, électroménager, cosmétiques, médicaments, PVC, motifs sur vêtements, alimentation, boîtes de conserve, revêtements de meubles ou de sols… Il est aujourd’hui quasiment impossible de les éviter. Voire impossible tout court.
Les données graves s’amoncèlent
Pour faire simple : ces molécules nous bouffent la vie. Peut-on dire que l’Homme moderne est prêt à sacrifier une partie de son confort contre des conséquences sur la santé, qui peut-être, « n’arrivent qu’aux autres » ? Ça, c’est à vous de voir. Les études et l’analyse de données commencent à mettre en lumière les dangers de l’exposition de l’Homme aux perturbateurs endocriniens qui peuvent aller jusqu’à modifier le cours tout entier de l’évolution (par exemple : baisse considérable de la quantité de testostérones). Les plus à même de souffrir de cette exposition sont les embryons en cours de développement ; il a par exemple été observé chez des souris en gestation soumises à des doses infimes de bisphénol A, des comportements hyperactifs et de troubles du comportement chez les jeunes et un développement de cancers et d’obésité chez les adultes. Egalement, des comparaisons menées dans le temps sur les populations occidentales ont révélé une augmentation en flèche du taux de cancer (+400% de cas de cancer des testicules depuis les années 1950) – si les scientifiques ne peuvent attester que seuls les perturbateurs endocriniens sont responsables de ces chiffres en hausse, il semblerait que la relation entre la forte exposition à ces molécules et l’augmentation des maladies soit sans équivoque.
Comme une envie de secouer l’Europe
Pour le cas du bisphénol A, ses dangers ont été rendus publics il y a plus de 10 ans. La présence de bisphénol A dans les biberons notamment ont alerté l’opinion publique, ce qui a poussé bon nombre de producteurs à garantir des biberons « sans bisphénol A ». Par la suite, ce n’est qu’en 2015 que le bisphénol A est devenu interdit en France dans les produits de consommation, les contenants alimentaires et les tickets de caisse : pour une fois, la France a été le premier pays à interdire aussi largement un perturbateur endocrinien. Ségolène Royale, à l’époque, ministre de l’Ecologie a souhaité un renforcement des contrôles sur la présence de phtalates dans les jouets (pourtant déjà interdite pour tous les jouets destinés aux moins de 3 ans : oui, oui, seulement aux moins de 3 ans ; lorsque les enfants grandissent apparemment, ils développent une bulle protectrice qui les immunise contre les perturbateurs endocriniens), ainsi qu’une expertise ciblée sur des substances susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens tels que les methyl-parabènes.

Léthargie morbide
Seulement, si la France a interdit le bisphénol A dans ses rayons ou ses importations, les producteurs l’ont tout simplement remplacé par du bisphénol S ou du bisphénol F qui semblent être également dangereux. Nous sommes en fait dans un système ou les institutions européennes ou les gouvernements nationaux interdisent de temps à autre une molécule par-ci, une molécule par-là lorsque le scandale gronde. En novembre 2016, une centaine de scientifiques signaient une tribune dans Le Monde afin de dénoncer le danger de ces substances pour l’Homme d’aujourd’hui, mais surtout celui de demain.
Le mur des lobbies industriels est tel que les instituts de régulation n’enlèvent qu’une brique à la fois. Si aujourd’hui, nous sommes conscients du danger du bisphénol A, ne devrions-nous pas commander des études et des expertises poussées sur les molécules similaires afin de les retirer plus largement du marché ? Les preuves sont là et les substituts existent ! Les scientifiques qui avaient dénoncé la léthargie ambiante proposaient des solutions concrètes pour faire face à ces vermines qui pullulent dans nos corps, par exemple, via la création d’un groupe d’experts indépendants de l’Europe et de tout gouvernement, qui serait chargé de mettre la science à l’abri de l’influence des intérêts privés (au même titre que le GIEC – groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Si le classement du bisphénol A est une bonne nouvelle, il ne représente aucune avancée réelle. L’écrivain québécois Michel Bouthot disait que les silences étaient parfois le désespoir des soumis. En sommes-nous au point de continuer à nous laisser intoxiquer ?

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