Lundi 25 novembre, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a dévoilé une nouvelle vidéo sur les pièges à glu qui prouve, images à l’appui, que ceux-ci représentent un véritable fléau pour la biodiversité. Contredisant l’argumentaire rodé des défenseurs d’une technique de chasse dépassée, cette pièce à conviction s’ajoute à un dossier déjà bien étoffé, qui oppose aujourd’hui la LPO et d’autres associations au gouvernement, devant le Conseil d’État et la Commission européenne.
Quand il s’agit de baisser les dépenses publiques, de privatiser les aéroports et les entreprises nationales rentables, de rembourser la dette ou « d’harmoniser » les caisses de retraite, la France est toujours la première à suivre à la lettre les directives européennes. Quand il s’agit de respecter d’urgentes directives sur la biodiversité ou la protection de l’environnement, en revanche, nous sommes bien souvent les derniers de cordée. Notre pays le prouve une fois de plus dans cette largesse qu’il accorde aux lobbies de la chasse et qui coûte très cher à la nature : les pièges à glu.

Considérée comme traditionnelle par les chasseurs, cette méthode de chasse consiste à enduire de glu des tiges ou des branches dans le but de capturer certains oiseaux, officiellement des grives et des merles. Piégés par la colle, ceux-ci sont détachés au moyen de dissolvants très toxiques (Essence F, White Spirit, pétrole, acétone…) et placés dans des cages, d’où ils sont censés, par leur chant, attirer leurs congénères sauvages qui sont ensuite canardés à la carabine ou au fusil de chasse. Bien qu’une directive européenne de 2009 (renouvelant celle de 1979) interdise les « méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective d’oiseaux », comme celle des gluaux, un arrêté datant du 17 août 1989 a permis à cinq départements français de la région PACA (Bouches-du-Rhône, Var, Vauclure, Alpes-Maritimes, Alpes-de-Haute-Provence) de contourner cette législation.
Si l’on en croit le précédent ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, interrogé sur cette méthode en mai 2019 par l’Assemblée nationale, la chasse à glu serait si bien encadrée qu’elle limiterait drastiquement le « risque de capture d’espèces non-cibles » ; son ministère, relayé par les préfets dans chaque département, suivrait de près l’application des quotas annuels de chasse, auxquels les 6 000 chasseurs seraient tenus de se soumettre sous peine d’amendes et de pénalités. Et puis de toute façon, c’est bien connu, ceux-ci relâchent les espèces protégées et ne capturent que les oiseaux qui pourraient servir « d’appelants », respectant scrupuleusement les règlementations fixées par la loi. En théorie, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais en pratique, cette technique de chasse est un véritable chaos. Sur les centaines de milliers de baguettes engluées qui sont disposées dans la nature chaque année, toutes les espèces d’oiseaux, même celles qui sont rigoureusement protégées, se trouvent piégées indistinctement, comme n’importe qui pourrait s’en douter.
C’est vrai, comment une sélection serait-elle possible du moment que le piège, rudimentaire, revient à coller à une branche tout ce qui possède des ailes ? Rapaces, passereaux, courlis, tourterelles des bois, rouges-gorges, en bref tous les volatiles qui passent sont attrapés par la colle. Même si les chasseurs font l’effort de les décrocher, comme c’est souvent le cas, les oiseaux, aspergés de diluants toxiques, perdant sur la glu leurs plumes rectrices, indispensables pour voler, à bout de force, finissent par trouver la mort à quelques mètres seulement des installations où les cadavres s’accumulent, quand ils n’y sont pas tout simplement abandonnés.

D’autre part, le système de dérogation mis en place par l’arrêté de 1989, extrêmement compliqué et notoirement inefficace, ne permet aucunement de contrôler les 10 à 20 000 sites différents dans lesquels opèrent les chasseurs : pour cause, les autorités, représentées par une cinquantaine d’agents, ne connaissent pas la plupart des emplacements et vu leur nombre, ils ne pourraient en tous les cas jamais prétendre surveiller la sélection des oiseaux. Résultat : un oiseau piégé est violemment décollé puis jeté comme un trognon de pomme dans les buissons. Et c’est tout.
On ne sait pas non plus le nombre d’oiseaux ni d’espèces qui pourraient être concernés par une pareille technique de chasse, au moins des dizaines de milliers d’individus, sûrement des centaines. Quand on pense qu’un déclin catastrophique frappe toutes les populations volantes des campagnes françaises depuis cinquante ans, on est en droit de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle pratique, peut-être utile jadis, au moment de sa découverte, mais complètement irresponsable voire criminelle à notre époque, et d’autant plus que l’État doit déjà faire face à un engouement pour le braconnage, qu’il encourage en refusant d’adopter une législation stricte et une posture définitive.
Durant l’été 2018, une consultation publique du ministère de la Transition écologique et solidaire a montré que presque 90 % des personnes sondées étaient défavorables à la perpétuation de ce type de chasse. La France est le dernier pays de l’Union européenne à l’autoriser. L’une des causes pourrait être l’omniprésence des lobbies de la chasse dans les cercles de pouvoir, comme en témoigne la figure de Thierry Coste, qui hante l’entourage proche du président de la République depuis le début de sa campagne et qui aurait même poussé Nicolas Hulot à la démission. Qu’il s’agisse d’intérêts électoraux ou financiers, quelque chose ne tourne pas rond en matière d’écologie.