Après plusieurs années de mobilisation citoyenne et de travail parlementaire ayant permis l’adoption de lois ambitieuses en faveur de la protection des forêts, l’Union européenne rétropédale sur ces législations. Un recul que combattent des élus, des citoyens et des forestiers.
Un détricotage des normes environnementales
« Ça fait des décennies qu’on milite au Snupfen pour améliorer les pratiques de gestion forestière », explique Raphaël Kieffer, secrétaire général adjoint du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (Snupfen) – Solidaires, un syndicat de l’Office National des Forêts (ONF).
« L’axe central sur ce sujet, ce sont les pratiques de sylviculture douce, qui s’opposent à une généralisation de la coupe rase. Et ces alternatives, elles sont favorisées, entre autres, par ces projets de loi. »
Hélas, lors des élections européennes de 2024, l’équilibre des forces politiques a basculé en faveur de la droite et de l’extrême-droite au sein du Parlement européen.
« Depuis le nouveau mandat d’Ursula von der Leyen », on assiste à un retour en arrière sur les législations environnementales et sociales », constate Klervi Le Guenic, chargée de campagne forêts tropicales au sein de l’association Canopée.
Ainsi, l’alliance de la droite et de l’extrême droite au parlement européen a voté jeudi 13 novembre 2025 la loi Omnibus, ébranlant en profondeur le Pacte vert européen. La directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance (CS3D) ont ainsi été vidées de leur substance.
Avec l’adoption de la loi Omnibus, 70 à 80% des grandes entreprises européennes vont échapper aux lois qui les tenaient responsables de leurs impacts climatiques et sociaux. L’opacité sera de mise.
De même, la proposition de loi sur la surveillance des forêts, qui visait à harmoniser la collecte de données pour aider les gestionnaires forestiers face aux menaces croissantes pesants sur les forêts, a été rejetée le 21 octobre 2025 par le Parlement européen puis retirée par la Commission.
« La droite et de l’extrême droite se sont unis comme un seul homme pour rejeter toute évolution », déplore Éric Sargiacomo, député européen (S&D) et Vice-président de la commission de l’agriculture et du développement rural au sein du parlement.
Cette alliance brise officiellement la majorité des pro-européens qui avaient soutenu jusqu’ici une Europe sociale et écologique.
Éliminer les contraintes sur la gestion forestière
La Commission a également reculé le 21 octobre 2025 sur la loi interdisant la mise sur le marché européen de produits issus de la déforestation, dont l’entrée en vigueur déjà avait été reportée fin 2024.
« À l’époque, on nous disait que la Commission était prête, mais que les entreprises ne l’étaient pas », rappelle Marie Toussaint, députée européenne et Vice-présidente du Groupe Verts/Alliance libre européenne du Parlement européen, à La Relève et La Peste. « Maintenant, on nous dit que les entreprises sont prêtes, mais plus la Commission : c’est un jeu de dupes ».
La Commission propose désormais des ajustements qui dispensent notamment les acteurs en aval de la chaîne du devoir de diligence raisonnée : c’est-à-dire de l’obligation de déterminer, prévenir, atténuer et rendre des comptes sur les effets négatifs générés par les activités d’une l’entreprise.
La proposition vise aussi à accorder un délai supplémentaire aux micros et petites entreprises pour se mettre en conformité et à reporter l’application des sanctions.
Au-delà de ces adaptations, les défenseurs du texte craignent qu’il ne soit davantage vidé de sa substance par le Parlement et par le Conseil européen – qui réunit les chefs d’États et de gouvernements des pays membres -.
« Il y a un certain nombre d’États, notamment scandinaves, qui considèrent que la question forestière est d’un intérêt national supérieur et ils ne veulent absolument pas que l’Europe mette son nez dedans, explique Éric Sargiacomo à La Relève et La Peste. Ils sont très jaloux de leurs compétences forestières, car c’est un élément essentiel de leurs économies. Ils ont une crainte que les critères qu’on voit à l’échelle des 27 pays de l’UE ne puissent pas être compatibles avec la façon dont ils envisagent la gestion de la forêt. »
Pour expliquer ces reculs, les défenseurs des lois de protection des forêts évoquent des pressions de représentation de filières industrielles et d’États européens, mais également de puissances étrangères comme les Etats-Unis ou le Brésil, dans un contexte de négociation d’accords commerciaux internationaux (comme le Mercosur).
Forestiers, élus, membres d’ONG et citoyens engagés pour la protection des forêts attendent désormais les résultats des négociations au Parlement et au Conseil européen : « il faudra là encore que nous soyons nombreux à nous mobiliser pour les empêcher de saboter cette loi essentielle » clame l’association Canopée.
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