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Aix-en-Provence : Expulsion de Gilets Jaunes en plein confinement

Pendant un an, l’Ecole Giono a été bien plus qu’une base logistique pour les associations résidentes : le lieu est devenu une incroyable réussite de convergence des luttes. Gilets Jaunes, écolos, associations de protection des droits de l’homme, tous les collectifs sont passés d’une cohabitation timide à une vraie dynamique collective.

Début avril, mauvaise surprise pour les Gilets Jaunes de l’Ecole Giono. Alors qu’ils occupaient ce bâtiment en attente de démolition, avec l’accord de la Mairie, depuis plus d’un an, les forces de l’ordre sont intervenues pour les expulser et sceller les locaux. Sous prétexte de crise sanitaire, cette expulsion met en avant une société divisée : celle qui fabrique un monde plus juste et solidaire, et celle qui s’accroche aux procédures administratives pour garder le pouvoir dans un monde en crise.

Expulsion des Gilets Jaunes

Depuis le début du confinement, de nombreux tiers lieux ont fait l’objet d’expulsions forcées, comme la ZAD de Brétignolles-sur-Mer. Vendredi 9 avril, les trois Gilets Jaunes installés à l’Ecole Giono dans le quartier d’Encagnane d’Aix-en-Provence ont connu le même sort, dans le calme mais sans aucun préavis. Dans une lettre ouverte adressée à la Maire Maryse Joissains-Masini, toutes les associations présentes à l’Ecole Giono ont fait part de leur incompréhension. Contactée par téléphone, la Mairie a justifié sa décision par l’arrivée des Restos du Cœur dans une des ailes de l’école.

« La crise du coronavirus s’est accompagnée d’une énorme pression sur les associations de distribution de denrées alimentaires. A Aix-en-Provence, on a quasiment doublé les familles bénéficiaires des aides alimentaires donc il a fallu qu’on aménage des drives et des nouveaux locaux. Avec plus de 450 familles bénéficiaires sur le quartier, il était logique d’installer les Restos du Cœur dans l’Ecole Giono. Quand l’équipe technique est arrivée sur place, elle a constaté la présence de Gilets Jaunes qui dormaient dans les lieux, ce qui n’était pas prévu par notre accord. La décision a donc été prise par les forces de police en voyant le squat mis en place. » raconte Sylvain Dijon,conseiller municipal et directeur de campagne, pour La Relève et La Peste

L’aile dans laquelle ont été installés les Restos du Cœur est indépendante des locaux utilisés par les différentes associations. Pour les Gilets Jaunes et les autres collectifs, la démarche des Restos du Cœur s’inscrit dans la lignée de leurs valeurs et la cohabitation, dans le respect des règles sanitaires, était évidente. Les collectifs ont même offert leur aide que les Restos du Cœur, déjà au complet, ont décliné.

« La Mairie avait bien précisé quelle ne voulait ni potager ou poules dans la cour, ni que les gens restent dormir sur place. On a quand même laissé les trois personnes parce que l’une d’entre elles s’est retrouvée sans logement avec le confinement, on croyait que ça ne dérangerait pas plus que ça. Puis il y avait déjà eu des infractions et on ne voulait pas que le matériel des associations soit volé. » détaille Charles (un pseudo), Gilet Jaune du QG Giono, pour La Relève et La Peste

Avec l’expulsion, la Mairie a décidé de fermer et « sécuriser complètement le local avec une alarme et une serrure trois points ». La Mairie a déclaré avoir fait constater par un huissier le matériel des associations pour qu’il leur soit remis en bonne et due forme à la fin du confinement. La solidarité à l’œuvre entre les collectifs de Giono a permis de reloger toutes les personnes expulsées.

L’Ecole Giono, Aix-en-Provence

Une vraie convergence des luttes

En effet, pendant un an, l’Ecole Giono a été bien plus qu’une base logistique pour les associations résidentes : le lieu est devenu une incroyable réussite de convergence des luttes. Gilets Jaunes, écolos, associations de protection des droits de l’homme, tous les collectifs sont passés d’une cohabitation timide à une vraie dynamique collective.

« Il y a un vieux mot d’ordre de Mai 68 où on disait « il faut théoriser ta pratique ». C’est ce que nous avons vécu quand la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) a rejoint les Gilets Jaunes, et tous les autres collectifs, à l’Ecole Giono. Il y a un état d’esprit général de camaraderie et de convergence des idées autour de sujets essentiels et fondamentaux. En ce moment, on parle de revalorisation des professions peu reconnues. Parmi les Gilets Jaunes, beaucoup de gens étaient dans ce type de situation. Nous partageons des objectifs sociaux et politiques fondamentaux. Tous les collectifs de Giono se battent pour la justice sociale, tout particulièrement par le maintien et le renforcement des services publics : santé, éducation, culture. » explique Didier Bonnelle, membre de la LDH et auparavant d’Attac, pour La Relève et La Peste

Réunion Publique d’Avril 2019 sur les violences de l’Etat

Pendant un an, l’Ecole Giono a accueilli de nombreux événements :  réunions publiques comme la première en avril 2019 sur les violences d’Etat qui avait réuni près de 200 personnes, conférences, débats, manifestations (Marche Climat et Marche contre Monsanto), formations, projections de film (« La stratégie du choc » de Naomi Klein, « La sociale » de Gilles Perret, et évidemment « j’veux du soleil » de François Ruffin) et même une « Gratiféria », un événement où les gens apportent les objets qu’ils veulent, et d’autres prennent ce dont ils ont besoin, sans troc nécessaire, où tout est gratuit. Le lieu était même devenu un emblème régional en accueillant mensuellement l’AG Régionale de tous les groupes Gilets Jaunes de PACA.

