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Bertille Darragon : Comment cultiver sur des sols pollués ?

"Ces pollutions ne sont pas inertes, à l’image des plastiques qui au fil du temps se dégradent en micro-plastiques, puis en nano-plastiques infestant de plus en plus d’éléments : l’air, la terre, les poissons, l’eau,… Et compte tenu de notre incapacité à réagir, elles continuent à s’amonceler. C’est-à-dire que ce n’est pas un volume stable dont nous hériterions et qu’il faudrait traiter. Leur quantité ne cesse de s'accroître. L’enjeu fondamental, c’est d’arrêter d’en ajouter !"

Bertille Darragon est jardinière, militante et possède une formation littéraire qu’elle complète, par passion, de connaissances botaniques et scientifiques. Son livre, “Jardiner dans les ruines”, en est une traduction parfaite qui mêle facilité de lecture, approche concrète et pratique et explications scientifiques. Il s’adresse aux jardinier.es, aux maraicher.es mais aussi à toute personne qui se questionne sur l’alimentation, qui voudrait comprendre.

Dans son livre Bertille Darragon dédie chacun des chapitres aux principaux contaminants que l’on peut trouver dans les potagers. Il donne plusieurs conseils lorsque l’on possède un potager à proximité d’entreprises polluantes, comme faire attention à ne pas y cultiver de laitues, légume qui concentre le plus l’arsenic et le plomb. L’ouvrage est également un véritable outil pour cultiver en s’adaptant aux nouvelles réalités des dérèglements climatiques.

LR&LP : Bertille, quelle est la genèse de ce livre ?

Bertille Darragon : Je suis installée dans un territoire de moyenne montagne depuis une dizaine d’années où j’ai pratiqué au fil du temps différents modes de jardinage et de maraîchage. J’ai appris en prêtant parfois main forte aux un.es et aux autres. Je ne suis pas écrivaine mais cela fait déjà un moment que j’ai commencé à travailler sur ce livre.

En 2018 déjà, avec une amie, on avait fait le constat qu’il nous manquait toujours quelque chose dans les livres de jardinage que nous consultions. Et ce quelque chose, c’était la prise en compte des différentes formes de l’effondrement écologique. Il manquait des infos. On a donc commencé à faire des recherches pour les trouver.

Bertille Daragon

Bertille Darragon – Crédit : Alexandra Fleurantin

LR&LP : Quelle méthode de travail avez-vous choisie ?

Bertille Darragon : Nous avons d’abord organisé notre recherche selon la classification des neuf limites planétaires. Et là, on a pris conscience de l’ampleur de la tâche. On s’est trouvé en face d’un travail encyclopédique et celui que j’ai mené à son terme, c’est celui qui porte sur les entités nouvelles.

LR&LP : Les entités nouvelles ?

Bertille Darragon : C’est le nom que l’équipe de recherche qui a planché sur le sujet donne à des polluants très divers. On y traite de pollutions chimiques, mais aussi des OGM, des radionucléides, des nanomatériaux… Pour les plastiques c’est pareil, il y a différents types de pollutions selon le niveau de désagrégation. Ce nom d’entité a été trouvé pour signifier que ce ne sont pas des pollutions statiques et locales mais qu’elles ont un effet systémique.

LR&LP : Plus précisément qu’entend-on par systémique ?

Bertille Darragon : Les effets produits impactent différents processus et différents domaines de la biosphère. Par exemple, si on parle de l’ozone, il y a des conséquences de sa variation sur la photosynthèse et donc sur la végétation, mais aussi sur la santé humaine.

On peut aussi citer le glyphosate qui commence par être épandu sur une surface déterminée et se retrouve un peu partout, contribuant à l’effondrement des trois quarts des insectes volants. On se rend bien compte là que lorsqu’on provoque de tels effets, c’est que ça intervient massivement sur le système. On ne parle pas d’un petit nid de pollution, chacun dans son jardin.

LR&LP : Qu’est-ce que cela implique ?

Bertille Darragon :  J’essaie d’expliquer que le jardin n’est pas une oasis coupée du reste du monde. On aimerait bien être dans un cocon où l’on ferait ce que l’on veut. Mais on doit faire attention à la manière dont on pratique, aux produits qu’on utilise car ils ont un impact bien plus large.

Par ailleurs, le jardin, parce qu’il est en lien avec tout ce qui l’entoure, est touché, pollué par les pratiques extérieures : urbaines, agricoles, voisines. Et ce quel que soit le soin qu’on lui apporte.

