À 23 ans, il traverse seul l’Alaska, avec pour compagnons les grizzlys et les loups
Lorsque j’ai décollé pour l’Alaska le 1er Juin 2016, je partais davantage contre quelque chose que pour une autre. Mon départ était plus le fruit d’un rejet, que d’un attrait. Le monde que je quittais me semblait violent, obsolète, comme si l’homme faisait fausse route, que le progrès était le développement d’une erreur. Pour fuir ce monde là, où je me sentais perdu, où je ressentais du vide malgré l’opulence, j’ai voulu me rendre dans son extrême opposé, à savoir la nature sauvage.
L’Alaska, pour être un des derniers territoires sauvages de la planète, me paraissait donc être la meilleure destination possible pour mon expérience. Là-bas, me retrouver seul, avec un sac à dos, au milieu de cet univers si inconnu, si différent, si effrayant, j’ai ressentit un choc. Côtoyer des grizzlys de si près, échanger un regard avec un loup arctique, planter ma tente au sommet d’une montagne, pêcher dans une rivière, contempler le paysage de la toundra, toute cette beauté, ces expériences si intenses ont donné un sens à ma vie. Ce petit film en est le témoignage. J’ai parcouru plus de 1800 kilomètres en canoë sur la rivière du Yukon, avant de poursuivre mon aventure à pieds, jusqu’à l’océan Arctique, 850 kilomètres au Nord, en traversant les montagnes, les forêts et la toundra, refuges des grizzlis, loups et autres élans. À 23 ans, seul, j’ai dû survivre par mes propres moyens. Je me nourrissais la plupart du temps en cueillant des fruits, des champignons, des plantes et en pêchant des poissons. Je m’abreuvais et me lavais dans les rivières. Je me réchauffais en faisant du feu avec le bois que je trouvais. Je me déplaçais en suivant les petits chemins créés par le passage des grizzlys et des caribous dans la forêt. Surtout, j’ai dû comprendre l’environnement dans lequel je me trouvais, pour définir ma place et assurer ma sécurité face à des animaux, des climats et des terrains dangereux. J’ai dû accepter les lois de la nature et m’y soumettre.

« À 23 ans, seul, j’ai dû survivre par mes propres moyens. Je me nourrissais la plupart du temps en cueillant des fruits, des champignons, des plantes et en pêchant des poissons. »
C’est une toute nouvelle vie que j’ai découverte, presque un nouveau monde où je devais tout faire moi-même, où j’avais atteint une indépendance extraordinaire qui me rendait plus libre. Je n’ai jamais eu le sentiment de survivre mais toujours de vivre pleinement. Pour la première fois, j’avais l’impression de tenir quelque chose de solide, un appui sur lequel je pouvais compter, quelque chose d’originel, d’authentique, de vrai, bien loin de ce monde que je trouvais flou, où tout est modifié, où la frontière entre le réel et le virtuel s’estompe, un monde d’intermédiaire, d’écrans, où l’on oublie notre origine sans connaître notre destination, un monde qui me semble être en perdition.


Chaque jour, je pagayais ou marchais plusieurs heures (un mois et demi de canoë, puis un mois et demi de marche). Le matin et le soir, je faisais une récolte de fruits et dès que j’en avais l’occasion, je pêchais pour attraper mon déjeuner ou mon dîner. Après huit heures à pagayer ou à marcher, je plantais ma tente dans un endroit que j’aimais bien, je faisais un feu pour manger, puis j’allais accrocher toutes mes affaires odorantes (produit moustique, dentifrice, gamelle dans laquelle je cuisinais…) au sommet d’un arbre pour ne pas attirer les ours dans mon camp.
J’étais parti pour fuir les problèmes du monde et je découvrais désormais ses solutions. Dans cette endroit si reculé où je devais m’adapter à la nature et non l’inverse, comme je l’avais vu jusqu’alors, je comprenais avec plus de clarté pourquoi j’avais décidé de quitter la civilisation. Voyageant avec le strict minimum, sans rien accumuler de matériel, et avec des moyens toujours écologiques, j’ai eu le sentiment de faire partie d’un tout universel. Cette sobriété et la frugalité de ce mode de vie m’ont rendu heureux.

J’ai ainsi redécouvert ce lien essentiel entre les choses que j’utilise et leur origine. Savoir d’où viennent les choses incite à être plus mesuré, car on réalise leur valeur, on y fait plus attention. Quand on perd ce sens de l’origine, on tombe très vite dans l’indifférence, on ne réfléchit plus à l’impact de nos actions. Aussi, loin de ce monde d’opulence, j’ai dû faire tout, tout seul; avec presque rien, et j’ai compris que, loin de nous rendre plus libre, de nous faire progresser, cette sur-technologie nous apprenait à désapprendre et nous aliénait.
L’immensité de cette nature sauvage m’a permis de regarder le monde autrement et m’a rappelé ma véritable place. J’ai trouvé ça très apaisant.
Cette expédition émanait donc d’une volonté de retour à l’origine, à la nature sauvage intouchée par l’homme. J’avais besoin de trouver un endroit plus simple, plus pur, de vivre une vie plus sobre, ou plutôt plus essentielle. Et cela afin de prendre conscience de cette inversion des valeurs folles qui régissent nos sociétés « modernes » où l’essentiel devient contingent et le contingent essentiel.

Pendant ces trois mois, j’ai eu l’impression d’avoir véritablement vécu, pas seulement d’avoir existé.
J’ai aussi vécu les moments les plus incroyables de ma vie. Notamment cette scène qui s’est déroulée après environ trois semaines de marche. Je quittais la forêt, puis j’ai fait mes premiers pas dans la toundra, cette partie du monde où il fait si froid que plus aucun arbre n’y pousse. J’avançais dans une immense plaine parsemée de mousses et de lichens, de toutes les couleurs imaginables, comme si je marchais sur une peinture, l’horizon dégagé à des kilomètres sur les somptueuses montagnes de Brooks, vers lesquelles je me dirigeais. Je marchais quand soudain, une grosse chose m’a extirpé de mes pensées. Un énorme grizzly m’a chargé du haut d’une colline et a foncé vers moi en courant avant de s’arrêter à 10 mètres de distance. Le temps s’est arrêté, j’ai senti mon cœur s’emballer. On s’est regardé pendant environ dix secondes, partagés entre la peur et le bonheur pur, celui de me retrouver à quelques pas d’un des animaux les plus beaux et dangereux que j’ai rencontré. Ce fut sans aucun doute les dix secondes les plus intenses de ma vie. Puis il est reparti en courant, comme un enfant ravi de m’avoir effrayé.

Je prépare déjà ma prochaine expédition qui débutera en août : la traversée intégrale de l’Himalaya, du Pakistan au Bhoutan, à pieds et en solitaire. Une aventure de quatre mois et d’environ 4 000 kilomètres. Je m’achèterai un Yak pour m’aider à gravir les cols dans les plus hautes altitudes. Une expédition polaire se prépare aussi : rejoindre la banquise en chiens de traineau en partant du Québec, puis ensuite, marcher de la banquise jusqu’au pôle Nord en solitaire. Une des expéditions auxquelles je pense le plus en ce moment est celle qui se passera sur une île déserte du Pacifique Sud : Arriver sur l’île nu avec un seul objet, un couteau, et survivre pendant plusieurs mois sans aucune assistance. Je veux traverser la cordillères des Andes puis descendre tout le fleuve de l’Amazonie en canoë, j’aimerais aussi traverser l’Antarctique à pieds.
Un autre projet qui me tient vraiment à cœur est de construire avec mes amis une cabane dans le grand Nord pour y vivre une partie de l’année.
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