Les glaciers alpins devraient perdre entre 85 et 99% de leur masse d’ici 2100 selon une étude du CNRS datant de janvier dernier. Sur les 45 glaciers que comptaient les Pyrénées, 25 sont encore en vie, dont 15 dans la partie française de la chaîne de montagne. Le glaciologue Pierre René nous aide à comprendre les conséquences de l'effondrement des glaciers français.
LR&LP : Quels sont les impacts de la fonte des glaciers?
Pierre René : Les glaciers sont dans un état de déséquilibre dû au réchauffement climatique. Ils sont donc physiquement instables. Leurs régressions accélérées entraînent des risques de déstabilisation des zones rocheuses. L’équilibre physique de ces zones étant lié à l’existence du glacier. En dégelant, on enlève la colle à la roche.
Les éboulements se multiplient. Les aménagements permanents type pylône ou d’autres infrastructures de haute montagne font donc face à des problématiques d’ancrage dans le sol.
C’est le cas avec le prolongement du téléphérique de la Meije qui doit prolonger les pistes de ski sur un glacier en fin de vie. On est sur de l’ultra court terme, avec des installations qui ne serviront que quelques années.
En 2022, 250 éboulements avaient été répertoriés dans le seul massif du Mont-Blanc selon des statistiques du laboratoire Edytem. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter. Les chiffres pour l’année 2023 ne sont pas encore sortis mais cet été le nombre d’éboulements a été conséquent et a causé la mort de plusieurs alpinistes.
[ SAVOIE ]
⚠️ Un impressionnant éboulement rocheux s’est produit en fin d’après-midi sans faire de blessé à Saint-André dans la vallée de Maurienne. Voie ferrée et axes routiers endommagés.
(27/08/23 📹 via Loïc Borella)pic.twitter.com/GyoaBXiZWO
— Alexandre (@alex_le_bars) August 27, 2023
LR&LP : Qu’en est-il des activités économiques ?
Pierre René : L’impact sur les activités économiques et le tourisme de haute-montagne est important, notamment pour les métiers de guides et les refuges dont certains sont construits sur des bases rocheuses instables et sont obligés de fermer.
La fréquentation de la montagne, notamment autour des activités comme l’alpinisme, devient compliquée parce que la montagne s’assèche et devient friable.
L’activité des guides a tendance à se décaler vers le printemps. En été, un certain nombre d’itinéraires ou de courses ne sont plus possibles dus aux chutes de blocs.
LR&LP : Quels sont les risques pour les populations locales?
Pierre René : Régulièrement il y a des instabilités qui sont repérées sur des glaciers ou des poches d’eau. Il faut mettre des moyens colossaux pour prévenir ces risques.
Par exemple, dans la vallée de Chamonix, le lac des pyramides, qui s’est formé entre le glacier et la roche, a pris du volume. Comme il s’appuie sur le glacier et que ce dernier est en mouvement, il peut se vider d’un seul coup et créer des inondations torrentielles.
Sans doute en lien avec les fortes pluies, la #neige et les brusques variations de température durant le WE, un éboulement s'est produit hier dans les Aiguilles de #Chamonix (#MontBlanc, #Alpes) – Filmé par VirageMontagne : https://t.co/IMdGcpdS5Y pic.twitter.com/HrJuLEOZuN
— Guillaume Séchet (@Meteovilles) July 31, 2019
LR&LP : Les ressources en eau sont-elles affectées?
Pierre René : Les problématiques de ressource en eau existent principalement dans les massifs où il y a beaucoup de glace, les pôles par exemple. Les Pyrénées ne sont pas concernées, les Alpes un petit peu plus.
En France, les glaciers sont des réservoirs d’eau mais ils sont loin d’être seuls réservoirs de la montagne. On observe surtout des conséquences sur le débit des cours d’eau en fin d’été.
LR&LP : Y a t-il également une perte de biodiversité?
Pierre René : L’espace de vie qu’offrent les glaciers est assez singulier, avec un environnement qui va être toujours frais toute l’année. Les glaciers sont en perpétuel mouvement, leurs terrains sont très meubles, très nouveaux, et intéressent des espèces pionnières, végétales et animales, qui vont coloniser de nouveaux endroits.
S’il n’y a plus de glaciers, on perd ce biotope en renouvellement constant. Ce qui se profile c’est une remontée des espèces à tous les étages de la montagne, elles vont gagner en altitude, avec une disparition du dernier niveau, le niveau glacier.
LR&LP : Y a t-il des exemples, des outils, qui permettent de ralentir la fonte des glaciers ?
Pierre René : On parle souvent des bâchages des glaciers, notamment dans les stations de ski. Les bâches renvoient le rayonnement solaire au lieu de l’absorber, donc ça limite la fonte. Mais tous les endroits où des bâches ont été posées sont juste des domaines skiables dont la volonté est d’ouvrir les pistes l’été.
C’est la même situation pour lé téléphérique de la Meije, le projet est de maintenir une activité complètement bancale. Mais on ne peut pas agir pour protéger les glaciers. La seule chose à faire est d’agir sur la cause, le réchauffement climatique, et l’utilisation des énergies fossiles.
LR&LP : Comprenez-vous les scientifiques qui s’engagent ?
Je comprends tout à fait ces scientifiques qui décident de se mettre dans la lutte active. Cela fait des dizaines d’années que l’on alerte sur le réchauffement climatique mais que les politiques ne changent rien.
Cette démarche de rébellion des scientifiques est compréhensible parce qu’ils se disent qu’ils vont être plus efficaces dans l’action collective et militante que dans leurs laboratoires où ils sont écoutés pour faire semblant.
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