LR&LP : Doit-on renoncer à jardiner ?

Bertille Darragon : Bien sûr que non ! L’idée n’est pas de lâcher son jardin, parce que, de toute façon, il se passe la même chose dans la parcelle maraîchère qui produit les légumes qu’on achèterait à la place. Moi je crois surtout que nous devons prendre pleinement conscience que cela nous concerne.

Nous sommes concernés par ce qui se passe autour de nous. Et toutes ces grandes sources de pollution qui envahissent nos vies sont reliées à l’industrialisme, à l’extractivisme, à la folie consommatrice. Et donc, notre rôle, entant que jardinier.es ou maraîcher.es , c’est de nous en préoccuper collectivement.

LR&LP : Pourquoi s’adresser aux jardinier.es ?

Bertille Darragon : Je suis souvent agacée par le fait que le jardin est présenté comme un repoussoir de la pensée. On l’assimile à la détente, à l’individualisme et on en fait une activité dépolitisée pour laquelle chacun chercherait sa petite alternative dans son coin. Et moi je crois que c’est une erreur, car rien que le fait de rechercher un début d’autonomie alimentaire, c’est déjà un pas de côté intéressant et politique au sens de la réflexion sociétale.

Ensuite, on peut enrichir cette notion politique du jardinage par des pratiques collectives. Puis par un souci plus général de l’alimentation saine pour tous. Or l’alimentation ne peut se résumer à la production des jardins. On touche alors à plus vaste, comme la production céréalière et tous les problèmes qu’elle soulève. Puis on en vient à la consommation de la viande. Et ainsi en élargissant les cercles, on touche aux grandes luttes.

LR&LP : Il y a des dialogues en italiques qui ponctuent le livre, qui parle ?

Bertille Darragon : Ce sont des dialogues fictifs, créés à partir de vrais échanges. Ce sont les conversations que j’ai eu avec la personne avec qui j’ai commencé ce travail qui ont inspiré ces textes. D’un côté il y a une Bertille Daragon un peu énervée, un peu énervante, de l’autre un personnage plus empathique et compréhensif à l’égard de ses semblables. Et ça discute de l’opportunité, des difficultés, de la volonté de changer de pratiques.

LR&LP : Le livre est titré “Jardiner dans les ruines”. De quelles ruines s’agit-il ?

Bertille Darragon : Ce ne sont pas les ruines de Rome mais celles du monde extractiviste. Ce ne sont pas de vieilles pierres avec lesquelles ont peut rebâtir une nouvelle maison. Ce sont des ruines actives, des ruines zombies qui cherchent toujours à mordre. Elles poursuivent la contamination sans fin.

Elles ne sont pas inertes, à l’image des plastiques qui au fil du temps se dégradent en micro-plastiques, puis en nano-plastiques infestant de plus en plus d’éléments : l’air, la terre, les poissons, l’eau,… Et compte tenu de notre incapacité à réagir, elles continuent à s’amonceler.

C’est-à-dire que ce n’est pas un volume stable dont nous hériterions et qu’il faudrait traiter. Leur quantité ne cesse de s’accroître. L’enjeu fondamental, c’est d’arrêter d’en ajouter !

LR&LP : Que faire ?

Bertille Darragon : À titre individuel, on peut réfléchir à nos habitudes, nos pratiques et tenter de supprimer ce qui est inutile, changer ce qui est nocif, mais la somme des pratiques individuelles ne suffira pas. Je crois que ce changement individuel nous permet surtout d’entrer dans une prise de conscience profonde des enjeux et aussi de commencer à nous mettre en cohérence.

Comment peut-on lutter contre l’industrie plastique quand on a bâché son jardin pour éviter à certaines plantes de pousser ? Donc, déjà, à titre individuel, aligner sa vie et son discours, c’est pas mal.

LR&LP : Une solution politique ?

Bertille Darragon : C’est au-delà de mon livre. Je n’ai pas écrit un essai politique. En revanche, je me suis attachée à donner des pistes, des noms d’associations, d’organisations auxquelles s’adresser. Je crois que pour dépasser le cadre personnel, et aller au-delà du petit geste, il faut entrer dans le collectif.

Comme ce monde toxique peut être assez décourageant et qu’on ne sait plus où donner de la tête, on doit faire alliance pour que l’action prenne de l’ampleur, pour que les volontés puissent s’agréger.”

Jardiner sans les Ruines – Quels potagers dans un monde toxique ? – Bertille Darragon – illustrations de Pauline Stive – Éditions écosociété – 25€

Isabelle Vauconsant

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