Le 10 avril 2023, ce fut l’heure d’un premier bilan pour Luiz Inácio Lula da Silva. Élu à la tête du Brésil le 30 octobre dernier à la suite d’un scrutin particulièrement tendu face à Jair Bolsonaro, le Président travailliste vient de passer le cap des 100 premiers jours de mandat. Une occasion rêvée pour le chef de l’État de vanter l’unité nationale et les nombreux progrès de l’État fédéral dans la reconstruction du pays après quatre années de désintégration du lien social et de déconstruction des services publics. Mais, pour de nombreux observateurs, le retour tant attendu de l’ancien ouvrier métallurgiste au pouvoir est encore loin d’avoir eu les effets escomptés, en particulier sur le plan économique et environnemental.
Reconstruire l’après-Bolsonaro
Dès son investiture, le 1er janvier 2023, Lula a d’emblée fixé le cap de ses 100 premiers jours, tant les problèmes hérités de l’ère Bolsonaro étaient nombreux. Une « reconstruction » – terme intégré au slogan du gouvernement fédéral – qui passe par la restauration des services publics et le rétablissement des organes étatiques démantelés par l’administration précédente.
Restauration des services publics d’abord, qui se décline par la lutte contre la faim et l’accès aux services de santé. Pour lutter contre la faim, le Président travailliste a renforcé toute une série de dispositifs : la Bolsa Familia (« bourse familiale ») a été systématisée et revalorisée ; le budget du Programme national des repas scolaires a été augmenté de 36 % ; le Programme d’acquisition d’aliments a été réactivé ; et le programme Minha casa, Minha vida (« ma maison, ma vie ») a été relancé.
Tant de dispositifs qui visent soit directement – via l’approvisionnement en produits alimentaires, en favorisant des circuits-courts – soit indirectement – via l’attribution d’une bourse ou d’un logement sous condition de ressources – à améliorer les conditions de vie de près de 33 millions de Brésiliens.
Pour favoriser l’accès aux services de santé, Lula a agi à deux niveaux : 15 000 postes de professionnels avec le programme Mais Médicos (« plus de médecins ») ont été créés ; un Mouvement national pour la vaccination contre le Covid-19 a été lancé, afin de « réparer les dommages causés par le négationnisme » de l’ancien chef d’État.
Rétablissement des organes étatiques ensuite, qui s’incarne par la promotion des droits des minorités bafouées par la précédente administration. Les ministères de l’égalité raciale, de la femme et de la culture ont ainsi été rétablis ; de nouvelles prises de fonction à la tête de la Funai (Fondation Nationale de l’Indien), de l’Ibama (Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables) et d’autres instituts ont eu lieu ; et des quotas en faveur des personnes noires et métisses ont été instaurés dans les postes pourvus par nomination dans la fonction publique. Ces mesures – hautement symboliques – s’accompagnent d’une volonté d’ériger la défense des peuples indigènes comme une priorité.
« Cela se traduit notamment par l’envoi de l’armée en Amazonie pour expulser les orpailleurs clandestins qui sont très nombreux dans les régions indigènes, en particulier chez les Yanomani » explique Jean-Marc Four dans sa chronique sur Franceinfo.
Mais si Lula a effectivement réussi à restaurer un semblant d’État-providence après quatre années de délitement des services publics et administratifs, son bilan demeure mitigé puisque la plupart de ces mesures impliquent une hausse des dépenses, phénomène difficilement réalisable dans un contexte économique tendu.
Un taux de croissance au plus bas…
Le Brésil, première économie d’Amérique Latine, accuse depuis la fin de la pandémie un ralentissement de sa croissance. Une tendance qui s’est poursuivie avec l’investiture de Lula en janvier 2023, puisque, sur les trois premiers mois de son mandat, le PIB a reculé de 0,2 %.
Pour tenter une relance économique, le Président travailliste a essayé d’inciter la Banque Centrale à baisser ses taux directeurs – qui influent sur les taux d’intérêts auxquels sont soumis l’État et les ménages y ayant souscrits – et d’augmenter les contributions des compagnies pétrolières – le Brésil étant le 9e producteur au monde –, mais sans succès.
« Les principales compagnies, Shell, Total, Repsol ont contre-attaqué en saisissant la justice » rapporte Le Télégramme.
Dans ce contexte, les prévisions concernant la croissance économique sont plutôt pessimistes : elle atteindrait 1,6 % en 2023, selon l’OCDE, soit deux fois moins qu’en 2022. De quoi fortement limiter la portée du programme de Lula au domaine social, délaissant ce pourquoi sa candidature avait été internationalement plébiscitée : l’environnement.
L’Amazonie, bientôt réduite à peau de chagrin ?
En effet, c’est bien sur le plan environnemental que le bilan des 100 jours de Lula butte en touche. S’il a été largement soutenu par le monde entier pour protéger l’Amazonie et autres biomes – tel que le Cerrado, savane occupant 21 % du territoire brésilien – contre la déforestation et l’exploitation minière illégale, force est de constater que les résultats de son plan d’action sont très loin d’être concluants.
C’est ce que dénonce Bruno Meyerfeld, correspondant Le Monde basé au Brésil, sur Twitter : « La déforestation en Amazonie a atteint des sommets ces trois premiers mois. L’opération conjointe des forces de sécurité en terre Yanomami a permis des progrès, mais sans éradiquer le problème des orpailleurs. Surtout, la déforestation du Cerrado […] est au plus haut, et a même battu des records par rapport à l’ère Bolsonaro. C’est gravissime, et cela a lieu dans plusieurs États du Nordeste gouverné par le PT [Parti Travailliste] ou ses alliés ».
Et pour cause, d’après Jean-Marc Four : le Brésil manque cruellement de financements pour mener à bien sa politique environnementale. Il souligne notamment le rôle central du Fundo Amazonia, crée en 2008 par la Norvège et le Brésil et gelé sous Bolsonaro, pour la protection du « poumon de la Terre ».
Celui-ci, qui prend du temps à être relancé – puisque la mise sur pied de nouveaux comités de gestion des fonds est nécessaire –, souffre, en plus, d’un manque de financements. Si la Norvège et l’Allemagne se sont d’ores et déjà engagée à verser des fonds, d’autres États comme la France, la Suisse et le Royaume-Uni ne sont encore qu’au stade de l’étude d’une telle proposition, tandis que « l’Union européenne reste sourde aux appels du pied du président brésilien ».