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Au rythme actuel de déforestation, il n’y aura plus de forêt à Mayotte dans moins de 50 ans

Dans sa rédaction originelle, le code forestier est censé placer Mayotte comme l’un des départements où la législation est la plus dure et la plus contraignante. Dans la pratique, c’est l’inverse.

En 2020, le comité français de l’UICN – Union Internationale pour la Conservation de la Nature – a sonné l’alarme sur la déforestation à Mayotte. Deux ans plus tard, état des lieux avec Grégoire Savourey, chargé de mission biodiversité Océan Indien pour le comité français de l’UICN. 

L’alerte 

L’UICN publie en 2020 une lettre ouverte afin d’alerter le gouvernement sur la déforestation à Mayotte. D’après Grégoire Savourey, celle-ci découle de 2 constats établis pendant le confinement. 

D’abord, ce dernier a augmenté les mauvaises pratiques déjà présentes sur l’île, que ce soit concernant le braconnage des tortues ou la déforestation. Au sortir du confinement, les observateurs ont remarqué que de larges parcelles avaient été déforestées durant cette période. Dans le même temps, un rapport de l’IGN – Institut national de l’information géographique et forestière – évaluant l’occupation des sols a été publié. 

« Les experts ont cartographié ce qui se faisait sur le territoire, parcelle par parcelle. Et en comparant leur analyse de 2011 et celle de 2016 – publiée en 2020 – on s’est rendu compte qu’il y avait eu une déforestation d’en moyenne 1,2% sur Mayotte. Ce qui signifie qu’1,2% de la forêt à Mayotte disparaît chaque année », se souvient Grégoire Savourey. 

Et ce pourcentage s’accentue chaque année. En conséquence, en prolongeant les données, on constate que d’ici moins de 50 ans il n’y aura plus de forêt à Mayotte. 

« Cet élément nous a fortement interpellés, d’autant plus que la forêt a un très grand intérêt à Mayotte, notamment pour la ressource en eau », remarque Grégoire Savourey. 

Crédits : Serge Melesan

La situation actuelle

D’où la publication de ce rapport de l’UICN, dans lequel ces éléments se trouvent reprécisés, accompagnés de préconisations. Deux ans plus tard, où en est la situation ? 

« Sur toutes les forêts les plus préservées, il y a la Réserve Nationale des forêts de Mayotte qui est en voie de création », note Grégoire Savourey. « Ces forêts préservées par la RNN sont un peu moins en danger. Mais il faut prendre en compte toutes les autres forêts, où l’on va probablement avoir un impact de la déforestation qui va en s’augmentant. Donc on fige le cœur des forêts mahoraises avec cette RNN. Maintenant, la question est : que fait-on sur le restant des forêts de Mayotte ? »

À ce sujet, l’UICN formule plusieurs grandes préconisations. En premier lieu, trouver des solutions alternatives à la déforestation, en remettant l’arbre au sein de la culture mahoraise. 

« A une époque pas si lointaine, il y a environ 40 ans, l’agriculture mahoraise était un mélange de culture fruitières, maraichères au sein d’un même jardin. On aimerait redévelopper ce volet agro-forestier, mélanger l’agriculture et la forêt pour répondre aux besoins de la population ». 

Une seconde mesure serait le durcissement de l’application du code forestier. 

« Pour l’instant, toutes les personnes qui défrichent sont quasiment sûres de ne pas être poursuivies pour ces actions. C’est de moins en moins le cas, mais aujourd’hui encore, n’importe qui peut décider de défricher 2 hectares de forêt, ce qui est énorme à Mayotte. Dès qu’on y défriche 1 ou 2 hectares ça se voit, ça se ressent et ça a un impact ». 

Les cultures de subsistances expliquent l'essentiel de la déforestation à Mayotte
Crédit – ONF Mayotte

Dans sa rédaction originelle, le code forestier est censé placer Mayotte comme l’un des départements où la législation est la plus dure et la plus contraignante. Dans la pratique, c’est l’inverse. 

Enfin, l’UICN souhaite travailler avec les populations locales afin qu’elles s’approprient ces forêts et soient plus actives dans leur préservation. 

« Ça commence aussi à être le cas. Beaucoup d’associations se créent et veulent changer cette donne. On parle beaucoup à Mayotte de l’érosion, et c’est indéniable que des parcelles forestières sont moins érodées que des parcelles agricoles, qui elles-mêmes sont moins érodées que des parcelles urbanisées ». 

