Maison d’édition et média indépendants, sans actionnaire et sans pub, financés par la vente de nos livres

Arrestations arbitraires et charges offensives : l’Etat renforce la peur de manifester

« Pour poursuivre des politiques injustes, de moins en moins légitimes (…), [le gouvernement] s’impose par la répression, par la peur, espérant faire taire les voix qui s’opposent à lui. J’ai l’impression (…) de voir mon pays glisser, lentement mais sûrement, vers un régime illibéral, vers un État de police, jouant le jeu de la division. »

Comme un souvenir des gilets jaunes… Le 12 décembre, pour le troisième samedi consécutif, des manifestations contre la loi « sécurité globale » ont eu lieu dans une soixantaine de villes. Selon les organisateurs, au moins 60 000 personnes ont battu le pavé dans toute la France, à l’initiative de la coordination nationale #StopLoiSécuritéGlobale, malgré le froid et la crise sanitaire. Elles étaient environ 10 000 à Paris.

Dans la capitale, cette nouvelle mobilisation s’est achevée dans un chaos qui rappelle le 1er mai 2018 ou certains actes des gilets jaunes. Toute l’après-midi, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a égrené sur son compte Twitter le nombre de personnes interpellées par les forces de l’ordre : vingt-quatre à 14 h 12, quatre-vingt-une à 15 h 50, cent dix-neuf à 17 h 50, cent quarante-deux à 18 h 56…

Mais ce que le ministre a qualifié de chasse aux « casseurs » et aux « individus ultra-violents » cache en fait une dérive supplémentaire de la police.

Selon des témoignages concordants — émanant de syndicats de journalistes, d’associations et même de députés qui étaient présents —, la préfecture de police de Paris aurait mis en place une nouvelle stratégie de maintien de l’ordre particulièrement virulente, destinée à faire « éclater le cortège ».

Au lieu de se contenter d’un encadrement, les forces de police seraient intervenues tout au long de la manifestation par « bonds offensifs »et auraient interpellé toute personne soupçonnée de vouloir constituer un « bloc ». Un récit de la manifestation a été mis en ligne par Mediapart.

Parti vers 15 heures de la place du Châtelet vers celle de la République, le cortège semble avoir été continuellement harcelé par des unités mobiles de policiers casqués, dont certains avaient dissimulé leur matricule sous des bandeaux rouges.

La préfecture avait d’ailleurs déployé 3 000 policiers, un pour trois personnes, si l’on en croit les chiffres des organisateurs, ainsi que des barrages aux entrées de la place du Châtelet, des grilles anti-émeutes, des canons à eau et des cordons sur toute la longueur du parcours.

Au cours de l’après-midi, les charges ininterrompues de la police, décrites comme extrêmement violentes, ont fait plusieurs victimes des deux côtés de la « barrière de sécurité ». Un joueur de tambour a par exemple été blessé au visage alors qu’il ne se préparait visiblement à commettre aucun acte répréhensible.

« Comme nous le redoutions, déclare le collectif Stop Loi Sécurité Globale dans un communiqué, la manifestation parisienne, bien que dûment déclarée (…) et autorisée par la préfecture de police, s’est transformée en souricière. »

Parmi les quelque 150 personnes interpellées samedi figurent des manifestants pacifiques, un avocat, des journalistes, des lycéens ou encore des membres d’association, la police ayant procédé à des arrestations à l’aveugle, qualifiées d’arbitraires par le collectif.

Ainsi, un reporter du média indépendant Quartier général (QG) et un autre du collectif Reporters en Colère (REC) ont fini leur journée en garde à vue, prolongée dimanche pour le premier, alors qu’ils se contentaient de couvrir la manifestation.

De nombreuses personnes, dont un militant de l’association Attac, réputée pour ses pratiques non violentes, auraient été interpellées pour « refus d’obtempérer » et « dissimulation du visage » parce qu’elles portaient un bonnet et un simple masque de protection.

Dix-neuf mineurs ont également été placés en garde à vue, parmi lesquels la fille de Bénédicte Monville, conseillère régionale écologiste en Île-de-France, une des preuves que tout a été entrepris pour dynamiter le cortège. La plupart des gardés à vue ont été relâchés et leur affaire classée sans suite.

Dans une tribune publiée le dimanche 13 décembre par L’Obs, la porte-parole d’Attac, Aurélie Trouvé, dénonce cette stratégie de la police qui consiste selon elle à intimider, à dissuader de manifester :

« Pour poursuivre des politiques injustes, de moins en moins légitimes (…), [le gouvernement] s’impose par la répression, par la peur, espérant faire taire les voix qui s’opposent à lui. J’ai l’impression (…) de voir mon pays glisser, lentement mais sûrement, vers un régime illibéral, vers un État de police, jouant le jeu de la division. »

S’agissant d’intimidation, le calcul est simple. En comptant entre cinquante et cent interpellations par cortège, multipliées par une trentaine de manifestations par an depuis le début du quinquennat du président de la République, cela fait au bas mot 1 500 gardes à vue chaque année, rien que pour la capitale, 1 500 personnes radicalement incitées à ne plus s’exprimer.

Si l’on prend maintenant tous les manifestants qui ont dû, une ou plusieurs fois, respirer des gaz lacrymogènes, assister à des scènes de violences, supporter d’être pris dans une « nasse » ou de subir un contrôle injuste, le chiffre peut tout à coup s’élever à des dizaines de milliers, sans inclure tous ceux qui renoncent à leur droit de manifester parce que les images relayées par les médias les terrifient. Dans ce cas, il se pourrait bien qu’on en dénombre des dizaines de milliers.

« Le pouvoir cherche à nous décourager, mais il n’y parviendra pas ! Nos organisations constatent que l’offensive contre nos libertés fondamentales se poursuit. Les trois décrets du 2 décembre 2020 élargissant les possibilités de fichage des militants et de leur entourage jusqu’aux enfants mineurs ainsi que de leur santé ou de leurs activités sur les réseaux sociaux seront contestés en justice. La loi dite « Séparatisme » représente un autre coin enfoncé contre les libertés. C’est du jamais vu en France. Nous glissons lentement mais sûrement vers un régime autoritaire, un Etat illibéral, un Etat de police. Moins les politiques de ce gouvernement apparaissent comme légitimes, plus celui-ci utilise la répression et l’étouffement des libertés pour les imposer. » ont ainsi réagi un collectif d’organes de presse, soutenu par La Relève et La Peste, dans un communiqué

Lire aussi : « Loi sécurité globale : menaces à la liberté d’informer et surveillance généralisée »

Pour rappel, la loi relative à la sécurité globale, adoptée par l’Assemblée nationale il y a trois semaines, prévoit de pénaliser la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique », de généraliser la surveillance par drone ou encore l’usage des caméras-piétons par les policiers, et d’autoriser le port d’arme par les policiers hors de leurs heures de service.

Augustin Langlade

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Découvrez Forêts, un livre puissant qui va vous émerveiller

Forêts est le seul livre en France qui propose un tour d’horizon aussi complet sur le monde végétal. Pour comprendre comment protéger le cycle de l’eau, notre livre «Forêts», écrit par Baptiste Morizot, Thierry Thevenin, Ernst Zurcher et bien d’autres grands noms, vous donne toutes les clés de compréhension pour comprendre et vous émerveiller sur la beauté de nos végétaux.

Pour comprendre et savoir comment protéger le cycle de l’eau, notre livre «Forêts» est fait pour vous.

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^