C’est une victoire inattendue, et surtout historique. Le 19 novembre 2021, le Premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, a décidé de finalement abroger les lois pour la réforme agricole. Le retrait est dû aux manifestations d’une ampleur massive des paysans indiens depuis le vote des réformes, en septembre 2020. C’est la première fois que le Premier ministre indien cède face à la population dans le cadre d’un conflit social.
Les manifestations n’avaient pas été aussi longues depuis la fin des mouvements pour l’indépendance de l’Inde face à la colonisation britannique, en 1947.
Le Premier ministre a expliqué que le processus constitutionnel d’abrogation de ces trois lois allait débuter lors de la session parlementaire, fin novembre.
Il ajoute : « J’appelle tous les agriculteurs participant aux manifestations à rentrer chez eux, à retrouver leurs proches, leurs fermes et leur famille, en ce jour propice de Guru Purab. Prenons un nouveau départ et allons de l’avant », et rappelle que le 19 novembre célèbre la naissance de Guru Nanak, fondateur du sikhisme.
Une grande partie des paysans indiens manifestants sont des sikh du Pendjab et de l’Haryana, régions agricoles grandes productrices de blé et de riz, les plus concernées par les réformes.
Le Congrès national indien, Parti à direction de centre gauche, au pouvoir entre 1947 et 1970 et principal opposant au Parti du peuple indien, formation de Narendra Modi, s’est réjouit de cette nouvelle inédite :
« C’est une victoire historique pour nos agriculteurs, notre peuple et notre démocratie ».
Les réformes agricoles avaient été votées afin d’autoriser les agriculteurs à vendre leurs productions aux acheteurs de leur choix, mettant ainsi fin au monopole des gouvernements locaux sur le prix des céréales.
Le prix devait ainsi être fixé par les investisseurs et l’agro-business sur la base de la demande des agriculteurs, apportant ainsi de fortes chances de bradage général des prix de vente.
La fin des marchés contrôlés par l’Etat signifiait également la fin de la loi sur un prix de soutien minimal sur le riz, les céréales et une vingtaine d’autres denrées, dans une Inde où les agriculteurs peinent à subvenir à leurs besoins.
86 % des paysans en Inde sont de petits exploitants et vivent actuellement avec une moyenne de moins de deux hectares par exploitation (contre une moyenne de 61 hectares en France).
Après deux mois de mobilisation dans leurs campagnes, les agriculteurs ont commencé à camper pendant plusieurs mois sur les routes, se réunissant par dizaines de milliers aux portes de la capitale, New Delhi.

Le 26 janvier 2021, jour de la fête nationale de la République, des tracteurs ont rejoint le défilé dans les rues, la journée se terminant par des confrontations avec la police de plus en plus violentes. Ces manifestations ont été relayées et soutenues par des jeunes activistes comme Greta Thunberg et Disha Ravi, cofondatrice de la branche du mouvement Fridays for Future en Inde.
Gilles Verniers, professeur de sciences politiques à l’université d’Ashoka à Sonipat, en Inde, estime que l’abrogation est une nouvelle positive, qui pourrait encourager une démocratie plus juste.
Il explique pour le New York Times : « C’est une bonne nouvelle pour la démocratie défaillante de l’Inde. Cela montre que des aspects plus substantiels de la participation démocratique, comme les manifestations civiles, peuvent être couronnés de succès »
L’agriculture en Inde représente 15 % du PIB, et emploie 43 % de la population en 2019. Le retrait de cette réforme était donc d’ordre vital pour la survie de nombreux paysans et petites exploitations agricoles. Le taux de suicide des paysans indiens est également le plus élevé au monde, représentant la mort de plus de 300 000 personnes entre 1995 et 2016.
La nouvelle est ainsi une grande victoire et un soulagement, mais la crise agricole n’est pas résolue. Les manifestants réclament donc une loi garantissant un prix minimum pour les récoltes.
Crédit photo couv : Les paysans célèbrent leur victoire, Inde – Xavier Galiana / AFP