L’urbanisation galopante reste d’ailleurs elle aussi un problème majeur. Parfaitement incontrôlée, elle est à l’origine de nombreux défrichages en pourtour ou à l’intérieur des villes. 

Déforestation sur Mayotte

Problématiques à résoudre

« Depuis 2020, il y a eu des changements », admet Grégoire Savourey. « La réserve naturelle, la prise en compte de l’agroforesterie…Il y a 2 ans on n’en parlait pas du tout à Mayotte, et là ça devient un sujet. On a aussi un effort sur la surveillance et le contrôle, par contre on reste lettre morte sur la clarification du code forestier ». 

Selon Grégoire Savourey, la déforestation mahoraise se trouve liée à 2 grandes problématiques qui pourraient se régler assez facilement. La première, la divagation des animaux d’élevage. 

« Les zébus sont souvent attachés à des piquets au milieu de la forêt, où on les laisse pâturer. Sur la surface autour du piquet, on peut être sûr que plus rien ne pousse. C’est piétiné, mangé… Et puisque que les piquets sont bougés au fur et à mesure, on a identifié que c’était un facteur de déforestation ». 

L’idée serait donc de mettre en place une gestion de ces animaux, via une mise en fourrière, une recherche des propriétaires…

« Quelque chose qui théoriquement peut se mettre facilement en place ». 

La seconde, la pratique de l’abattis-brulis. Le principe : abattre les arbres d’un secteur forestier puis brûler tout le terrain pour faire place nette et installer des plantations. Une pratique théoriquement interdite à Mayotte mais très peu contrôlée, et encore largement répandue. 

Crédit – Pipineza

Le rôle de la population

« En ce moment c’est la saison des abattis-brulis », raconte Grégoire Savourey. « Récemment on a eu un très gros feu sur les flancs du Bénara, le point culminant de l’île. Les pompiers ont avoué qu’ils n’avaient aucune capacité de réaction. Parce qu’il n’y a pas de voirie, parce qu’ils peuvent se faire agresser en allant sur place, parce que c’est la nuit et que sans moyens aériens, ils ne peuvent pas agir. À Mayotte on a la chance de ne pas avoir de gros feux. Mais si on avait un feu comme on a pu voir en Métropole cette année, 10 000 hectares c’est la forêt de Mayotte. Donc on perdrait toute la forêt ». 

Grégoire Savourey a pourtant bon espoir que les mahorais reviennent vers la culture de l’arbre. 

« C’est tout simplement avoir l’habitude d’avoir affaire aux arbres et donc de les gérer. Pour l’instant, dans l’esprit du grand public, un arbre pose problème pour la culture de la banane et du manioc puisqu’il faut avoir un sol nu. Donc l’abattis-brulis est très utile. Sauf que la culture de la banane et du manioc n’était pas la principale culture mahoraise il y a 50 ans… »

L’implication de la population se pose donc indéniablement comme un point-clé. Une opération particulièrement difficile dans ce département. 

« Tout le monde ne sait pas parler ni lire le français, tout le monde ne fait pas non plus tous les liens. Ce n’est pas encore une évidence que déforestation = impact sur la qualité de vie. On aimerait que ce sujet-là rentre dans les mœurs, le lien entre forêt et qualité de vie donc ressource en eau, érosion, ilot de chaleur, paysage…etc ». 

N'Gouja Beach, in the south of the island of Mayotte (Hotel Le Jardin Maoré)
Crédits – Insularis

Récemment, une étude de l’ONF a montré à quel point la destruction de la forêt impacte les cours d’eau du bassin versant. Au-delà du captage en rivière, la forêt permet en effet à l’eau de s’infiltrer dans le sol et favorise ainsi la recharge des nappes phréatiques.

« Même s’il y a évidemment des populations d’animaux en train de chuter, on parle peu de la disparition de la faune et de la flore parce qu’on sait que ce n’est pas ce qui va toucher la population mahoraise. En revanche, les gens se rendent réellement compte qu’il y a un changement de débit dans les rivières depuis quelques années ». 

Une évolution qui pose tous les problèmes liés au services rendus par les zones humides, les cours d’eau, et la réalimentation en eau douce du joyau de Mayotte : son lagon. 

Crédit photo couv : Pierre Huguet / Biosphoto via AFP

Marine Wolf

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