« On a été très vite accueilli de façon solidaire et sympathique en octobre 2019. C’est vraiment un lieu où il n’y avait pas d’a priori sur les personnes qu’on rencontre, ouvert à toutes ces mouvances qui ont envie de se retrouver sur des valeurs communes : la solidarité, l’ouverture d’esprit, l’écologie, et l’envie de penser la société autrement. Par exemple, dans les Ateliers Utopie tous les jeudis soirs, un groupe se retrouvait autour d’un prof d’université membre de la LDH et on travaillait sur les utopies et la construction du monde de demain, en essayant de penser à une société alternative et comment concrètement vivre ça. » sourit Choregie (un pseudo), membre de XR France, pour La Relève et La Peste

Repas collectif au QG Giono

Le futur inter-collectif de l’Ecole Giono

Alors que les intellectuels parlent souvent de convergence des luttes, l’école Giono a été une expérience pragmatique et concrète couronnée de succès. La solidarité entre les différents collectifs s’est construite petit à petit, pas seulement à travers les événements officiels mais aussi grâce à des rencontres plus informelles, dans les couloirs, favorisées par la configuration du lieu.

« Bien sûr, tout n’a pas été tout rose, il y a eu des coups de gueule et de forts caractères à gérer mais au fil des mois ça s’est bien ancré. On s’est tous rendus compte que, seuls, on n’arrive pas forcément au bout de nos luttes respectives. Dans Giono, le fait de se croiser, de parler, de se cultiver et d’échanger ça a permis de se rassembler sous des valeurs communes, et on se sent plus fort d’être plus nombreux. » explique Charles, GJ aixois, pour La Relève et La Peste

Photo de soutien à Magalie, une GJ du Var, qui sortait de son procès sur Aix

Aujourd’hui, les collectifs sont inquiets de la suite des événements mais souhaitent officialiser leur identité commune à travers la création d’une association. Ils espèrent ainsi que la Mairie tiendra sa promesse de leur mettre à disposition un autre local. Les résidents de l’Ecole Giono savent qu’il sera très difficile de retrouver un endroit suffisamment spacieux pour tous les accueillir.

« A la fin du confinement, on leur rendra leur matériel ; et s’ils ont une association en bonne et due forme comme nous l’avions demandé, nous pourrons leur mettre à disposition un autre local. Pour les assurances, il nous faut une personne morale qui représente ce collectif et surtout bien définir l’objet de l’association : si c’est culturel ça ira, mais pas si c’est religieux ou politique. En effet, la Ville d’Aix-en-Provence ne met pas à disposition des locaux gratuits pour les syndicats ou les partis politiques. » précise Sylvain Dijon, directeur de campagne pour la maire sortante, à La Relève et La Peste

En pleine période électorale, cette dernière phrase laisse perplexe. En effet, si seul le Maire est compétent pour fixer la réglementation en matière de prêts de locaux communaux, le motif d’association religieuse ou politique n’est légalement pas valable pour interdire l’accès à une salle. Les Restos du Cœur ne serviraient-ils que de prétexte à la Mairie pour empêcher l’émergence d’un nouveau mouvement politique ? La question est posée, d’autant plus que la Maire sortante Maryse Joissains a récemment été condamnée pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts, tout en restant éligible à un prochain mandat grâce à un jugement de la Cour de Cassation.

« A Aix-en-Provence, on a un café associatif qui accueille de nombreux événements, mais c’est différent. Le QG Giono a vraiment permis de se faire rencontrer et fédérer des gens, de faire converger vraiment des luttes. C’est ça la difficulté et le danger pour les autorités, qu’ils sentent que c’est un lieu qui leur échappe. Là, on est en train de se constituer en association mais ça n’aurait pas été possible d’entrée de jeu. C’est un peu dommage de devoir rentrer dans quelque chose qui s’institutionnalise mais on va tout faire pour que le prochain lieu reste un espace de liberté. Quand on te force à rentrer dans les carcans, t’as l’impression de perdre un bout de liberté. » soupire Choregie (un pseudo), membre de XR France, pour La Relève et La Peste

L’Ecole Giono doit être détruite à la fin de l’année pour laisser la place à un éco-quartier et des logements. Pour les GJ et toutes les associations, cette expulsion en plein confinement est une sacrée claque. L’Ecole Giono est devenue le symbole de leur histoire locale, avec beaucoup de gens qui y ont vécu leur première expérience de lutte et d’engagement politique et social.

Mais l’esprit Giono n’a pas rendu son dernier souffle, et va sûrement faire vibrer la ville encore longtemps. La solidarité nouée entre les différents mouvements a permis de dépasser les a priori de chacun et les renforcer dans une lutte commune contre un système capitaliste injuste et écocidaire. Un magnique exemple de vivre-ensemble.

Tous les collectifs solidaires

Laurie Debove

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