« Mariage des affreux », « naissance d’un monstre », « alchimie monstrueuse », les qualificatifs utilisés pour la fusion Bayer-Monsanto sont sans appel : c’est un coup dur pour la biodiversité, l’agriculture et notre patrimoine alimentaire. Le 21 mars, la Commission européenne a tranché : elle autorise sous conditions le rachat de Monsanto par Bayer. Le projet doit maintenant obtenir l’accord des autorités américaines et russes pour être définitivement entériné.
Bayer – Monsanto : naissance du n°1 mondial de l’agrochimie
Cela faisait deux ans que Bayer, géant allemand de la chimie et des pesticides, avait annoncé son intention de racheter Monsanto, spécialiste des semences OGM et fabricant de l’herbicide décrié RoundUp. En 2016, Werner Baumann, PDG de Bayer, avait fait de cette opération une priorité. Après des mois de négociations, Bayer a remporté l’OPA sur Monsanto pour un montant de 51 milliards d’euros. Restait alors à obtenir l’accord des 30 autorités de régulation concernées à travers le monde, dont la Commission européenne.
Cette dernière avait ouvert une enquête pour s’assurer que cette acquisition n’aboutisse pas à une situation de monopole dans le secteur déjà beaucoup trop concentré de l’agrochimie. Le 21 mars 2018, la commissaire européenne Margrethe Vestager a rendu son accord publique en justifiant que « les mesures correctives proposées par les parties répondent pleinement à nos préoccupations en matière de concurrence », tout en reconnaissant que « la nouvelle entité deviendra l’acteur le plus important au niveau mondial sur les semences et les pesticides ».
Etre numéro un, ce n’est pas rien dans un domaine qui a connu une suite de fusions sans précédent en 2017, créant des poids lourds internationaux. L’an dernier, les groupes américains Dow Chemical et DuPont sont devenus DowDuPont, pesant près de 150 milliards de dollars. Quelques temps avant, le chinois Chemchina avait racheté le suisse Syngenta pour 43 milliards de dollars. Ces regroupements font écho à la baisse des marges des groupes du secteur avec une volonté forte : posséder le plus grand nombre possible de brevets. Plus une entreprise en a, plus elle peut influer sur le marché selon ses besoins. En réunissant les activités semencières et agrochimiques, Monsanto-Bayer pourrait imposer ses tarifs et conditions aux agriculteurs devant leur acheter toute la chaîne : semences, engrais, pesticides, et même conseils et équipements.
Vrai compromis ou efforts de façade ?
Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence chargée du dossier, s’est fait connaître et appréciée du grand public par son autorité face aux GAFA en érigeant la lutte contre les dérives de la mondialisation comme son combat politique. Surnommée la « dame de fer » de Bruxelles, elle avait donnée en 2016 une amende de 13 milliards d’euros à Apple en faveur du gouvernement irlandais. En 2017, elle inflige une amende de 2,42 milliards d’euros à Google pour abus de position dominante.
On pourrait donc s’attendre à une proposition de mesures correctives exemplaires pour remplir les attentes de cette intraitable politique. Pour voir son projet accepté, Bayer s’est engagé à céder quasiment toutes ses activités agronomiques : son département semences, son organisation de R&D, certains pesticides, une licence de son offre actuelle et de ses produits en cours de développement en matière d’agriculture numérique. Tous ces secteurs devraient être repris par l’allemand BASF, le numéro trois mondial de l’agrochimie. Et c’est là que le « BASF » blesse… En regardant de plus près certains actionnaires des trois entités (Bayer/Monsanto/BASF), on s’aperçoit qu’ils détiennent des parts de chacune des entreprises !

Alors qu’ils doivent répondre aux intérêts des mêmes actionnaires, comment BASF peut-il devenir le concurrent légitime de Bayer sur le marché ? Pour Guy Kastler, responsable de la commission OGM/Semences de la Confédération paysanne, « c’est une opération entre amis ». Ses propos, recueillis par l’Humanité, traduisent bien le désarroi des défenseurs de l’environnement face à cette annonce.
Quid de notre santé et souveraineté alimentaire ?
Bayer et Monsanto sont tristement connus pour leur passé sulfureux et leur présent douteux. Monsanto a été l’un des fabricants de « l’agent orange » utilisé pendant la Guerre du Vietnam, et le glyphosate (ingrédient principal de l’herbicide Roundup) est accusé d’être cancérogène par de nombreuses associations partout dans le monde. Bayer n’a pas meilleure réputation. Durant la seconde Guerre mondiale, Bayer avait cofondé avec BASF (déjà !) IG Farben, fournisseur du zyklon B utilisé dans les camps de la mort nazis. Bayer a également essuyé de nombreux scandales : médicament anticholestérol meurtrier, vente de produits sanguins contaminés par le VIH. De nos jours, ses pesticides néonicotinoïdes, Gaucho et Proteus, révoltent les apiculteurs et chercheurs face à l’hécatombe d’abeilles et insectes qu’ils provoquent, sans mentionner leur impact sur notre santé.
ONG, chercheurs, regroupements d’agriculteurs et mouvements citoyens avaient ainsi exhorté la Commission européenne à prendre en compte durant l’enquête les questions éthiques, sanitaires et environnementales soulevées par la fusion. Dans une tribune à Reporterre, José Bové l’explique ainsi :
« En combinant leurs forces, Bayer et Monsanto mettront tout en œuvre pour bloquer le développement de l’agriculture biologique que nous appelons de nos vœux. Car le développement d’une agriculture et d’une alimentation saine va à l’encontre de leurs intérêts financiers.
Plus préoccupant encore, la création d’une entreprise planétaire qui vend des poisons (insecticides, fongicides, herbicides) ainsi que les médicaments pour guérir les maladies induites par une alimentation et un environnement pollué par les pesticides pose une question éthique. Il est pourtant inacceptable qu’une entreprise de cette importance puisse avoir les mains libres pour développer ce qu’elle appelle des produits phytopharmaceutiques et, dans le même temps, vendre des médicaments pour soigner des maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson. De très nombreuses études médicales indiquent un lien entre l’explosion de ce type de maladie qui frappe des millions de personnes et l’utilisation de produits chimiques, en particulier les pesticides. »
Alors que les responsables des Nations unies affirment que « notre modèle agricole mondial est à bout de souffle », cette validation européenne d’une fusion de deux géants de l’agro-industrie paraît irréelle. Allons-nous vraiment laisser la production de notre nourriture, et notre santé, aux mains de quelques grands groupes concentrés sur leurs propres intérêts financiers ? Monsanto, actuellement attaqué en justice par des milliers de plaintes de victimes du glyphosate, va-t-il échapper aux procès grâce à un changement de statut comme le craignent certains ?
Alors que les Etats-Unis semblent indécis à donner leur autorisation, les yeux se tournent maintenant outre-Atlantique. Le patron de Bayer, Werner Baumann, semble quant à lui confiant en déclarant coopérer étroitement avec les autorités américaines pour finaliser la transaction au cours du deuxième trimestre 2018…
Crédits photo : Nicolas Liponne / NurPhoto : Manifestation devant le siège de la société Bayer contre la fusion avec la société Monsanto à Lyon, France, le 3 mars 2018.

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